Mercredi, 24 avril 2024
Al-Ahram Hebdo > Au quotidien >

Le bonheur conjugal, ça s’apprend !

Chahinaz Gheith, Lundi, 13 mars 2017

Des cours pré-matrimoniaux seront désormais dispensés par les églises et les mosquées. Objectif : lutter contre le divorce et garantir l'harmonie au sein des couples. Focus.

Le bonheur conjugal, ça s’apprend !
Les cours de conseils conjugaux seront obligatoires pour les chrétiens qui souhaitent se marier, à partir de juillet prochain.

La sérénité habituelle de l’église Mar Morcos, située dans le quartier de Maadi, est légèrement agitée ce vendredi matin. Environ une trentaine de couples se relaient dans la paroisse qui s’est transformée en un centre éducatif. En fait, avant de se lancer dans la grande aventure qu’est le mariage, les futurs époux ont eu recours à des sessions d’initiation au mariage. Ces leçons sont dispensées dans les églises pour initier les jeunes aux abcs des relations conjugales. Ils ont ainsi l’occasion de réfléchir ensemble sur la liberté d’engagement, la fidélité, la fécondité et l’indissolubilité, les « quatre piliers » du mariage chrétien. Plusieurs thèmes sont abordés, comme la vie affective et sexuelle, l’éducation des enfants, la répartition des rôles, la gestion des conflits, le sens du sacrement du mariage, etc. Des prêtres, des experts et des professeurs d’université dans différentes spécialités sont venus en aide aux jeunes qui ignorent l’importance d’une telle union. Les réunions de dialogues se font en groupe. Durant ces réunions, le prêtre propose un thème et les fiancés doivent le commenter. Chaque cours dure deux heures. « Ces cours de préparation au mariage ont pour objectif une meilleure compréhension de la vie à deux. Les futurs époux ont l’occasion de poser un regard sur le couple et de se recentrer sur la signification profonde de l’engagement du mariage. On y enrichit la vision de soi et de l’autre, on y partage sa confiance, sa valeur, ses inquiétudes et on précise son projet de vie », explique Dr Mona Ramzi, collaboratrice des cours pré-matrimoniaux à l’église Mar Morcos. Et d’ajouter : « On ne leur livre pas de recette toute faite, mais de précieux conseils. Si on aborde certaines erreurs des couples, on parlera sans doute du manque de communication, de la fusion, de la paresse et du refus de la différence ». Selon elle, un conjoint n’est pas un double. Très souvent, les gros conflits sont nourris au quotidien par de petits refus : on n’accepte pas que celui dont on partage l’intimité n’ait pas les mêmes réactions que nous ou qu’il nous surprenne et déçoive par la façon dont il vit et exprime ses émotions. On projette sur l’autre des envies, des attentes, des erreurs de comportement qui, en réalité, sont les nôtres.

Une éducation sexuelle indispensable

Or, un couple est composé de deux personnes différentes et de sexe opposé. Et on sait combien hommes et femmes fonctionnent de manière asymétrique, notamment en matière de communication et de sexualité. Les femmes expriment plus facilement leurs émotions. « Il ne me parle pas assez », « Elle ne voit jamais les efforts que je fais », « Nous n’arrivons pas à avoir d’orgasme ensemble », « Quand je veux, c’est elle qui ne veut pas », etc. sont les plaintes le plus souvent entendues en consultation. Toutes témoignent de ce déni de la différence qui finit par faire du couple un champ de bataille.

