« Ma mère m’a appris à nourrir les poules et à préparer le pain, mais le rêve du retour à l’école ne m’a jamais quittée. Le soir, quand je me retrouve seule dans ma chambre, j’entends les voix de mes camarades de classe et leurs interactions avec la maîtresse ». Ces paroles sont tirées du scénario du fameux court métrage Mariam Wel Chams (Mariam et le soleil). Ce film, qui relate la vie de tous les jours d’un village appelé Zamalek dans le gouvernorat d’Assouan, s’inspire d’expériences réelles. Il était une fois, il n’y a pas si longtemps, un père qui voulait que sa fille quitte l’école pour l’aider dans les travaux aux champs. Un peu plus tard, il trouve par hasard une correspondance entre sa fille et sa professeure. Il comprend alors qu’il est sur le point de menacer l’avenir de sa fille, pleine de rêves et d’enthousiasme pour la vie. Une vingtaine d’années plus tard, sa fille est devenue professeure dans son village et rédige une lettre de remerciement à son père.
Mariam Wel Chams, qui a été vu par près d’un million de personnes, est une coproduction entre l’ambassade du Japon, les Nations-Unies pour la femme (UN Women), le Conseil national de la femme et l’organisation Care International. Il a pour objectif de sensibiliser les Egyptiens à l’éducation des filles et aux conséquences si celle-ci est interrompue à un moment ou à un autre du cursus scolaire. Sorti fin 2017, le film fait référence au programme de réintégration des filles dans les écoles, lancé en 2014 par UN Women, le Conseil national de la femme et Care International et intitulé « éduquée, émancipée et bien préparée ».
Ce programme entend s’attaquer à la déscolarisation des filles, que ce soit pour des raisons culturelles ou parce qu’elles sont victimes de discrimination de la part de leurs camarades. Or, comme le souligne Héba Hagras, députée au parlement et membre du Conseil national de la femme, « le projet n’est pas un simple appel aux parents pour inscrire leurs filles à l’école, mais a pour but ultime d’éradiquer les raisons qui font que certaines filles ne vont plus à l’école, dans le but de réduire l’écart entre filles et garçons en matière d’enseignement ». Selon UN Women, si les filles sont inscrites au cycle primaire au même titre que les garçons, nombreuses sont celles qui quittent les bancs de l’école avant l’âge de 12 ans. « La conséquence de ce phénomène est qu’une fille sur trois est illettrée. Résultat : un quart des femmes seulement sont actives sur le marché du travail formel », déclare Jorg Schimmel, directeur par intérim du bureau d’UN Women en Egypte.
Facteurs internes et externes
Dans le cadre des travaux préliminaires précédant le programme, l’organisation Care International avait effectué une étude qui a permis d’identifier les raisons pour lesquelles certaines filles quittent l’école. Ces raisons ont été divisées en deux catégories : les facteurs internes et les facteurs externes. Parmi les facteurs internes, on trouve les méthodes d’enseignement défaillantes, la violence entre enfants, le mauvais état des bâtiments scolaires et l’absence des toilettes. Quant aux facteurs externes, ils sont liés à la culture : mariage précoce, travail des enfants pour aider les parents ou crainte des parents qui ne veulent pas que leur fille se rende dans un autre village pour aller à l’école. Care Interntional a, dans un deuxième temps, créé des réseaux avec d’autres ONG, afin de détecter les gouvernorats qui requièrent une intervention en matière d’intégration des filles aux cursus scolaires et leur venir en aide.
Le Caire, Minya et Assouan ont été identifiés comme ayant le plus besoin de soutien. Selon UN Women, au cours des trois ans d’exécution du programme, 49 écoles (19 écoles publiques et 30 écoles communautaires, c’est-à-dire d’une seule classe) ont ainsi bénéficié d’une amélioration de leur administration et de leurs méthodes d’enseignement. 130 professeurs ont pu suivre une formation continue au Centre arabe des recherches et au Centre culturel canadien pour leur permettre d’améliorer leurs capacités de communication avec les élèves. « En tant qu’enseignants diplômés de la faculté de pédagogie, nous avons les bases techniques, mais ce qui nous manquait, c’était la communication étroite avec les élèves », déclare Ahmad Mounir, professeur de sciences dans une école publique à Al-Warraq, au Caire, et qui a suivi ces cours. En tout, 4 000 élèves ont profité de ces mesures, tandis que 50 000 autres ont profité d’activités sportives et sociales, organisées dans le but d’encourager l’interaction entre les filles et les garçons. En outre, plus de 200 écoles « amies des filles », garantissant notamment des infrastructures en bon état, ont été créées. Enfin, 4 200 leaders communautaires ont été formés pour assurer la continuité du projet. Le programme a, en outre, collaboré avec l’entreprise Massar et les deux initiatives civiles Educate me et Greenish, qui ont préparé des bénévoles chargés de créer un environnement propice à l’éducation des filles sur un pied d’égalité avec les garçons.
