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Qui apprend encore le copte ?

Dina Bakr, Mardi, 11 avril 2017

En Egypte, la langue copte continue à être utilisée dans les messes des églises orthodoxes. Mais beaucoup de fidèles la considèrent comme une langue morte, et s'y intéressent de moins en moins.

Qui apprend encore le copte ?
(Photo : Tareq Hussein)

L’ambiance est à la fête à l’institut Hoss Apitchoïsse (zwc `e ` P soic) (éloge au seigneur) à Imbaba pour l’apprentissage de la langue copte. Aujourd’hui, c’est le quatrième anniversaire de son inauguration. Des ballons sont suspendus aux murs et des douceurs sont distribuées aux visiteurs. « Nous voulons que les fidèles comprennent le sens des chants religieux psalmodiés généralement en copte lors des messes et des grandes fêtes. En apprenant cette langue, ils pourront inciter d’autres chrétiens à le faire », dit Pola Soliman, vice-directeur de l’institut. Il poursuit : « La seule condition d’accès à l’institut, c’est d’avoir au moins le bac ou un diplôme technique pour garantir que la personne n’est pas illettrée. Après trois ans d’études, l’élève reçoit un certificat, l’équivalent d’un diplôme universitaire prouvant qu’il maîtrise la langue copte ».

Cet institut dépendant de l’archevêché du Nord de Guiza est le seul à fournir un diplôme accrédité. Il accueille 120 élèves âgés entre 23 et 45 ans et d’autres plus âgés. La plupart d’entre eux habitent Imbaba, d’autres, les quartiers de Mohandessine, Choubra, Madinet Nasr, Marg et Omraniya. « Venir tous les vendredis de 17h à 21h n’est pas une épreuve difficile. Je suis un père de famille responsable de l’éducation de mes enfants, je dois donc connaître la langue copte pour répondre à leurs questions », affirme Yasser, vétérinaire, qui explique la raison pour laquelle il suit ces cours. Aujourd’hui, Yasser est fier des efforts qu’il a déployés car il arrive aujourd’hui à parler en copte avec ses collègues.

A l’institut, les classes ressemblent à des salles de prière. Une soixantaine de personnes ont déjà suivi ces cours. Mina Chaker, l’enseignant, donne un cours aux élèves de première année. Il rappelle les lettres de l’alphabet copte et leurs transcriptions phonétiques, puis il demande à un élève de prononcer un mot composé d’une dizaine de lettres pour s’assurer qu’il le prononce bien. Dans la classe de troisième année, c’est le moment de la pause, pourtant, les élèves continuent de psalmodier un texte religieux en copte. Ils le connaissent par coeur et le chantent avec une facilité déconcertante.

Névine, 41 ans, femme au foyer, est particulièrement heureuse d’apprendre la langue de ses ancêtres. « Au lieu de rester chez moi à regarder la télévision, j’aide l’église en donnant des cours aux élèves de première année, tout en suivant mes cours en troisième année. Je me rends utile à l’église et en même temps je continue mes études », souligne-t-elle. Névine est aussi heureuse de pouvoir aider ses voisins analphabètes dans le quartier d’Imbaba où elle habite. Elle les initie à la lecture et l’écriture et leur apprend même quelques mots usuels en copte.

En fait, la langue copte continue à être utilisée dans les églises orthodoxes d’Egypte. « Les chants religieux interprétés en copte engendrent une atmosphère de spiritualité et d’amour absolu à Jésus à tel point que j’ai l’impression de communiquer avec notre Seigneur et sentir qu’il est parmi nous », affirme Samir Wahba, 37 ans, ingénieur en informatique qui suit des cours de langue copte à l’Institut d’Imbaba. Il a remarqué que chaque mot psalmodié en langue copte garde son vrai sens. Il ajoute que certains cantiques ou psaumes perdent un peu de leur vrai sens religieux, une fois traduits en arabe.

Wahba s’intéresse beaucoup à l’histoire des coptes. Il explique que les bibliothèques de l’église renfer­ment des ouvrages riches sur l’his­toire de cette langue. Selon lui, si les fidèles ne s’y intéressent pas, c’est parce qu’ils l’ignorent.