En effet, ces cours ne sont pas nouveaux, puisque l’Eglise catholique les dispense depuis plusieurs années. Et si ces cours étaient autrefois facultatifs pour les coptes, l’Eglise orthodoxe les a imposés : à partir de juillet prochain, ce sera obligatoire avant de conclure le mariage. Objectif : éviter le pire après le mariage. Divorce, familles décomposées, familles monoparentales, les jeunes générations sont à la recherche de points de repères. « Presque 80 % des problèmes conjugaux dont on me fait part lors des confessions sont dus au manque d’éducation sexuelle », estime un prêtre responsable de l’épiscopat et qui a requis l’anonymat. Dr Hilal Badiaa, conseiller juridique des églises de l’Est du Caire, pense « qu’il est nécessaire aujourd’hui d’enseigner aux futurs époux la sexualité et la santé reproductive à travers des classes parrainées par l’église, afin de leur donner les moyens de construire une relation durable et riche. Une priorité, voire un antidote, pour éviter la multiplication des mariages nuls et inconsistants, ainsi que les procès de divorce qu’affronte aujourd’hui l’Eglise depuis que le pape Chénouda III a adopté en 2008 la décision nº7 de 1971 en vertu de laquelle aucune autorisation de remariage ne peut être attribuée à celui qui a obtenu un jugement de divorce des tribunaux étatiques pour une autre raison que l’adultère ».

Le bonheur conjugal, ça s’apprend !
Dar Al-Iftaa organise depuis fin 2014 des stages pour former les époux de demain.

Une forme de « maturation au mariage » nécessaire et qui ne va pas se limiter aux chrétiens seulement, car le ministère des Affaires religieuses (Waqfs) vient de déclarer récemment le lancement de stages d’entraînement des imams, afin de sensibiliser les futurs mariés et lutter contre le divorce à travers des leçons de religion des prêches lancés dans les diverses mosquées. Sans oublier non plus la nomination de 144 femmes prédicatrices qui seront au service de la congrégation des femmes qui trouveront dorénavant une oreille attentive et compréhensive sur les problèmes intimes de femmes, d’épouses et de mères. Une étape à une formation moderne des imams et des prédicatrices s’inscrivant dans le cadre d’une réforme initiée par le président Abdel-Fattah Al-Sissi, qui avait appelé, le 24 janvier dernier, à la mise en place d’une législation exigeant que le divorce ne soit valide que lorsqu’il est écrit et non pas prononcé de manière orale. Et ce, face à l’augmentation vertigineuse du taux de divorce en Egypte au cours de ces 50 dernières années, et qui est passé de 7 % à 40 %. Autrement dit, 3 millions de divorces par an, d’après une étude conjointe effectuée par les Nations-Unies et le Centre d’informations et de prise de décision du Conseil des ministres. En 2015, une hausse vertigineuse a été également notée : elle est passée à 199 867. Un chiffre qui classe l’Egypte, selon l’Onu, au premier rang en matière de divorce à travers le monde.

L’imaginaire versus le réel

« De nombreux couples, les plus jeunes en particulier, sont persuadés qu’entre eux, tout doit fonctionner d’emblée. Au moindre problème relationnel ou sexuel, ils concluent que la relation est condamnée. C’est pourquoi ils ne se donnent pas la peine d’essayer de surmonter à deux leurs difficultés », témoigne Dr Amr Al-Wardani, directeur du département de l’entraînement à Dar Al-Iftaa, tout en précisant que les questions concernant le divorce dépassent chaque mois les 3 200 fatwas. Ce qui a poussé Dar Al-Iftaa à entamer cette initiative de cours pré-matrimoniaux depuis la fin de l’année 2014 en organisant trois stages pour former les époux de demain. « Il ne suffit pas d’envisager des remèdes aux échecs conjugaux, mais d’élaborer les conditions de succès des mariages, afin de freiner le nombre important de divorces », affirme Dr Wardani.

