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Shazam, héros d’Ismaïliya, héros national

Dina Bakr, Mercredi, 07 octobre 2015

De l'occupation britannique, en passant par la crise de Suez, la défaite de 1967 et jusqu'à la guerre de 1973, Shazam a marqué l'histoire de sa ville, Ismaïliya, par ses actes d'héroïsme. Décédé récemment, sa famille et les habitants de la ville commémorent aujourd'hui son parcours.

Shazam

C’est un commandant britannique qui avait donné à Mohamad Khalifa, assistant en magasins, le sobriquet de Shazam. Ce surnom vient d’un oiseau mythique cité dans la littéra­ture anglaise, toujours prêt à sauter sur sa proie. En effet, durant les années 1940, ce grand résistant avait essayé de tuer ledit com­mandant britannique en se cachant dans un arbre.

Ayant échoué dans sa tentative, il s’était enfui mais fut grièvement blessé au bras gauche par les balles de soldats britanniques. Puis, il s’était réfugié au Caire, plus précisé­ment à Zamalek, chez l’un des sympathisants de la résistance. Aujourd’hui, à quelques mètres de la statue du président Anouar Al-Sadate se trouve celle de Mohamad Khalifa, dit Shazam, fabriquée à partir d’éclats d’obus et d’autres pièces ayant servi durant la guerre. Mohamad Khalifa, l’un des vétérans de la résistance populaire, est mort le mois dernier à l’âge de 87 ans.

Les habitants de la ville d’Ismaïliya gardent en mémoire des récits de ce personnage qui a marqué l’histoire de l’Egypte. Aujourd’hui, pour les habitants de la ville, le nom de Shazam est synonyme de témérité, de force, de sens du devoir et de sacrifice pour sa patrie. Cet homme, analphabète mais doué d’une grande intelligence et d’une mémoire impres­sionnante, « était capable de réciter par coeur des articles de la Constitution datant de l’époque du président Gamal Abdel-Nasser. Il était toujours prêt à sacrifier sa vie pour son pays », se souvient Galal Hachem, 71 ans, l’artiste qui a créé la statue de Shazam.

Un grand résistant

Shazam est avant tout un grand résistant qui s’est illustré dans une ville, Ismaïliya, emblé­matique de l’occupation avec notamment la plus grande base militaire britannique de l’époque au Moyen-Orient. Dans la ville, les habitants ne cessent de relater des actes d’hé­roïsme de ce résistant au point où l’on ne peut plus faire la différence entre mythe et réalité.

« En 1946, mon grand-père avait gardé, en souvenir de Shazam, l’arme qu’il avait récupé­rée suite à une bagarre avec deux soldats bri­tanniques qui tentaient de violer une femme. Shazam a foncé sur eux et les a roués de coups, puis il s’était enfui après avoir demandé à la pauvre dame de courir aussi loin qu’elle pou­vait », raconte Abdel-Rahmane, commerçant à Al-Mahatta Al-Guédida, située dans le quartier arabe à Ismaïliya. Un quartier déshérité durant l’occupation britannique à l’inverse du quartier afrangui (des occupants). Ce geste de bravoure de Shazam avait beaucoup impressionné les habitants de la ville, et les conversations allaient bon train sur ce jeune homme qui n’était pas connu à l’époque, et ils espéraient voir d’autres héros agir de la sorte pour les libérer définitivement de l’occupation et de ses injustices.

« Lorsque j’étais petit, je rêvais de visiter la capitale, mon père voulait me faire plaisir. Mais, il fallait une autorisation des Britanniques pour sortir d’Ismaïliya. C’était très humiliant d’être privé du droit de se dépla­cer librement dans son propre pays », relate Hachem, un natif d’Ismaïliya qui a béni la résistance populaire.

D’autres grands noms sont associés à l’his­toire de Shazam : Gharib Tomy, Al-Bacha, Abdou Al-Hakim et Mahmoud Al-King qui, eux aussi, ont participé à la résistance contre l’occupant britannique. Ces hommes natifs d’Ismaïliya étaient issus de différentes classes sociales, mais étaient unis par un but commun : mettre fin à l’occupation. Tous se sont illustrés par leurs actions de bravoure : voler des armes à l’occupant, les dissimuler ensuite dans des tombes, incendier des véhicules militaires ou des bâtiments stratégiques. Leurs actions sont d’autant plus remarquables que ces hommes n’étaient ni entraînés ni suffisamment équipés en moyens matériels.

