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Désert : L’irrésistible appel des sables

Dina Darwich, Mardi, 07 avril 2015

Il occupe près de 96 % de la superficie de l’Egypte, mais peu sont ceux qui s’y aventurent. Pourtant, quelques passionnés ne peuvent se passer du majestueux Sahara et de ses oasis, imposant un style de vie singulier. Rencontres.

Désert : L’irrésistible appel des sables
(Photo:Bassam Al-Zoghby)

« Le désert d’Egypte est en moi. Je le sillonne avec toujours la même passion depuis plus de 50 ans. La nature s’exprime ici dans toute sa splendeur. Un cocktail de culture et de grands espaces. C’est par­fois long à traverser, mais cela en vaut la peine, car le paysage est splendide. Il s’agit d’un beau livre que cha­cun lit à sa manière : comme un artiste, poète, archéolo­gue ou géologue ... », explique Amr Shannon, peintre de 67 ans. Il a découvert le Sahara à l’âge de 10 ans en allant camper avec son père dans le désert Libyque (occidental). « Les contes que me racontaient les bédouins ont stimulé mon esprit d’artiste. Je ne peux pas oublier cette tasse de thé bien sucrée (signe de généro­sité) qu’ils nous offraient, lorsqu’ils nous invitaient dans leurs tentes modestes. Ces petits détails m’ont beaucoup marqué. Après avoir terminé mes études d’art en Italie, le désert m’a appelé et m’a pris dans ses bras », raconte Amr, qui a toujours cherché à rester proche des étendues de sable.

Désert : L’irrésistible appel des sables
(Photo: Omar Mansour)

Son agenda compte une centaine d’expéditions, envi­ron 13 rallyes, sans compter les films documentaires racontant les histoires du désert, produits par les chaînes BBC et National Geographic. Son sac à dos sur les épaules, Shannon est toujours en voyage. Il ne peut res­ter au Caire plus de trois jours par mois. Ses différents emplois en tant que peintre, guide touristique, organisa­teur de safaris l’ont toujours conduit vers le désert. Les amoureux du safari le considèrent comme leur père spi­rituel. Une passion qui a aussi influencé sa vie privée. Ses projets de mariage ont sans cesse été reportés. Puis à 53 ans, il a rencontré une Suisse qui partage avec lui cet amour du désert.

Désert : L’irrésistible appel des sables
Certains trouvent que le mode de vie calme et prmitif du sahara est le secret de son charme. (Photo : Omar Mansour)

Il estime que dans le désert, les déplacements sont plutôt spirituels que géographiques. « C’est une expé­rience où l’on découvre d’autres faces cachées en nous-mêmes. Le désert est un milieu où la nature domine. Il ne faut pas rater cela, pour se forger l’esprit. C’est là que l’on découvre les qualités et les défauts des individus. Une chose que j’ai constatée lors de mes expéditions avec quelques grandes entreprises. Les masques tom­bent. On découvre qu’un important cadre est en fait un dictateur ou un véritable égoïste », relate Shannon, en ajoutant : « Je pense que si on attachait un peu plus d’importance à la culture du désert, une grande partie de nos problèmes serait résolue. En l’absence d’électri­cité, les bédouins achèvent leurs activités avant le cou­cher du soleil. Ils connaissent donc la valeur du temps et du travail en équipe. Les enfants bédouins connaissent instinctivement les saisons de culture et de récolte. Ils respectent la vie, même s’il s’agit d’animaux. Car ils ont appris que tout être vivant est un partenaire utile dans la vie quotidienne. Là-bas, on ne voit jamais d'enfant mal­traiter un chien ». Il garde en lui un tas de souvenirs et de belles photos du désert Noir avec ses splendides dunes qui frôlent la montagne de Cristal. Il y a aussi le désert Blanc, sans oublier les momies blondes de l’oasis de Bahariya. « Le désert Occidental reste mon lieu de prédilection. A chaque visite dans le désert, je découvre de nouvelles choses. Les sables se meuvent de 30 mètres chaque année. Leurs secrets et leur charme sont inépui­sables. Une source d’inspiration qui ne cesse d’animer mon esprit d’artiste », ajoute Amr, qui a parcouru de long en large les oasis de la Nouvelle Vallée et a formé plus de 500 guides.