La langue des Anciens Egyptiens

Au fil des ans, la langue copte a porté plusieurs noms : hiérogly­phique, hiératique, démotique, et enfin, langue copte. C’est la langue que parlaient les Anciens Egyptiens, 3 siècles avant l’arrivée du christia­nisme en Egypte. « Cette langue n’avait rien à voir avec la religion. Elle était parlée par tous les Egyptiens. Au cours du premier siècle, Mar Morcos (saint Marc) est arrivé en Egypte. Et tous les textes sacrés ont été transcrits en langue copte pour permettre aux Egyptiens de se convertir au christianisme », rappelle Bassilios Sobhy, prêtre et vice-doyen de la faculté ecclésias­tique, dont le siège est à la Cathédrale du Caire. En 706, après la conquête arabe, la langue arabe, devenue l'es­sence même de l’islam, s’est répan­due à travers le pays. « A l’époque, les autorités avaient traduit en arabe tous les décrets et lois, et donc les citoyens égyptiens ont été contraints d’apprendre cette langue, et ce, bien avant leur conversion à l’islam », rappelle Kamal Farid, 80 ans, l’un des plus anciens spécialistes de la langue copte. Et d’ajouter : « Le copte est devenu une langue morte, ne subsistant plus que dans une par­tie de la liturgie, et seules les églises orthodoxes continuent à l’utiliser ». Aujourd’hui, le terme copte désigne l’ensemble des chrétiens d’Egypte. A l’église de la Vierge Marie à Héliopolis dans le quartier d’Ard Al-Golf, le prêtre Angelos tient à faire une prière par mois en langue copte. « On honore cette langue qui fait partie de notre patrimoine. Cette langue est notre histoire, et c’est ce qui nous reste de l’Ancienne Egypte », s’exprime-t-il.

Et si dans les églises orthodoxes, les chants religieux sont psalmodiés en langue copte, les prières sont tra­duites en arabe pour permettre aux fidèles d’en saisir le sens.

Farag Sérafim, 39 ans, fait partie de la chorale de l’église de Mar Guirguis à Imbaba. Il confie qu’au fil des ans, la tendance à apprendre la langue copte a nettement régres­sé. « A mon village natal à Minya, j’avais appris à l’église le vocabu­laire de base. Les prêtres étaient là pour nous motiver. Ils nous encou­rageaient à apprendre le copte en nous faisant de petits cadeaux », raconte Sérafim. Il explique que cette langue est utilisée uniquement dans les chants religieux, lesquels ne font pas partie des 7 prières quo­tidiennes que l’on peut faire n’im­porte où, au travail et à la maison. C’est pourquoi beaucoup de per­sonnes ne voient pas la nécessité de l’apprendre. « En plus, la langue copte n’est pas enseignée dans les écoles », poursuit Sérafim, qui se trouve obligé de psalmodier quelques passages des prières en arabe pour attirer les fidèles, tout en les incitant à apprendre le copte.

Quant au père Stéphanos, prêtre à l’église de la Vierge Marie à Fayçal, il révèle que durant les vacances d’été, il se consacre à enseigner le copte. « Je décris souvent la langue copte comme étant une langue riche en vocabulaire où la métaphore joue un rôle important. Je fais tout pour pousser les fidèles à assister régulièrement aux cours, mais il est difficile de convaincre certains de terminer leurs cours en langue copte », poursuit Stéphanos. Il affirme que les cours commencent avec une cinquantaine d’élèves et à la fin du cursus, ce chiffre diminue de moitié.

L’informatique prend le dessus

En fait, les chants religieux inter­prétés en copte sont très longs. Une vseule phrase peut être répétée plu­sieurs fois de suite pour une prière qui dure deux heures.

Qui apprend encore le copte ?
Très peu de gens ont fait le choix d'apprendre la langue copte. (Photo : Tareq Hussein)

Essam, comptable, pense qu’il lui est difficile de demander à son fils d’apprendre cette langue durant les 3 mois de vacances. « Difficile de demander à mon fils d’étudier une quatrième langue en plus des trois autres qui lui sont enseignées à l’école, c’est-à-dire l’arabe, l’an­glais et le français », dit-il. Et d’ajouter : « Les jeunes vivent une époque où l’informatique s’est imposée dans leur vie. Ils désirent plutôt approfondir leurs connais­sances dans les nouvelles technolo­gies que d’aller apprendre le copte ».

En outre, beaucoup de fidèles se demandent pourquoi les chants reli­gieux ne sont pas dits en arabe pour qu’ils puissent les comprendre. Marianne, 30 ans, femme d’un homme d’affaires, souligne que Dieu ne va sûrement pas tenir compte de la langue utilisée lors de la prière, car l’important c’est de comprendre le contenu du livre sacré et d’appli­quer les principes de la religion chrétienne. Marianne ajoute que la jeune génération ne porte aucun inté­rêt à la langue copte, même si les prêtres ne cessent de les inciter à l’apprendre et que dans les églises, des cours sont donnés à titre gratuit. « Il n’y a aucune raison pour conti­nuer à utiliser cette langue morte dans les églises. En supposant que je la maîtrise, ceci ne va rien ajouter à mon CV, le jour où je commencerai à chercher du boulot », commente Mourad, 23 ans. Ce jeune homme a préféré continuer ses études supé­rieures en économie après avoir obtenu une licence, et ce, pour avoir l’opportunité de travailler dans une organisation internationale. Il consi­dère qu’apprendre le copte est une perte de temps. Nader, son ami de 25 ans, est du même avis. Il dit que beaucoup de jeunes ne peuvent pas suivre les prières, car ils ne com­prennent pas le copte. « Ce n’est pas pratique d’aller chercher à chaque fois le sens d’un mot en arabe sur la colonne qui figure dans le livre de prière lors de la messe qui se fait en langue copte », confie-t-il. Et de conclure : « Les fidèles demandent souvent à ce que les prières soient faites carrément en langue arabe ».

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