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Bien-être: Respirez … riez !

Hanaa Al-Mekkawi, Lundi, 31 décembre 2012

Deux ans de tensions et de confrontations politiques ont mis les Egyptiens au bord de la déprime. Voici quelques astuces pour se relever le moral à la veille du nouvel an.

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C’est dans une maisonnette située dans le désert, sur la route Le Caire/Alexandrie, que Ali a choisi de passer une semaine en solitaire. Ce père de famille, directeur dans un journal, a tout plaqué pour venir camper sur sa terre, entouré de paysans et partageant leur travail. « Je suis abattu par les soucis du pays, les nouvelles alarmantes, les différents événements et toute cette situation qui ne veut pas finir. Il me fallait m’éloigner pour ne pas sombrer dans la folie », explique Ali. Ce dernier affirme qu’il est parti travailler dans les champs, non pas pour se reposer, ce n’est pas son but, mais pour trouver d’autres occupations plus épuisantes, pour ne plus penser à rien.
Si certains Egyptiens souffrent de dépression et poursuivent un traitement pour cela, le stress a touché tous les Egyptiens ces deux dernières années, depuis le déclenchement de la révolution du 25 janvier.

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Cette pathologie se répand à tel point que de nombreux citoyens sont persuadés que cette période délicate que le pays traverse n’est pas prête à finir. Ils ont donc décidé de chercher des astuces pour soulager leur déprime. Chacun, selon ses goûts et ses moyens, cherche ce qui peut lui procurer un moment de répit.
Ali se sent mieux lorsqu’il fait un travail qui lui demande un effort physique. En cultivant sa terre et en arrosant ses plantes, il ressent une satisfaction indescriptible. Il ne veut plus regarder la télé, écouter la radio ou lire les journaux. Juste écouter de la musique. « Je ne rate rien. Dès que je serai de retour à la maison et au bureau, j’apprendrai toutes les nouvelles, puisque tout le monde va en parler », affirme Ali, qui ne prend même plus la peine de se raser et n’attache plus d’importance à ce qu’il porte. « Tout simplement, je n’en ai plus envie », poursuit-il. Et c’est ce que répètent beaucoup de citoyens qui, comme lui, n’ont plus envie d’aller chez le coiffeur, d’acheter de nouveaux vêtements, de s’offrir un bon repas ni de se divertir.

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Bref, les Egyptiens semblent avoir perdu l’envie de vivre ou de se faire plaisir.
Deux ans se sont écoulés. Deux ans qui se sont avérés un véritable tournant dans leur vie. Deux ans durant lesquels ils se sont retrouvés complètement immergés dans la politique. Ils ont assumé la lourde responsabilité de devoir faire des choix difficiles. Tout un peuple qui, pendant 30 ans, a été écarté de la politique, s’est retrouvé tout à coup obligé de s’y plonger.

Les plus beaux jours de sa vie

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Soheir, une femme qui ne se souciait guère de la politique, est devenue du jour au lendemain une citoyenne très active. Aujourd’hui, elle se trouve dans un état lamentable. Elle pleure sans raison, et est devenue boulimique. « Le sentiment d’impuissance face à notre situation me tue », dit-elle. Lorsqu’elle se rend un matin à son travail et rapporte à ses collègues qu’elle a passé une nuit blanche à suffoquer, elle découvre qu’elle n’est pas la seule à souffrir. Cette jeune maman de 40 ans a participé à des manifestations pour la première fois de sa vie durant les 18 jours de la révolution. Elle considère ces jours comme les plus beaux de sa vie. Pensant avoir fait son devoir en aidant à faire tomber l’ancien régime corrompu, elle est rentrée chez elle en attendant que la révolution porte ses fruits.

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Mais en constatant que rien ne change et que les choses vont de mal en pis, Soheir est tombée dans la déprime. Une phase de déception qui ne va, cependant, pas durer longtemps. Pour surmonter cette déprime, elle a décidé de prendre le taureau par les cornes : « De nouveau, je suis descendue dans la rue pour participer à des manifestations ou des sit-in. C’était le seul moyen d’extérioriser mes sentiments. En rejoignant les gens dans la rue et en criant avec la foule pour revendiquer les mêmes droits, je ressens de l’énergie et de l’espoir. Je retrouve le moral et cette détermination de poursuivre cette lutte ». Soheir, traductrice, ne rate aucune occasion, même pendant les moments d’accalmie, pour faire une petite visite à la place Tahrir ou au palais présidentiel à Héliopolis.
L’état de déprime des Egyptiens se lit directement sur leur visage comme figé dans une grimace inquiète. Dans leur comportement inhabituellement agressif ou apathique. Dans leurs paroles pleines d’inquiétude face à l’inconnu. Il semble que tout le monde prie pour que Dieu protège ce pays. Même à l’approche du nouvel an, la gaieté n’est pas de mise. Les décorations dans les rues sont timides, les magasins sont désertés par les clients et les vitrines ne foisonnent pas de marchandises. Rues et marchés partagent la même tristesse des citoyens.