Désert : L’irrésistible appel des sables
Le désert blanc est un amalgame de beauté à la fois naturelle et historique. (Photo:Bassam Al-Zoghby)

Amr Shannon n’est qu’un exemple parmi les passionnés du désert, dans un pays où les espaces désertiques occu­pent pourtant la majeure partie du territoire. Selon Omar Mansour Fardi, qui organise des safaris depuis une ving­taine d’années, « si le désert représente plus de 96 % du territoire égyptien, seuls 5 % d’Egyptiens aiment y faire du camping ». Et si les uns sont charmés par la nature du désert, d’autres sont fascinés par les personnes qui y vivent. Comme les pisteurs, guides ou bergers ... Omar Mansour, 41 ans, avocat, confie qu’il fait actuellement le tour du désert pour rencontrer de vieux bédouins. « Grâce à eux, j’ai appris certains secrets du désert. Ils m’ont surpris par leur capacité à se déplacer dans le désert sans boussole et en se référant seulement à la position du soleil. D’autres, rien qu’en palpant le sable, reconnais­sent la région et savent en conséquence comment pour­suivre le voyage sans danger », relate celui qui déploie de grands efforts pour apprendre des bédouins la science des étoiles. « J’ai rencontré un cheikh nommé Belhagui qui a participé, lors de la colonisation anglaise, à l’élaboration de la carte du désert Occidental avec ses circuits et routes », poursuit Omar, qui a appris des bédouins com­ment choisir un emplacement loin des reptiles pour plan­ter une tente. « J’ai aussi appris comment conserver de la viande et contrôler la consommation d’eau. Maintenant avec 6 dattes seulement, je peux rester actif toute la jour­née », raconte l’explorateur qui a suivi des bergers ras­semblant un troupeau de chameaux. C’est un moyen effi­cace pour améliorer ses performances de marche dans le désert, où l’on peut difficilement faire plus de 50 km par jour.

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(Photo:Bassam Al-Zoghby)

Anthropologue avec des bédouines
Chahira Fawzi a parcouru près de 75 000 km dans le désert égyptien. Pendant 12 ans, cette anthropologue a vécu avec des bédouines qui lui ont appris la couture, le tissage des tapis et la fabrication de bijoux. C’est le hasard qui a fait que sa vie soit bouleversée. En 1977, cette étu­diante de l’Université américaine est partie pour un projet autour du lac Nasser. Une tempête a obligé l’équipe à s’arrêter en plein milieu du désert. Bien que les cartes confirment l’absence d’habitants dans cette région, du sud-est de l’Egypte, elle a découvert les tribus d’Al-Bichariya, ayant quitté la Nubie après la construction du Haut-Barrage en 1963. De retour au Caire, elle a changé de voie — elle suivait des études d’économie — pour s’inscrire en anthropologie. L’appel du désert a été le plus fort. Chahira a aidé des bédouins à creuser leur premier puits. Au cours de ses séjours dans le désert, 45 autres puits ont été creusés, à 30 km les uns des autres, une dis­tance de marche quotidienne raisonnable pour un cha­meau. De retour au Caire, elle s’est sentie dépaysée. Aujourd’hui, elle ne se sent ni bédouine, ni Cairote. Pourtant, elle a profité de son expérience dans le désert pour fabriquer des accessoires, des tuniques tradition­nelles et des pièces de meubles inspirées de sa grande passion pour le Sahara. « Ce sont les bédouines qui m’ont inspirée. je leur dois tout », dit-elle.

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Seulement 5% des Egyptiens ont la culture du camping. (Photo:Omar Mansour)

« Ya raqeb Al-Land Cruiser, hanrouh Al-Sahara Al-Bida. And Al-Aïn Al-Khadra min bir Al-Serw isqoni » (toi qui conduit le Land Cruiser, on va aller dans le désert Blanc. A Al-Aïn Al-Khadra arrête-toi pour que je m’abreuve au puits Al-Serw) fredonne en dialecte bédouin Peter Wirth, 45 ans, qui vit dans l’oasis de Bahariya (ouest) depuis une vingtaine d’années. « Ici, on découvre les secrets de la joie. Dans le désert, de simples choses peuvent te rendre heureux. Par exemple, une bouteille d’eau vaut son pesant d’or. J’aime ce rythme de vie lent et relaxant », confie Peter. Vêtu d’un serwal et d’un sédeiri bédouins (une courte djellaba libyque), il vit comme un véritable fils du désert. Il déguste les spécialités de l’oasis, participe aux mariages et aux funérailles, organise chaque année deux départs vers Wadi Hennis, une magnifique vallée, cultivée à l’époque romaine, qui a conservé sa sebkha, le fond d’un ancien lac aujourd’hui asséché. D’origine allemande et marié à une Japonaise, il a quitté la ville pour vivre dans le désert. « C’est un tableau à ciel ouvert. Le climat est magnifique et l’air sain. Où pourrais-je trouver une telle beauté ailleurs ? », explique Peter, propriétaire d’un hôtel à l’oasis de Bahariya et qui a choisi avec sa femme de ne pas avoir d’enfants en l’absence d’écoles convenables dans son environnement de vie.

