La nouvelle est tombée jeudi, le Camerounais Issa Hayatou a été détrôné de son poste de président de la Confédération Africaine de Football (CAF), après 29 ans de direction. Les élections de la CAF qui ont eu lieu à Addis-Abeba ont consacré la victoire du sénateur malgache, Ahmad Ahmad, avec 30 voix contre 20 seulement pour Hayatou en lice pour un huitième mandat. « Si vous posez la question à mon équipe, ils vous diront que oui on s’attendait à cette victoire. Moi et les présidents des fédérations avons beaucoup travaillé pendant de longs mois pour parvenir à cette victoire. Nous avons travaillé en équipe et c’est ce qui a fait la différence », a déclaré Ahmad Ahmad, ancien ministre du Sport, quelques minutes après sa victoire, au micro de la chaîne satellite égyptienne ON Sport.
Un changement de fond
Cette élection a mis fin à tout un régime, vu que même les proches de Hayatou, tels que l’Algérien Mohamed Raouraoua, le Malien Amadou Diakité et le Béninois Anjorin Moucharafou ont perdu la direction du comité exécutif de la CAF. « Voilà 29 ans que je suis à la tête de la CAF, mais visiblement certains pensent que je suis vieux et qu’il vaut mieux que je parte ! Sepp Blatter a été réélu à la tête de la FIFA à 79 ans, mais personne n’a semblé en être dérangé ! Je ne veux pas faire de polémique. Si on veut que je parte, eh bien, je pars », a déclaré Hayatou, du haut de ses 70 ans.
Cela fait déjà quelque temps que des tensions flottaient sur la CAF. Hayatou suscite depuis quelques années des rancunes et des colères chez les uns et les autres. Il s’était engagé dans un bras de fer avec la Maroc concernant l’attribution de l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2015. Il était en froid avec le Togo en raison des sanctions imposées contre son équipe en 2010 et avait eu certaines tensions avec l’Algérie, la Tunisie, l’Egypte et Madagascar. Ce n’était donc pas une surprise que de voir la une du quotidien togolais, Forum, dire que cette défaite est « une délivrance pour le football africain ». Le président de la Fédération du Rwanda, Vincent Nzarmwita, a également déclaré : « Nous sommes très contents que le football africain ait été libéré », alors que son homologue swazilandais, Mahlaba Mamba, pense que « c’est un changement qui a pris beaucoup trop de temps ».
Une opposition unie
Depuis février dernier, une force d’opposition à Hayatou était en cours de constitution. Le président de la Fédération du Zimbabwe, Phillip Chiyangwa, vif critique de Hayatou et manager de la campagne d’Ahmad, avait invité les présidents des fédérations à sa fête d’anniversaire où le président de la FIFA, Gianni Infantino, était présent. Hayatou a accusé Chiyangwa d’essayer de déstabiliser la CAF et de bâtir une opposition contre lui. Bien que Chiyangwa et ses invités aient affirmé que cet anniversaire n’avait rien de politique, ce rassemblement semblait être une démonstration de force avant les élections. Bien que seul le président de la Fédération nigériane ait déclaré publiquement son soutien à Ahmad, il était clair que la campagne de ce dernier avait réuni beaucoup de partisans. « On savait qu’on allait récolter entre 30 et 35 voix avant les élections, mais on ne voulait pas le faire savoir pour ne compromettre ni nos chances, ni nos soutiens », avait déclaré Omari Constant, président de la Fédération de la RD Congo et l’un des grands alliés d’Ahmad. « Le président de la FIFA a tenté d’influencer les élections dans le but de servir ses intérêts personnels », a déclaré Manuel Nascimento, président de la Fédération de la Guinée-Bissau et l’un des proches de Hayatou. Le Camerounais n’était pas perçu comme l’un des proches d’Infantino, surtout qu’il avait soutenu son adversaire, le Bahreïni Cheikh Salman Ibrahim Al-Khalifa, lors des élections à la présidence de la FIFA l’an dernier. Maintenant Infantino peut compter sur son nouvel allié Ahmad, qui, en tant que président de la CAF, est devenu par là même vice-président de la FIFA. « Infantino ne m’a pas soutenu. Son poste l’oblige à être neutre dans ce type d’élection. Il m’a simplement félicité après les élections comme un père félicitant son fils, car la CAF est un enfant de la FIFA », a déclaré Ahmad.