Combattre la discrimination
Ces bénévoles ont appris à sensibiliser aussi bien les parents que les enfants au principe de l’égalité des sexes. « Grâce à des jeux, nous avons eu une idée précise de l’image qu’a chaque élève de l’autre. Notre rôle était ensuite de transmettre un message positif et d’éliminer à la base les conflits provenant de la différence des sexes », explique Mohamad Saïd, bénévole dans une école à Al-Warraq. Comptable, Saïd a été formé pour pouvoir communiquer avec les enfants et les aider à modifier leurs habitudes. « Je les ai encouragés à jouer ensemble. Les filles refusaient que les garçons aient partagé leurs jeux et vice-versa », se rappelle Saïd. Les bénévoles disposaient de 9 jours pour sensibiliser les élèves et leur faire comprendre que tous les camarades sont égaux et que personne n’a le droit de dépasser les limites de l’amitié. Ils ont eu recours à des jeux créatifs pour combattre les idées discriminatoires. « Nous avons inventé, par exemple, le jeu de la corde à linge, qui consiste à écrire des mots avec des significations positives et négatives sur des bouts de papier en forme d’habits. Ensuite, les enfants suspendent les termes positifs et mettent de côté les autres papiers », raconte Sali, bénévole qui a contribué au programme dans une école à Minya.
Inclusion financière
Si le programme de réintégration des filles dans les écoles se concentre en premier lieu sur les filles, il s’adresse aussi aux femmes vivant dans un milieu rural. « Il a fallu sensibiliser les familles au principe de l’indépendance financière des femmes en offrant à ces dernières des microcrédits pour qu’elles puissent monter leur projet », dit Soheir Al-Masri, responsable à la Société arabe pour le soutien technique et les consultations. En contrepartie, les femmes bénéficiaires des microcrédits doivent s’engager à ne pas retirer leurs filles de l’école. L’un des objectifs est de former des leaders communautaires, hommes ou femmes, capables de devenir un trait d’union entre l’école et la société.
Fathi Atallah, directeur des programmes à l’Association du développement de la famille, est l’un d’entre eux. UN Women, le Conseil national de la femme et Care International viennent de lui remettre un prix pour avoir réussi à convaincre de nombreux parents dans son village de Zamalek, à Assouan, de l’importance de l’enseignement pour leurs filles. « Il y a une cinquantaine de leaders communautaires dans notre village. Nous rencontrons les parents pour les aider à résoudre leurs problèmes financiers et les mettre en contact avec des organisations qui peuvent les soutenir », dit Atallah. Il se sent fier d’avoir pu contribuer à la création d’une école communautaire dans son village. Cette dernière a d’ailleurs été bien accueillie par les villageois. « S’il n’y avait pas d’école à quelques mètres, le sort de mes filles serait similaire à celui de mes nièces, mariées précocement et mères à 15 ans », dit ouvertement Mohamad, chauffeur et habitant de Zamalek. Il souligne qu’il est impossible pour les filles de se rendre dans les écoles lointaines, puisqu’elles devraient pour cela traverser des plantations de cannes à sucre, où elles sont susceptibles d’être violées ou kidnappées.
Faute de moyens, d’autres parents n’enverraient tout simplement pas leurs filles à l’école si le programme de réintégration ne les aidait pas. « L’école nous fournit les stylos, les livres et les cahiers ainsi que, de temps en temps, des aliments : du sucre, du riz et de l’huile, ce qui fait que nous ne sommes pas obligés de retirer soudainement nos filles de l’école par manque de moyens », affirme Ali Hassanein, paysan. Après six rencontres avec les leaders communautaires, il a compris que l’enseignement des filles peut lui ouvrir d’autres secteurs, plus importants que l’agriculture. « Je suis analphabète et journalier sur les terrains agricoles des autres. Je ne touche que 50 L.E. par jour. J’espère que l’enseignement changera l’avenir de ma fille », dit-il avec un air timide. Nul doute que sa fille lui en sera infiniment reconnaissante. Certains parents comprennent l’importance d’éduquer leurs filles. Farha Al-Chennawi, cette femme médecin spécialiste de l’immunité et âgée de 75 ans, vient d’être décorée par l’ambassade de France. Son père était le cheikh d’Al-Azhar en 1948 et a accepté que sa fille soit éduquée dans une école religieuse des soeurs. Elle se demande si la société égyptienne n’a pas aujourd’hui régressé.
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