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Le divorce au féminin

Hanaa Al-Mekkawi, Lundi, 12 mars 2018

Depuis 1999, les couples mariés peuvent inclure à leur contrat de mariage une clause autorisant la femme à prononcer le divorce. Si de plus en plus de couples optent pour cette possibilité, celle-ci continue à être considérée comme un affront aux traditions.

Le divorce au féminin

La décision de Samar, 32 ans, d’ajouter une petite clause à son contrat de mariage lui accordant le droit de prononcer le divorce si elle le désire, a choqué toute sa famille. En effet, seuls les hommes possèdent traditionnellement le droit unilatéral et inconditionnel de prononcer le divorce. Les parents et les proches du couple ont donc réprouvé l’ajout de la clause. Certains l’avaient considérée comme un manque de personnalité du mari, tandis que d’autres ont préféré ne pas en parler, accablés par la honte de voir leur fille agir de cette manière et trans­gresser les habitudes et les traditions. Mais Samar explique avoir ressenti le besoin d’ajouter cette clause après des expériences désastreuses vécues par quelques femmes de son entou­rage proche. « J’ai vu certaines être humiliées pour obtenir leur divorce, car leurs maris refusaient d’entamer les procédures nécessaires ou les laissaient en suspens, ce qui faisait qu’elles n’étaient ni mariées, ni divorcées », dit Samar, qui avait parlé de ses craintes à son futur mari. Ce dernier n’avait trouvé aucun inconvénient à répondre à son sou­hait, convaincu que lorsqu’un couple arrive à un certain degré de désac­cord, il faut recourir au divorce. Et pour lui, peu importe que ce soit la femme ou l’homme qui prononce la formule. « Nous sommes mariés depuis trois ans et nous avons presque oublié cette histoire », confie Yasser.

Le cas de ce couple, moderne, est une exception dans une société qui donne le droit à l’homme de pronon­cer le divorce, mais voit d’un très mauvais oeil que la femme ait le même droit. En effet, bien que la charia et la loi donnent le droit à la femme de quitter son mari, tout le monde préfère ignorer cette option. Une manière indirecte d’interdire aux femmes de rompre unilatérale­ment les liens de mariage quand elles le souhaitent, alors que les hommes en ont le plein droit. « La clause du statut personnel incluse dans la loi est tirée de l’école de jurisprudence d’Abou-Hanifa. Elle autorise la femme à prononcer le divorce », explique Mohamad Mosleh, professeur de charia et représentant des maazouns d’Egypte. S’il est rare que ce droit soit recon­nu, dernièrement, de plus en plus de femmes le réclament haut et fort et certains hommes sont prêts à l’ac­cepter.

Nouveau contrat

Abdel-Méguid Hassan, expert juri­dique, explique que depuis 1999, les deux conjoints ont la possibilité d’ajouter des clauses supplémen­taires au contrat de mariage, comme celles accordant à la femme le droit de prononcer le divorce, de travailler ou de refuser que son mari prenne une autre épouse.

Mais la société a du mal à accepter cette réalité. Il est aussi tout à fait possible de considérer la situation autrement, comme l’explique Rana, 31 ans, gynécologue. « A supposer que la femme soit un être faible et émotif, comme on le prétend, et que pour ces raisons, on ne lui accorde pas ce droit, elle est tout de même capable de transformer la vie de son mari en un calvaire pour le pousser au divorce; et ce, en utilisant mille astuces pour y parvenir. Alors, il est préférable de laisser ce choix aux deux conjoints pour que la relation de couple soit plus harmonieuse et plus équilibrée », dit-elle. Rana est mariée depuis 9 mois, et sur son contrat de mariage, il est mentionné qu’elle peut prononcer la formule du divorce si elle le désire, et ce, malgré le refus de son entourage.