Mohamad Ali et sa fiancée ont assisté durant six semaines aux sessions tenues par Dar Al-Iftaa. Ils sont agréablement surpris et émerveillés d’avoir vécu une telle expérience riche et intéressante. Pris dans le tourbillon des préparatifs du mariage, ils ont oublié parfois le sens profond du mariage. Ainsi, ce stage leur a apparu comme une pause nécessaire, une réflexion indispensable pour apprendre l’harmonie d’une famille, le respect de l’autre et la formation d’une relation intime empêchant le divorce. « Ces cours nous ont permis de travailler sur ce qu’impliquent le mariage, ses lois, ses valeurs, et surtout d’apprendre les droits et les devoirs de chaque conjoint selon la charia islamique. Nous avons aussi réussi à débattre sur des sujets épineux et nous avons mis le doigt sur des choses que nous pouvons améliorer pour consolider notre couple », explique-t-il. Même écho chez Mariam Samaan, 19 ans, peu instruite et issue d’un milieu populaire. Elle confie qu’au début, elle était surprise, voire choquée par le cours de sexologie donné à l’église et la manière crue avec laquelle les professeurs abordaient les notions ayant trait à l’intimité du couple. Elle était rouge de honte et n’osait plus regarder son fiancé dans les yeux. Elle est même partie dire à sa maman que l’on manquait de pudeur durant ces cours. Avec le temps, elle a fini par comprendre l’importance de cet enseignement. « Ils nous ont expliqué l’importance de la nuit de noces sur la future relation d’un couple. Si tout se passe bien et que les partenaires s’entendent bien, ils mèneront sûrement une vie harmonieuse, sinon, il faut s’attendre à des situations compliquées », confirme Mariam.

Réticences

Cependant, certains sont entièrement en désaccord avec cette vision de l’éducation et rejettent catégoriquement cette initiative, notamment à cause de l’allusion à l’éducation sexuelle et à la forme de ces cours, leur contenu et la manière de présenter le message à atteindre. « Nous vivons dans une société conservatrice qui considère les sujets relatifs au sexe comme un tabou. Pudeur naturelle, timidité et réserve sont autant de freins. Ces questions ne doivent en aucun cas être abordées devant tout le monde », exprime Ahmad Fawzi, sociologue, natif de la Haute-Egypte, résumant ainsi l’avis de beaucoup de coptes et de musulmans. Pourtant, en se penchant sur l’histoire de l’islam, on constate un phénomène contraire. « Lorsque le prophète a émigré à Médine, il discutait avec beaucoup de liberté avec ses fidèles », rappelle Héba Moustapha, professeure qui, à travers ses lectures de la charia, a découvert que le Coran et les hadiths ont abordé les moindres détails de la relation entre l’homme et la femme dans le couple. Les propos du prophète étaient d’ailleurs très explicites à cet égard.

Toutefois, d’autres s’opposent à la décision de l’Eglise orthodoxe qui a imposé les cours de conseils conjugaux comme étant une condition pour la validité du mariage des coptes. « Ce n’est qu’un moyen pour interdire le mariage, notamment après l’échec à résoudre le problème de milliers de coptes désespérés de ne pas pouvoir obtenir le divorce par le biais de l’église. Ce qui va à l’encontre de la Constitution, qui donne le droit à chaque citoyen de se remarier sans aucune condition », explique Achraf Anis, avocat spécialisé dans les affaires du statut personnel, et qui a intenté un procès pour annuler cette condition. Un avis partagé par Hani Guirguis, qui voit que cette obligation ne réduira pas les problèmes après le mariage et ne ferait que compliquer davantage la procédure. « Le couple doit participer aux cours et n’a droit qu’à deux absences. Celui qui n’obtient pas 75 % à l’examen ne pourra pas se marier. Cours, programme, présence et contrôle, sommes-nous dans une école ? Qu’adviendra-t-il si l’un des fiancés échoue ou s’avère qu’il est analphabète, ou travaille à l’étranger ? », se plaint Nabil Guirguis, fonctionnaire. Quant à Soad Abdallah, 40 ans, femme au foyer, elle est partagée entre scepticisme et espoir. « Je ne sais pas si ces cours vont changer grand-chose. J’espère que cela évitera aux jeunes les problèmes du divorce. Mais tant que les gens ne saisissent pas l’importance de ces cours et les banalisent, à l’instar de ce qui se passe avec l’examen prénuptial, ils ne serviront à rien », conclut-elle.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique