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Une main tendue

Chiara-Lou Parriaud , Mercredi, 24 août 2022

Vivre dans la rue est certainement périlleux pour tous les sansabri, il l’est encore plus quand on est mère. Le SAMU social présente à ces femmes une assistance médicale et psychique et tente de faciliter leur réinsertion sociale. Reportage.

Une main tendue
Un des médecins à bord de l’une des fourgonnettes du SSIEG, prodiguant les premiers soins à une femme blessée.

Enfanter dans les toilettes d’une mosquée. Elire domicile dans le recoin d’un garage abandonné, un matelas poussiéreux pour unique mobilier. Devoir vendre ses enfants pour subsister. Ces différentes situations reflètent malheureusement le quotidien des mères contraintes de survivre dans les rues du Caire. Leur situation particulière suscite de nombreux questionnements non seulement sur leur mode de vie, mais aussi sur leurs capacités de réinsertion dans la société égyptienne. Comment envisager la maternité dans la rue ? La réintégration sociale de ces femmes est-elle réalisable ? Quels obstacles ? Quelles opportunités pour s’en sortir ? Le SAMU Social International Egypte (SSIEG), association française dont le but premier est de venir en aide aux enfants et jeunes en situation de rue, est là pour ces femmes. Les actions du SSIEG se déclinent sur plusieurs volets. Une facette médicopsycho- sociale d’abord, à travers des maraudes organisées cinq soirs par semaine.

Depuis 2008, les fourgonnettes blanches du SSIEG sillonnent de nuit les rues du Caire, arpentant des quartiers tels que Sayéda Zeinab, Tahrir ou Doqqi à la recherche d’enfants esseulés. A bord, une équipe constituée d’un médecin et de deux assistants sociaux, dont un chauffeur. Un autre axe s’articule autour de partenariats avec d’autres associations locales ensuite, avec des ONG telles que Banati Foundation, Ana Al- Masry ou Egyptian Association for Societal Consolidation. Avec de tels partenaires, les enfants, en fonction de leurs situations, sont placés dans des centres d’accueil de jour ou de nuit et sont préparés par le SSIEG, afin d’y être intégrés au mieux.

L’association y continue par ailleurs le suivi des enfants, en y organisant des activités, en y envoyant des médecins ainsi que des avocats, afin de régulariser la situation administrative des enfants. « Le nombre de jeunes mères dans les rues augmente. Alors qu’au début de nos opérations, nous avions affaire à très peu de nourrissons, nous nous occupons aujourd’hui d’une quarantaine de nouveau-nés », raconte le Dr Youssef Naguib, directeur des opérations du SSIEG. A bord de l’une de ces fourgonnettes, on peut ressentir de près les efforts déployés pour faire face à l’augmentation des cas de maternité dans les rues du Caire.

Etre à l’écoute

La camionnette part à 18h30 de Maadi. A bord, tout le nécessaire y est : table à langer, placards remplis de médicaments et de pansements, jeux pour enfants, etc. En chemin, le docteur Abdel-Basset Al-Banna explique : « Il peut aussi bien y avoir des mères de 15 ans que de 30 ans. La plupart des jeunes femmes enceintes souffrent de malnutrition sévère ou d’anémie. Celles-ci ne bénéficient généralement d’aucun soin prénatal. Nous essayons donc d’assurer leur suivi en leur procurant des suppléments alimentaires et des ordonnances pour des consultations gynécologiques dans les centres d’accueil de nos associations partenaires. En tant que médecins, nous cherchons aussi à les sensibiliser sur leur santé sexuelle, sur les différents moyens de contraception et sur la planification d’une grossesse », explique-t-il. Et d’ajouter : « Cette facette de notre travail est essentielle, car la plupart d’entre elles n’ont pu recevoir une éducation. Beaucoup souffrent de violences sexuelles et sont victimes de viols. D’autres planifient leurs grossesses, et ont plusieurs partenaires avec lesquels elles entretiennent des relations sexuelles hors mariage. Certaines femmes ne savent même pas combien d’enfants elles ont eu ».


Le Baby Wash, un nouveau programme mis en place par le SSIEG dans quelques centres d’hébergement de ses associations partenaires.