L’affaire égyptienne

Ahmad reçoit les félicitations de ses supporters, y compris le président de la FIFA, Gianni Infantino, après sa victoire. (Photo : AFP)
Au moment où Ahmad promettait une CAF plus moderne, transparente et éthique, Hayatou s’est retrouvé mêlé à une procédure judiciaire concernant les droits télévisuels et de commercialisation des compétitions africaines. L’Autorité de la concurrence en Egypte avait entamé une procédure administrative contre la CAF en janvier dernier en raison de la vente exclusive de ses droits à la compagnie française Lagardère Sport jusqu’en 2028, pour une somme de 1 milliard de dollars. L’Autorité de la concurrence a déclaré que la CAF a violé les lois de la concurrence égyptienne, surtout qu’une autre société égyptienne Presentation avait proposé une offre de 1,2 milliard. L’organisme a saisi le procureur général qui a entamé une procédure contre Hayatou et le secrétaire général, Hicham Al-Amrani, devant la Cour économique d’Egypte, le lundi 13 mars.
La CAF a publié un communiqué dans lequel elle déclare que ces allégations sont infondées et s’explique en disant qu'« un accord juridiquement contraignant a été signé par les parties (CAF et Lagardère Sport) en juin 2015 et a été approuvé à l’unanimité par le comité exécutif de la CAF. Il faut préciser que l’offre de Presentation a été soumise en septembre 2016, soit 15 mois après la signature du contrat. Elle ne remplissait pas les conditions financières, techniques, et autres conditions généralement requises pour des transactions de cette nature dans l’univers des droits de marketing et des événements sportifs ». La CAF a vivement critiqué la campagne médiatique menée contre elle. « Le calendrier de la campagne médiatique de l’Autorité de la concurrence égyptienne trahit également sa tentative motivée de perturber et de saper la direction de la CAF au moment où se prépare une élection à sa présidence », précise le communiqué.
Le président de la Fédération égyptienne, Hani Abou-Reida, un proche de Hayatou pendant de longues années, a été l’un des éléments-clés du départ du Camerounais après ces récentes tensions. « Je tiens à remercier Hayatou pour tous ses efforts et j’aurais aimé qu’il sorte par la grande porte, mais cette fois-ci la défaite était lourde. Je suis triste pour lui mais les intérêts de l'Egypte et du football africain priment », a-t-il déclaré au micro d’ON Sport, avec à ses côtés Ahmad Ahmad et quelqu’un de ses supporters. « Si j’ai gagné aujourd’hui c’est parce qu’un grand pays comme l’Egypte a cru en moi », a souligné le Malgache avant de se diriger vers l’assemblée générale pour y tenir son premier discours. « A partir de maintenant, la CAF, notre CAF, votre CAF, commence un tout autre chapitre de son histoire. Elle sera la CAF de tous et elle sera surtout une CAF exemplaire, professionnelle, transparente, moderne dans toutes ses actions, ouverte et tournée vers un avenir exceptionnel et historique ».
Présidents de la CAF
Abdel-Aziz Abdallah Salem (Egypte) : 1957-1958
Abdel-Aziz Moustapha (Egypte) : 1958-1968
Abdel-Halim Mohamad (Soudan) : 1968-1972
Yidnekatchew Tessema (Ethiopie) : 1972-1987
Abdel-Halim Mohamad (Soudan)* : 1987-1988
Issa Hayatou (Cameroun) : 1988-2017
Ahmad (Madagascar) : 2017
*Mohamad a été nommé président par intérim après l’assassinat de Tessema du 18 août 1987 jusqu’au 10 mars 1988, où l’assemblée générale a élu Hayatou à la présidence.
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