Avant 1951, il n’y avait pas d’organisation pouvant rassembler tous les civils qui dési­raient défendre leur patrie. Un an avant la révolution du 23 Juillet 1952, les militaires et la police ont pensé qu’il était nécessaire d’en­traîner secrètement ces groupes de résistance populaire en raison des preuves de patriotisme dont ils avaient fait preuve et leur altruisme au service de la patrie. Au cours de la guerre de 1973, Shazam reçut le titre honorifique de caporal pour s’être distingué de nouveau par son courage. En effet, il participa aux combats dirigés par le colonel Mohamad Al-Fateh visant déloger l’ennemi israélien de la mon­tagne Al-Morr, aujourd’hui renommée Al-Fateh.

Une mémoire vivante

Shazam

Même si aujourd’hui les guerres et les actes de résistance ont pris fin, le nom de Shazam continue de circuler dans les rues d’Ismaïliya. On raconte que, chaque année, ce héros de la guerre avait l’habitude de porter son uniforme militaire dans les occasions de commémora­tions, telles que la Fête nationale et celle de la victoire du 6 Octobre. « La veille des jours qui ont marqué l’histoire, c’était comme la veille du petit et grand Baïram. Mon père se préparait pour l’occasion. Il repassait son uniforme militaire ainsi que le drapeau du commando et ressortait toutes ses médailles pour les accrocher à sa veste. Il se déplaçait à vélo dans la ville, un microphone à la main, il passait sa journée à raconter aux gens ces jours glorieux que la jeune génération ignore », raconte sa fille Hagar, 24 ans, en tenant contre sa poitrine l’uniforme militaire de son père. Beaucoup d’officiers que connaît Hagar lui ont confié que c’était grâce à son père s’ils avaient choisi de faire une carrière militaire.

Le grand héros s’était tellement voué à la cause de sa patrie qu’il a dû reporter l’idée du mariage jusqu’à l’âge de 59 ans. « Il ne tenait pas à se surcharger d’une famille avant que son pays ne retrouve son indépendance. Les gens pensaient que ses enfants étaient ses petits-enfants », lance sa veuve, Oum Abdallah, qui avait 23 ans, lorsqu’elle s’est mariée avec Shazam. Aujourd’hui, elle est fière d’avoir partagé sa vie avec ce grand homme qui l’a séduite par ses récits témoi­gnant de son courage et son intrépidité. « Il répétait souvent à ses enfants qu’à chaque opération, il s’attendait soit à la victoire ou à mourir en martyr », ajoute Oum Abdallah.

Ayant gagné le respect des plus hauts respon­sables, ainsi que des présidents Nasser et Sadate, Shazam fut décoré à plusieurs reprises et reçut de nombreuses médailles et certificats d’honneur étant donné son rôle dans la résis­tance populaire.

Dans une armoire vitrée qui se dresse près de la porte d’entrée de la maison, des coffres en velours sont rangés précieusement. Ils renfer­ment tous les souvenirs de Shazam. Sur l’éta­gère du haut on peut voir son casque, son pis­tolet et son sabre, ainsi que les photos du pré­sident Sadate et Osman Ahmad Osman, ministre et homme d’affaires originaire d’Is­maïliya qui a soutenu les combattants. Le son du Coran envahit les quatre coins de la maison. Une tristesse mélangée à l’ambition de com­mémorer ce père qui a marqué l’histoire. Cette famille attend que Yassine Taher, gouverneur d’Ismaïliya, tienne sa promesse, celle de don­ner le nom de Shazam à une des rues de la ville. « Shazam n’est plus là et ce serait de l’ingratitude que de dire que l’Etat n’a pas honoré notre père. Il a pu avoir une maison, et Anouar Al-Sadate lui a offert à l’époque une voiture. Mais on espère que son nom soit cité dans l’Histoire, ainsi que ceux des autres résis­tants », lance son fils Abdallah, qui tente de rassembler les récits de son père pour les publier dans une biographie documentée, car « après sa mort, nous craignons que les gens oublient ce qu’il a fait pour sa patrie », ajoute Abdallah.

Debout devant la statue de Shazam, Hachem, sculpteur, ne peut s’empêcher d’exprimer son admiration pour ces résistants. « Lorsque j’étais jeune, je voulais tout savoir sur eux, découvrir ce monde plein d’héroïsme, toucher leurs armes et les approcher de près ». Lui-même n’a pas hésité à faire partie des comités populaires, chargés de la sécurité du siège de l’Organisme de la gestion et de la navigation du Canal de Suez lors de la guerre de 1973. « Ces héros nous ont appris qu’il est honteux de fuir au moment où le pays a le plus besoin de nous », conclut Hachem.

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