La camionnette s’arrête dans le site de Sayéda Zeinab. Deux femmes tenant des petits dans leurs bras s’avancent et saluent amicalement l’équipe qu’elles connaissent depuis des années. Alors qu’un enfant fiévreux est ausculté par le docteur Abdel-Basset, sa mère, Samah, se confie à l’assistante sociale de l’équipe, Lucy Lamey. Les larmes aux yeux, elle raconte qu’elle est à bout, qu’elle n’arrive pas à nourrir ses enfants correctement et que son mari ne fait rien pour l’aider financièrement. L’assistante sociale reste auprès de la jeune femme et lui procure le soutien psychologique nécessaire.

Une fois de retour à bord du véhicule, Lucy nous explique l’envers du décor de son métier. « Le travail psycho-social effectué auprès de ces jeunes mères est primordial. Certaines sont dépressives, d’autres souffrent de syndromes de stress post-traumatique en raison des violences sexuelles encourues dans la rue. Bien sûr, ce n’est pas le cas de toutes les mères, beaucoup sont dans des états psychologiques stables et veulent travailler pour sortir de leur situation. Mais pour celles en détresse, dont le mari est souvent absent, il faut les soutenir », précise-t-elle.

La jeune assistante sociale détaille ensuite le travail qu’elle effectue auprès des jeunes mères. « Il s’agit principalement d’être à l’écoute de ces jeunes femmes qui sont souvent négligées par leur entourage », explique-t-elle. « En construisant une relation de confiance sur le long terme, les mères sont plus à même d’accepter l’aide que nous leur proposons. Par exemple, dans deux centres d’accueil de jour à Maadi, nous avons récemment mis en place un nouveau projet que nous appelons le Baby Wash. Ce programme permet aux mères des rues de venir laver et de vêtir leurs nouveau-nés, un service-clé pour assurer la bonne hygiène et la santé de leurs enfants », ajoute-t-elle.

Aider à la réinsertion sociale

Etre mère dans les rues du Caire est donc un chemin semé d’embûches. Et il ne s’arrête pas aux affaires du quotidien, mais s’étend également au monde professionnel. En effet, la réinsertion des mères y est complexifiée par la stigmatisation de leur situation. « La société voit ces femmes qui ont eu des enfants par des relations sexuelles hors mariage d’un très mauvais oeil. Elles ne rentrent pas dans les codes sociaux et religieux de la société égyptienne. Les mères des rues que nous connaissons sont au courant de cette stigmatisation et en souffrent fortement. Une partie du travail psychologique que je réalise est donc ancrée dans la reconquête de la confiance en soi », explique Lucy.

Pour les mères qui réussissent à conquérir leur peur du regard de l’autre, de nombreuses barrières à l’entrée de l’emploi persistent. « Dans le secteur professionnel, on se méfie des habitudes que prennent les habitants des rues, comme le vol ou les mauvaises manières. La recherche d’emploi devient donc d’autant plus compliquée, surtout lorsque la femme doit s’occuper d’un enfant en plus de ses recherches », dit l’assistante sociale.

Que faire face à ce blocage social ? Le SSIEG tente d’y remédier avec la mise en place de formations professionnelles au sein des centres d’hébergement. « On aide les jeunes des rues à créer leurs CV, on les prépare à des entretiens d’embauche, etc. Quand elles sont prêtes, on les met en relation avec nos entreprises partenaires telles que Carrefour ou Total, qui les soumettent à des entretiens. Le mois dernier, sur 11 individus ayant postulé chez Total, 5 ont été embauchés. Cela permet aux jeunes, et en particulier aux mères, de voler de leurs propres ailes et de refaire leur vie. Nous proposons par ailleurs aux mères de placer leurs enfants dans des centres d’accueil de jour, afin qu’elles puissent travailler la journée. C’est l’une de nos plus grandes réussites, car elle inscrit notre aide sur le long terme », déclare le docteur Youssef.

« Mais nous avons un rêve », conclutil, les yeux étincelants : « Créer un centre d’accueil d’urgence pour ces filles-mères en partenariat avec le ministère de la Solidarité sociale. Les femmes enceintes pourraient y être suivies. Les mères y poursuivraient des formations pour divers métiers, pour devenir boulangère ou coiffeuse par exemple, afin qu’elles sortent définitivement de la rue et deviennent autonomes ».

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