Désert : L’irrésistible appel des sables
Amr Shannon, un grand passionné du désert qui a déjà organisé 13 Rallyes.

Un avis partagé par Samar, journaliste, qui fuit de temps à autre la ville du Caire et ses embouteillages pour se réfugier dans le désert. Elle confie se sentir libre, quand le sable jaune s’étend à perte de vue. Pour elle, c’est l’endroit idéal pour se purifier l’esprit. « Je médite à l’aube, je marche et mes jambes s’enfoncent dans le sable, comme si toute l’énergie négative était absorbée. Après de tels séjours, je suis prête à reprendre ma vie urbaine au Caire », ajoute-t-elle.

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Les bédouins, une mine de connaissances selon certains. (Photo:Mohamed Mossad)

Thérapie psychique
Selon le psychiatre Nabil Al-Qot, il existe un programme de thérapie dénommé « Breakthrough » qui recourt à des sorties dans le désert. Appliqué depuis les années 1990, il met à l’épreuve les toxicomanes et les incite à découvrir d’autres facettes de leur personnalité en vivant dans des conditions difficiles, faisant face à la faim, à la soif et même à la mort. « J’ai emmené un groupe de toxicomanes dans un camp à Wadi Al-Natroune car je sais à quel point le désert peut avoir un impact sur leur guérison », confie Al-Qot, qui insiste sur la nécessité de profiter du désert dans la thérapie psychique.

D’autres sont fascinés par le désert, mais tentent d’ajouter une touche de modernisme à la beauté du désert. Karim Hossam, 29 ans, ingénieur, organise la première coupe du monde de sand-boarding. « On tente de profiter de cet endroit magique en mettant en valeur tous les sports désertiques, pour encourager les jeunes à se rendre dans le désert et les aider à sortir de la vie classique, en donnant une nouvelle image du désert », lance Karim, qui a hérité cette passion de son père, organisateur de grands rallyes. Avec une tente, un sac de couchage, un GPS et un 4X4, Karim est toujours prêt à partir dans le désert pour un week-end ou de longues vacances.

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(Photo : Omar Mansour)

Malgré le nombre limité de ces passionnés, la passion du désert unifie leurs rangs. Ils ont fondé une ONG intitulée Les Passionnés du désert, qui a pour objectif de jouer le rôle d’intermédiaire entre les oasis et le gouvernement. « On s’est lancé dans plusieurs batailles réclamant la transformation du désert Blanc et le désert Noir en parcs et réserves naturelles », explique Peter Wirth, qui offre à travers cette ONG des stages de conduite des 4x4 pour naviguer dans les sables et respecter la pureté du désert.

A travers l’ONG Sahara, Chahira Fawzi tente, de son côté, de développer les ressources bédouines afin de préserver le patrimoine culturel qui se distingue par la couture et les bijoux. Quant au journaliste Alexandre Buccianti, il ne rate aucune occasion pour défendre la cause de son bien-aimé, le Sahara. Il revendique la nécessité d’éliminer les mines plantées par les Anglais et les Italiens durant la Deuxième Guerre mondiale. « Il existe dans le Sahara égyptien près de 17 millions de mines, soit le quart du nombre de mines existant dans le monde. Une situation qui empêche l’Egypte de profiter d’une grande partie de son désert. Pourtant, elle a été romaine et constituait le panier de nourriture de tout un empire », explique Buccianti, navré d’apprendre que chaque année, des bédouins meurent en marchant sur des mines.

Mais Abdel-Sadeq Al-Badramany, célèbre artiste de l’oasis de Bahariya, continue à chanter au rythme de l’aghul (flûte égyptienne), accompagné bien sûr de la derbouka. Sa troupe bédouine parcourt la planète, en gardienne de ce patrimoine bédouin.

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