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Violences : Ces enfants qu’on tue et qu’on torture ...

Hanaa Al-Mekkawi, Lundi, 25 février 2013

Depuis la révolution, les mineurs sont fréquemment la cible d’exactions policières. Détenus illégalement, torturés ou exploités, ils restent sans défense face aux crimes dont ils sont victimes.

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Avec un regard plein d’espoir et un ton qui ne manque pas de détermination, Omar, 12 ans, avait confié dans une interview à la société caritative Sonnaa Al-Haya (les bâtisseurs de la vie) qu’il ne pouvait pas se permettre d’abandonner son boulot de vendeur ambulant de patates douces. Omar aspirait juste à un peu de repos et souhaitait retourner à l’école.

Quelques jours plus tard, son regard s’est éteint et sa voix s’est tue pour toujours. Il n’a pu réaliser ce rêve si modeste car il a perdu la vie, atteint d’une balle en plein coeur. Personne ne savait que la vidéo de son assassinat allait être le seul moyen de reconnaître Omar dont les photos aujourd’hui défraient la chronique.

Comme d’habitude, Omar se tenait devant son chariot place Tahrir pour gagner quelques sous et aider son père, lui aussi vendeur de patates douces. Ayant des amis parmi les manifestants, les vendeurs ambulants et même les policiers et les soldats qui veillent à la sécurité du quartier, il a commencé à plaisanter avec un militaire lorsqu’une balle est venue se loger dans sa poitrine. Un accident qui aurait pu passer inaperçu car les victimes de ce genre d’accident sont fréquentes, et les événements dramatiques se succèdent sans fin.

Aucun membre de la police, ni de l’armée, ni du ministère de la Santé n’a mentionné cette bavure, rendue public par des activistes qui l’ont découverte par hasard, dix jours après le décès de Omar. « La pauvreté lui a arraché ses rêves d’enfant et la violence lui a ôté la vie », c’est en ces mots que l’écrivaine Farida Al-Chobachi a décrit ce drame. Cet accident n’est qu’un maillon dans une spirale de crimes contre les enfants par différents procédés avec, en tête, l’arrestation illégale des mineurs.

Depuis la révolution, on constate de plus en plus la présence d’enfants dans la rue : on les voit aux premiers rangs des manifestations, lançant des pierres, criant et courant à toute vitesse pour échapper au danger. Parfois leur présence est incompréhensible comme celle des enfants de la rue ou de ceux qui ne rentrent chez eux que pour dormir, alors que la journée, ils sont livrés à eux-mêmes.

Rien de plus facile que de les classer dans la catégorie des voyous, de les traquer et de les jeter en prison. Qu’ils soient de vilains garnements ou de gentils garçons, leurs intentions diffèrent mais leur point commun, c’est ce scénario répétitif dont ils sont victimes et qui est celui d’une enfance malheureuse et misérable.

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Selon les associations des droits de l'homme, la violence contre les enfants est devenue un phénomène courant. Le ministère de l'Intérieur en assume la responsabilité.

Gaber, malade et maltraité

Il a 14 ans et au lieu de passer son enfance avec ses copains et sesviolences . Depuis la révolution, les mineurs sont fréquemment la cible d’exactions policières. Détenus illégalement, torturés ou exploités, ils restent sans défense face aux crimes dont ils sont victimes.jouets, il doit faire des séances de chimiothérapie. Son plus grand rêve était de guérir et de devenir un enfant comme les autres. Il n’avait jamais imaginé qu’il pourrait être un jour détenu et accusé de porter atteinte à la sécurité du pays en attaquant des agents de police.

Gaber (le prénom a été changé) est atteint du cancer. Natif d’Alexandrie, il a été arrêté lors des manifestations qui ont eu lieu devant le siège de la municipalité lors de la commémoration du deuxième anniversaire de la révolution. « Il n’a été libéré qu’une semaine plus tard. Ce garçon, âgé de 14 ans, a raté deux séances de chimio, ce qui a aggravé son état de santé. C’est le cas le plus affligeant parmi le nombre d’enfants détenus ces deux dernières semaines », regrette Dahlia Moussa, activiste au Centre égyptien des droits sociaux et économiques, qui lui a rendu visite lors de sa détention provisoire.

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Selon les associations des droits de l'homme, la violence contre les enfants est devenue un phénomène courant. Le ministère de l'Intérieur en assume la responsabilité.

Et ce n’est pas le seul cas. D’après les associations des droits de l’homme, la violence contre les enfants est devenu un phénomène courant dont le ministère de l’Intérieur est le principal responsable. « Les exactions ont doublé et la situation actuelle est pire qu’à l’époque de Moubarak », avance Ghada Chahbandar, activiste. Elle ajoute que, depuis la révolution de 2011, près de 1 000 individus ont été détenus illégalement dont le tiers sont des mineurs. La moitié de ces mineurs avaient moins de 14 ans.

Les chiffres concernant les enfants détenus diffèrent. D’après le Centre égyptien des droits sociaux et économiques, il y aurait 134 mineurs détenus, 125 selon la Coalition égyptienne des droits de l’enfant. Selon les témoignages de ces mineurs, de leurs parents et des activistes et avocats, une grande partie aurait été maltraitée physiquement et psychologiquement.

D’après Mahmoud Al-Badaoui, avocat et président de l’Organisation égyptienne d’assistance aux délinquants, les enfants détenus sont souvent frappés brutalement et insultés, ce qui augmente leur haine et leur colère envers cette société qui les torture. Les conséquences sont difficiles à prédire.

