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Le bac sans cours privés, pourquoi pas !

Chahinaz Gheith, Mardi, 02 mai 2017

Autrefois exceptionnels, les cours particuliers sont devenus aujourd'hui largement répandus à tel point de devenir, pour les élèves de terminale, un substitut à l'école. Décrocher son bac sans cours, c'est le défi que se sont imposé quelques rares exceptions. Témoignages de ces élèves pas comme les autres.

Le bac sans cours privés, pourquoi pas !

Tout petit déjà, Youssef Omar a vu les voisins, les cousins, et toutes ses connaissances stresser pour un examen dont il ne comprenait pas la portée, la sanawiya amma ou baccalauréat. L’année du bac, la vie s’arrête pour toute la famille ; une année de dur labeur pour les familles obligées de vivre au rythme des réussites et des souffrances de leurs enfants. Youssef a vécu les joies, les peines, les larmes de chagrin et les soulagements emplis d’allégresse de ses proches et amis. Aujourd’hui, l’année 2017 est son année, c’est à lui de passer le fameux examen, le terrible examen. Mais ce jeune élève de 18 ans ne veut pas faire comme les autres.

Alors que tous ses camarades se sont inscrits dans différents centres de cours particuliers une année à l’avance, pour garantir une place, il a décidé de faire exception à cette règle. Il a voulu décrocher son bac sans avoir recours aux leçons particulières. Pourtant, la résistance est grande. « Est-ce une blague ? », « Comment courir un tel risque ? », « Tu pourrais échouer et redoubler l’année », tels sont les commentaires qu’il a entendus de la part de ses amis et de son entourage.

En fait, Youssef n’a jamais pris de leçons particulières tout le long de son cursus scolaire, mais le bac, c’est autre chose, c’est une épreuve-clé dans le choix de ses études universitaires. « Mon père insistait pour que je prenne des cours. Même mes enseignants se demandaient pourquoi je n’en prenais pas. Moi, je veux prouver à tout le monde que c’est possible de réussir sans prendre de leçons particulières. Je veux aussi être un exemple pour les autres », souligne-t-il.

Car, selon lui, ce qu’il faut avant tout, c’est de la motivation et du travail assidu. « C’est une question de volonté, de persévérance, et surtout de gestion de temps », poursuit Youssef, section scientifique, qui dit compter sur les explications de ses professeurs en classe. « Celui qui est capable de se concentrer et d’assimiler les cours en classe n’a pas besoin de leçons particulières ». Et de poursuivre : « Le problème, c’est que l’enseignement est devenu un produit comme un autre, auquel sont appliquées toutes les stratégies du commerce. La réussite scolaire s’achète, se vend, les clients affluent et tout le monde trouve son compte ! ».

Or, pour ne pas prendre de cours, il faut que l’école fasse son travail. Encore faut-il que les professeurs dispensent des cours de qualité. Or, la plupart d’entre eux ne déploient aucun effort dans les écoles. Mariam Sayed, elle, est élève d’une école privée bien particulière : c’est quasiment la seule qui garantisse aux élèves de terminale la présence de profs qualifiés et disponibles, qui donnent de vrais cours, comme pour toutes les autres années scolaires. « Les professeurs sont là, les cours se font normalement. Ils ne se lassent pas de répéter jusqu’à ce que l’on assimile tout parfaitement. Pourquoi donc aller prendre des leçons particulières ? ».

Une vraie stratégie

Mais il faut tout de même du courage pour prendre une telle décision et passer le bac sans cours. Youssef dévoile aussi sa stratégie pour réviser en montrant comment il est pris dans une dynamique d’apprentissage et de transformation de soi, galvanisé par un projet de vie et des parents encourageants. Viser très haut pour ne pas descendre trop bas, telle est sa philosophie. Très doué en sciences, il est le stéréotype même de l’élève studieux et tente de se donner tous les moyens pour réussir. Dès le début de l’année, il a établi un emploi du temps qu’il suit selon son propre rythme. Une mécanique d’assimilation des cours, ainsi qu’une prise de notes et une révision et connaissances des modalités d’évaluation. Youssef sait comment se concentrer sur ses études, tout en prenant des pauses lorsque c’est nécessaire. Aspirant à faire des études de médecine, le rêve ultime de Youssef est d’être comme le célèbre cardiologue Magdi Yaacoub. « Ce n’est pas toujours facile, mais lorsqu’on comprend que l’on travaille pour son propre avenir, et non pas pour ses parents, tout va bien. Cela vous hisse ou ça vous brise », affirme-t-il.

Comme Youssef, Ibrahim Moustapha a voulu également braver ce grand défi, la seule différence est qu’il est du genre à faire juste ce qu’il faut. « Mes parents n’ont pas les moyens de me payer des cours particuliers. De plus, je n’aime pas prendre de leçons particulières car les études sont déjà pesantes », témoigne-t-il. Ce jeune garçon, partisan du moindre effort, ne rêve pas d’avoir un haut pourcentage, car il compte rejoindre l’une des facultés militaires, surtout qu’il a un corps d’athlète et c’est un grand sportif. « Pourquoi me fatiguer à avoir un haut pourcentage pour enfin terminer des études de médecine ou d’ingénierie et me trouver au chômage. Ce qui marche pour le moment c’est de s’engager dans l’armée ou à l’Académie de police, au moins pour servir et protéger mon pays », souligne-t-il sereinement.