Rana a pris cette décision dès l’âge de 12 ans, après avoir vu un film qui montrait les souffrances d’une femme humiliée par son mari, lequel refusait de lui accorder le divorce. Lorsque Rana a rencontré l’homme de sa vie, elle lui a demandé d’in­clure à son contrat de mariage la possibilité pour elle de prononcer le divorce. Lui, il n’a pas caché son inquiétude et lui a posé une question qu’elle n’est pas prête à oublier : « Est-ce que tu serais capable de te réveiller le matin et de me dire que tu me répudies ? ». Elle lui a expli­qué qu’elle se sentait elle aussi menacée par le divorce qu’il pourrait prononcer à n’importe quel moment. En ayant tous les deux la possibilité de le faire, chacun déployerait des efforts pour conserver la relation de couple. « Ainsi, cette relation repo­sera sur deux personnes qui vivent ensemble sous le même toit, car ils s’aiment et non pas parce qu’ils ont la peur au ventre d’être un jour séparés l’un de l’autre », dit Rana.

Le poids des traditions

Selon Mohamad Mosleh, la socié­té n’accepte pas de voir une femme gérer la relation de couple. Pourtant, cela pourrait être une bonne solution pour enrayer certains problèmes que l’on rencontre actuellement. Selon lui, si l’on donne le droit à la femme de prononcer la formule du divorce, cela ne signifie pas que l’homme va être effacé. De plus, contrairement au kholea, cette possibilité permet à la femme de conserver tous ses droits financiers. En effet, pour obte­nir le kholea, une option de divorce unilatérale pour la femme ajoutée à la loi en 2000, la femme doit céder tous ses droits et rendre à son mari tous les cadeaux reçus lors du mariage.

Selon Mosleh, 1% des femmes seulement réclament la clause qui leur donne le droit de prononcer le divorce. Les coutumes et les tradi­tions, souvent bien plus ancrées dans l’esprit des gens que ne l’est la cha­ria, font que la société peine à accor­der ce droit aux femmes. Or, la famille et les proches ne sont pas toujours les seuls à s’opposer à l’in­clusion de la clause dans le contrat de mariage, comme l’explique Mosleh: « Il arrive aussi que le maäzoun refuse d’inclure la clause. En fin de compte, les maäzouns sont aussi des personnes qui portent les idées de la société ».

La sociologue Nadia Radwan observe elle aussi que cette attitude est très répandue et que les femmes continuent de souffrir de la domina­tion des hommes, des lois injustes et de la lenteur des procédures judi­ciaires concernant le statut person­nel, notamment en ce qui a trait au divorce. Elle est d’avis qu’un homme sûr de lui-même doit commencer par demander à sa fiancée si elle sou­haite ajouter cette clause au contrat, car un vrai homme ne doit pas obli­ger une femme à vivre avec lui alors qu’elle ne le désire plus. Les procès peuvent traîner dans les tribunaux et c’est souvent la femme qui en fait les frais.

Nouvel espoir

Depuis quelques années, un rayon d’espoir a surgi avec la loi du kholea, qui donne à la femme le droit de se séparer de son mari s’il refuse de la répudier. « Cela a permis de régler beaucoup de problèmes, mais, au fil des années, l’expérience et la pra­tique ont montré que la femme per­dait beaucoup également avec le kholea. En effet, pour l’obtenir, elle doit passer par les tribunaux, attendre quelques mois, renoncer à ses droits et rendre à son mari tous les cadeaux de mariage », dit Radwan. Elle ajoute que ce serait plus sage d’avoir un nombre plus important de contrats de mariage où figure une clause qui donne le droit aux deux conjoints de prononcer le divorce. Pour elle, c’est la bonne solution qui permet de tranquilliser la femme et d’empêcher l’homme de se croire plus fort en dominant la situa­tion.

Un avis que partage Ali, avocat. « Etant donné que deux personnes ont décidé de se marier, pourquoi ne pas leur donner le même droit, celui de prononcer le divorce ? », s’inter­roge-t-il. Ali n’a pas hésité à exaucer le souhait de sa fiancée. Cependant, il dit que personne ne l’a encouragé à ajouter cette clause sur le contrat de mariage; bien au contraire, tout le monde a essayé de le dissuader de le faire. Il a même eu du mal à trouver un maäzoun qui accepte d’inclure la clause au contrat. Quant à Rim, sa femme, elle avait peur du mariage à cause des mauvaises expériences vécues par les femmes autour d’elle et ne voulait pas se sentir comme une prisonnière qui ne peut quitter son gardien que s’il l’autorise à le faire. « Chaque jour que je passe avec mon mari prouve que je suis là parce que je l’aime. Je suis là de ma propre volonté et non pas parce que quelqu’un m’oblige à rester malgré moi », conclut Rim.

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