L’Unicef, à son tour, vient de tirer la sonnette d’alarme à travers Philipe Duamelle, son représentant en Egypte. Il a affirmé que l’organisation suivait avec inquiétude les cas de mineurs victimes de violence.

Perturbation de la paix sociale, port d’armes, sabotage des biens publics, organisation de regroupements pour faire tomber le régime, attaque contre la police, telles sont en général les accusations portées contre les mineurs.

Moustapha, victime des arrestations arbitraires

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134 enfants mineurs seraient détenus par les services de police, selon le Centre égyptien des droits sociaux et économiques.

Moustapha (le prénom a été changé) n’a jamais participé aux manifestations. Il fait tout son possible pour ne pas perdre son boulot : il a quitté l’école très jeune pour aider sa mère à élever ses frères et soeurs. En rentrant chez lui, avant même de monter dans le microbus, il a été arrêté et emmené de force avec d’autres mineurs qu’il ne connaissait pas. Emmené dans un fourgon blindé, Moustapha, 13 ans, s’est retrouvé entouré de policiers en train de l’insulter et de le frapper.

Accusé d’avoir jeté des pierres sur les forces de sécurité, ce mineur a passé deux semaines en prison. « J’ai appris où se trouvait mon fils par hasard et j’ai été moi-même frappée et insultée par un officier tout simplement parce que je lui ai demandé de voir mon fils. A présent, je réclame le droit de mon fils qui a été battu et enfermé avec des adultes et mon droit à moi », dit la maman de Moustapha, soutenue actuellement par plusieurs activistes et avocats bénévoles. Quant à Moustapha, il est aujourd’hui dans un état lamentable et refuse de sortir seul dans la rue.

Pourtant, il se considère plus chanceux que d’autres. Il a entendu l’histoire de Chérif, le vendeur de kochari de 13 ans qui a quitté ses parents, natifs du sud de l’Egypte, pour travailler au Caire. Chérif se tenait tout simplement debout, derrière un bataillon des forces de sécurité, pour regarder les manifestations. Il a été arrêté et détenu dans un camp de la sécurité centrale. « J’ai été giflé, dénudé, on m’a tiré par les cheveux et les oreilles sans me dire ce que j’avais fait de mal », rapporte Chérif qui a été détenu pendant trois jours.

C’est par hasard que sa mère a appris où il se trouvait. Elle a adressé une demande au procureur général le priant de la laisser voir son fils et de le libérer. « Lorsque je l’ai vu, j’ai eu du mal à le reconnaître tant que son visage était tuméfié et plein de bleues, il avait les yeux tellement rouges. C’est la preuve qu’il a été torturé », affirme sa maman.

Droits bafoués

Selon Ahmad Messelhi, avocat à la Coalition égyptienne des droits de l’enfant, un mineur, qu’il soit fautif ou non, ne doit pas être jeté en prison, il doit être conduit dans une maison de correction et, s’il fait l’objet d’une arrestation, il faut respecter certaines conditions de détention, dont malheureusement personne ne tient compte.

Selon la loi 70, un mineur doit savoir de quoi il est accusé dans les 24 heures qui suivent son arrestation. S’il doit faire l’objet d’une détention, il ne doit pas être enfermé avec des adultes. Et dans les lieux de détention, il faut regrouper les enfants en fonction de leur âge, leur sexe et du genre de délit qu’ils ont commis. Ces jeunes doivent être présentés au Parquet des mineurs et, pour les moins de 15 ans, il est interdit de les mettre en prison. Quant aux personnes qui ne respectent pas ces lois, elles doivent être poursuivies.

« Ce qu’on voit actuellement va à l’encontre des droits de l’enfant stipulés dans les lois égyptiennes et les conventions internationales que l’Egypte a ratifiées. Cependant, il n’y a aucune réaction officielle pour mettre fin à cette violence contre les mineurs. Ce sont uniquement les ONG qui prennent en charge de dénoncer ce genre d’abus », affirme Messelhi.

Il explique que les mineurs sont présents dans les rues depuis le déclenchement de la révolution. Ce sont souvent des enfants qui vivent ou travaillent dans la rue. Ils participent parfois aux manifestations, parfois ils sont exploités en échange d’un peu d’argent. Parfois aussi, ils sont utilisés comme boucs émissaires pour couvrir les vrais responsables des violences dans la rue. « La même politique est appliquée avec les enfants et les femmes, à savoir effrayer les plus faibles pour les éloigner de la scène et les empêcher de participer aux manifestations », poursuit Messelhi.

Mais il semble que la magie s’est retournée contre son propre magicien comme le dit le proverbe arabe. Les funérailles de Omar, le vendeur de patates douces qui circulait dans les rues du Caire, ont mobilisé des centaines de personnes. Les manifestants ont scandé des mots hostiles à l’autorité et ont demandé que justice soit faite. Une preuve que les gens n’ont plus peur, bien au contraire. De tels actes les ont poussés à descendre dans la rue portant les photos de Omar dont les responsables voulaient taire l’histoire.

Malheureusement, il semble que l’histoire de Omar ne sera pas la dernière dans cette série d’abus contre les mineurs. Des scènes de violence contre cette catégorie d’âge ne cessent d’avoir lieu dans les rues ou même au sein des établissements scolaires.

Une enquête a lieu actuellement contre un professeur qui a traité un élève d’athée devant ses camarades d’école. Il portait tout simplement un masque de vendetta et avait déclaré qu’il détestait les Frères musulmans. Mais cette tentative de terroriser l’enfant n’a pas réussi : le père a eu la volonté et l’audace de porter plainte pour dénoncer les faits .

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