Montagnes russes

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Les nouvelles alarmantes pleuvent 24 heures sur 24. Les citoyens commencent leur journée par les nouvelles et les analyses politiques. Toute la journée est rythmée par un flot constant de détails et de précisions sur les réseaux sociaux. Partout, les messages sur les portables relaient les derni&`res nouvelles. Les soirs, les chaînes de télévision font le bilan des événements du jour, orchestrent et accueillent des débats houleux et des invités de toutes tendances qui se lancent des accusations. Dans cette ambiance trop tendue, le citoyen se sent comme une éponge qui ne peut plus rien absorber. Il est saturé par autant de nouvelles. Les cafés, les salles de sport, les cliniques et les psychiatres accueillent de plus en plus de citoyens en recherche désespérée d’une échappatoire. « Depuis qu’on a participé à la révolution, avec l’espoir fou d’améliorer notre situation, notre déception est immense … nos jours ressemblent à la Bourse, un jour au top, avec une bonne nouvelle, et un autre au plus bas. Ces montagnes russes m’ont rendu irritable, je suis prêt à me bagarrer avec n’importe qui dans la rue ou à la maison », dit Nasser, conducteur d’un microbus.
Il explique avoir été mis en rage par le comportement et les décisions du Conseil suprême des forces armées, qui dirigeait le pays après la révolution. Et bien qu’il n’apprécie pas les Frères musulmans, il était content de la victoire de Morsi. Mais les décisions de ce dernier et le débat autour de la Constitution l’ont renvoyé à sa colère première. Après le référendum, il pensait que les choses pouvaient se calmer et qu’il allait enfin connaître des jours meilleurs. Mais la sonnette d’alarme économique le rend fou. Ces deux dernières années ont suffi pour rendre Nasser nerveux au point d’éviter tout contact avec les gens. Pour contrer cela, il s’est finalement forcé à retourner aux terrasses des cafés, entouré de gens qu’il ne connaissait pas. Pour constater que tous les discours tournaient autour du même sujet. Il a alors trouvé asile dans un centre de boxe de son quartier. Il y passe quelques heures par jour, pour se défouler.
Même ceux que l’on a surnommés « parti du canapé » et qui n’ont, soi-disant, jamais particip&´ aux événements, ne peuvent échapper au flux d’informations. Nourane affirme qu’elle ne suit que les films et les feuilletons turcs, mais les nouvelles défilent, de toute façon, en boucle au bas de l’écran. « Je me sens très tendue en ce moment. Pour éviter le stress, je m’occupe de mes enfants en surveillant leurs devoirs », ajoute-t-elle.
Un même objectif et des moyens multiples : retrouver une certaine légèreté et tranquillité d’esprit grâce à des astuces simples mais efficaces. Faire du sport, ne serait-ce que de la marche, voyager, si on en a les moyens, zapper avec une télécommande pour choisir des chaînes comiques, cultiver sur son toit ou sa terre, etc.

La santé psychique n’est pas un luxe

D’autres initiatives individuelles ont été prises, visant à aider les gens à accepter la réalité et à échapper &` la déprime. Alcha est le nom d’un groupe créé récemment par des jeunes qui ont décidé de redonner le sourire aux gens. « On sent que la dépression a touché tous les Egyptiens, alors on cherche à les détendre. C’est aussi important que le travail des activistes », lance Ahmad Alaa, jeune médecin. Avec son frère qui est ingénieur et des amis, ils confectionnent des vêtements sur lesquels sont imprimés des visages souriants et des mots sarcastiques. Ils organisent des spectacles comiques qui traitent de l’actualité avec dérision et présentent ces spectacles dans tous les gouvernorats d’Egypte. « Je remarque que notre audience ne cesse d’augmenter, ce qui signifie que les gens ont besoin de respirer un peu », affirme Alaa.
Hala Sami, spécialiste en développement humain, affirme que plusieurs syndicats et institutions l’invitent à organiser des séminaires visant à aider les gens à vaincre leur déprime. De nouveaux programmes sont diffusés à la radio et à la télé, comme Basmet amal (le sourire d’espoir). Un programme, présenté par le prédicateur Amr Khaled, traite des sujets de la vie quotidienne et tente de redonner de l’espoir tout en s’inspirant de vrais exemples. « Pour rendre nos employés plus heureux, pour aider notre personnel à se sentir mieux et à l’aise », tels sont les termes d’un communiqué distribué dans une entreprise privée à la veille du nouvel an.
« Les Egyptiens ont toujours négligé leur santé psychique, considérant que le traitement de la dépression est un luxe qui ne mérite pas qu’on s’y attarde », dit le psychologue Ahmad Abdallah.
Mais aujourd’hui, les gens déprimés sont légion, et ils ne se cachent plus : ils exigent qu’on les aide ! Abdallah organise des séances de discussions durant lesquelles patients et médecins lisent et discutent des livres de certains philosophes. Abdallah affirme qu’il est, lui-même, déprimé, comme le reste des Egyptiens, et qu’il a besoin de se relaxer. Il explique que ce que les Egyptiens vivent depuis deux ans est « énorme » et qu’il n’est plus possible de continuer ainsi. « Il ne faut pas placer la politique en priorité. Il faut donner plus d’importance à d’autres activités. Nous les hommes, épuisés et au bord de la folie, avons besoin de nous calmer et de nous relaxer », conclut Abdallah, répétant les paroles du philosophe indien Osho.

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