Défaillances des établissements scolaires

Et en rompant le cercle vicieux des leçons particulières, Ibrahim vit pleinement sa vie, alors que tous ses amis sont épuisés et n’ont pas le temps de souffler, car leur emploi du temps est surchargé. « Ils assistent à deux et parfois trois cours particuliers par jour, se sentent lessivés et ont le moral dans les chaussettes. Et les professeurs ne cessent de menacer de les mettre à la porte s’ils ont de mauvaises notes. C’est trop dur, un cauchemar », poursuit-il en gardant la tête froide. Et d’ajouter : « Je n’aime pas faire comme eux, emmagasiner des leçons comme un forcené. Je travaille seulement six ou sept heures par jour, mais plus intelligemment ».

En effet, les leçons particulières se sont tellement répandues que rares sont les élèves qui peuvent se passer aujourd’hui de ces cours, devenus aussi indispensables que chers. Un phénomène qui a pris, au fil des années, des proportions démesurées, et qui constitue indéniablement l'une des taches sur le sombre tableau de l’éducation en Egypte. Véritable phénomène de mode ou réelle nécessité, les cours particuliers, qualifiés également d’« enseignement à la carte », ont pris la place des écoles. Et bien que le ministère de l’Education ait tenté tant bien que mal de contrer leur influence en fermant plusieurs centres, cela n’a guère enrayé l’expansion des cours particuliers. Force est de constater que l’impasse de l’éducation taraude beaucoup de familles issues de la classe moyenne, qui ont toujours fait des économies pour garantir un enseignement de qualité, considéré pour eux comme un moyen d’ascension sociale. On dirait que la valeur de l’éducation se mesure désormais au nombre de milliers de livres égyptiennes déboursées par les parents.

Selon les chiffres de l’Organisme central du recensement et de la mobilisation, la famille égyptienne consacre près du quart de son budget à l’éducation des enfants. Ces cours particuliers absorbent 22 milliards de L.E. par an du budget des familles. Aujourd’hui, avec la crise économique, les conditions d’embauche sont de plus en plus difficiles et la concurrence est forte. Et donc, c’est la course vers les hauts pourcentages. Car, il ne suffit pas de réussir aux examens, il faut le faire avec mérite pour décrocher le sésame. Et pour cause, l’accès aux facultés prestigieuses des universités publiques est de plus en plus difficile pour de nombreux élèves. Or, ce bachotage ne permet plus de former de bons élèves, il ne fait que les préparer comme des bêtes à un concours, et ne règle rien sur le fond.

Dr Kamal Moghis, chercheur au Centre des recherches pédagogiques, pense que le comportement consumériste des familles les conduit à penser que leurs enfants ne pourront réussir sans prendre de cours particuliers. Et ce, d’autant plus qu’ils ne font plus confiance à l’école. Car si défaillance il y a, c’est que l’école n’est pas en mesure de préparer efficacement les élèves aux épreuves du bac. « Résultat : les familles n’hésitent pas à claquer de l’argent pour assurer l’avenir de leurs enfants. C’est le reflet d’un système où celui qui possède de l’argent peut assurer un meilleur avenir à ses enfants », explique-t-il.

Du stress positif

De quoi donner naissance à un système où l’on ne cesse de tenter de se surpasser. Stress, manque de sommeil, crises d’angoisse … Tel est le climat au sein des familles des futurs bacheliers, surtout à l’approche des examens qui débuteront le 4 juin et dureront jusqu’au 24. Les appréhensions ne manquent pas. Même les élèves brillants qui travaillent régulièrement sont anxieux. A l’instar de Fayrouz Al-Sawi, élève en terminale et qui n’est pas une adepte des leçons particulières. En fait, elle suit les traces de sa soeur qui a réussi, il y a deux ans, à décrocher son bac avec un pourcentage de 98 % (lettres) sans avoir suivi un seul cours particulier. On parle ici d’élèves très engagées, motivées, studieuses et en tête de classe. Et ce, grâce à leur mère qui leur a appris dès le cycle primaire comment donner la priorité à leurs études. « L’excellence est l’objectif premier de ma mère qui est toujours présente pour nous soutenir ma soeur et moi. Elle n’était pas derrière nous. C’est à nous de gérer notre temps pour les révisions. Cela nous a donné confiance en nous, car notre mère nous traitent comme des adultes », dit Fayrouz, dont la maman ne cesse de l’encourager en lui répétant qu’elle est capable de réussir avec d’excellentes notes. « La motivation est un puissant facteur de succès. J’ai appris à mes filles à se poser des défis tout au long de l’année, et bâtir en permanence des stratégies alternatives d’apprentissage lorsqu’elles rencontrent des difficultés », signale Hoda, modèle atypique d’une mère, tout en étant soucieuse de l’avenir de ses enfants, leur apprend à ne compter que sur elles-mêmes.

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