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La galère au quotidien

Dina Darwich, Mardi, 26 septembre 2017

La dépression touche près de 1,5 % de la population égyptienne. Les répercussions sur la vie des patients sont graves, et les traitements sont très coûteux.

La galère au quotidien
11 bénévoles prennent part à l'initiative « Parle, tu n'es pas seul » pour aider les dépressifs.

Avec 1,5 million d’Egyptiens atteints de dépression, selon l’Association Egyptienne de la Médecine Psychique (AEMP), la dépression se pose aujourd’hui comme un véritable défi. Troisième maladie la plus répandue au monde, la dépression occupera la première place en 2030, selon le psychiatre Ahmad Okacha, pro­fesseur à la faculté de médecine de l’Université de Aïn-Chams et président de l’AEMP. Un phénomène inquiétant, d’autant plus que la dépression a d’énormes répercussions sur la santé de l’individu, y compris sur sa vie active. D’après le professeur, 11 % des maladies orga­niques sont le résultat de maladies psycholo­giques. « La dépression est parmi les troubles les plus difficiles à soigner, car la maladie a un impact sur tous les organes du corps. Du jour au lendemain, la vie de l’individu se trans­forme en calvaire. Il fait le tour des cliniques à la recherche d’un remède — souvent sans résultat. D’où le recours à un psychiatre en dernier lieu », explique Dr Iman Gabr, direc­trice du service de psychiatrie des enfants et des adolescents au Secrétariat général de la santé psychique.

Souffrant d’une perte d’appétit, de troubles du sommeil et d’une fatigue continue, Sélim, 35 ans, père de trois enfants, a commencé à ne plus avoir envie d’aller au travail. Au fil des jours, cet homme, qui était l’exemple même d’un bon employé, a perdu toute faculté de concentration et toute motivation. Ses absences au travail se sont multipliées et personne — ni ses supérieurs, ni sa famille — n’a compris ce changement de comportement. Criblé de dettes après avoir été licencié, il a fait une première tentative de suicide. Sa famille a alors décidé de l’emmener chez un psychiatre. Une décision difficile à prendre étant donné la crainte de perdre son deuxième travail dans une entre­prise privée à cause du stigma liée à la maladie. « Lors de sa deuxième tentative de suicide, il a pensé à mettre fin aussi à la vie de ses enfants. Il broyait du noir, trouvait que le monde était atroce et voulait sauver ses enfants pour éviter qu’ils ne souffrent », relate la psychologue qui suit actuellement son cas.

Des frais exorbitants

Sélim est loin d’être un cas unique. Selon l’AEMP, 70 % des personnes souffrant de troubles psychiques ne s’adressent jamais à un psychiatre, ce qui peut aggraver leur cas. Le malade passe d’abord par une phase de dépres­sion légère, dont le traitement est à la portée de tout le monde, avant de sombrer dans une dépression sévère qui exige parfois des milliers de L.E. pour être soignée. « S’il est vrai que les 18 hôpitaux du Secrétariat général de la santé psychique offrent des soins gratuits et que cer­tains médicaments sont couverts par l’assu­rance médicale, les prix des médicaments varient entre une quinzaine de L.E. par mois pour un malade atteint de dépression légère et 3 000 L.E. pour un malade dont la dépression est sévère », explique Dr Iman Gaber. Cette somme est dépensée par le patient s’il reçoit un traitement chez lui. Toutefois, s’il est hospita­lisé, le traitement revient plus cher, et c’est alors à l’Etat d’assumer ces énormes frais. Ce dernier paie environ 80 L.E. par jour et par patient, comme nous le confie le Dr Abdel-Hakim Diab, directeur de l’hôpital d’Al-Khan­ka. « Aujourd’hui, le coût du séjour a aug­menté. Autrefois, on calculait uniquement les coûts des repas, alors qu’il existe d’autres charges dont il faut tenir compte, comme le salaire du personnel soignant, les frais d’élec­tricité, etc. Cela veut dire que les frais de séjour d’un patient dépressif hospitalisé dans un hôpital public dépassent largement les 3 000 L.E. », précise Gaber. Afin de réduire ces coûts, il a été demandé, lors de la dernière réforme de la loi relative à la santé psychique, à ce qu’un patient hospitalisé dans un hôpital public soit soumis à un examen médical chaque trimestre, afin de vérifier si son état s’est amé­lioré et de lui permettre, le cas échéant, de sortir de l’hôpital et de poursuivre le traitement chez lui.

Beaucoup de familles évitent les hôpitaux publics, dont les services ne sont pas adéquats, et optent pour des établissements privés. Or, la situation n’y est pas forcément meilleure. Le psychologue Omar Salah estime que le prix d’une consultation au cabinet d’un psychiatre varie entre 250 et 1 000 L.E. suivant la renom­mée du médecin. Quant aux coûts d’un séjour de deux semaines en clinique, ils peuvent atteindre les 24 000 L.E., surtout si le patient dépressif reçoit des séances d’électrochocs. Citons le cas de Jessy, 32 ans, atteinte de dépression suite à la mort de son fils. Elle a séjourné durant six mois dans un hôpital pour éviter le suicide. « La facture a été bien salée, soit 200 000 L.E. De quoi s’acheter une voi­ture », dit son père, homme d’affaires de 70 ans. Une observation partagée par Dr Gaber. Elle estime que la famille dont l’un des membres présente des symptômes de dépres­sion doit être prête à débourser beaucoup d’ar­gent pour sortir de l’impasse. Il s’agit aussi d’éviter que la maladie ne contamine d’autres membres de la famille, suite à la pression qu’elle représente. « On parle alors en psycho­logie d’une transposition des symptômes de la dépression. Une énergie négative qui peut se transmettre facilement », conclut le psycholo­gue Omar Salah.

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