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Metaverse : Ahmad Abdulkader : Dans le Metaverse, le ciel est la limite

Samar Al-Gamal, Dimanche, 02 janvier 2022

Ahmad Abdulkader, expert et chercheur émérite à l’Intelligence artificielle de Facebook, examine les différentes pistes futures du Metaverse qu’il décrit comme la nouvelle révolution industrielle. Entretien.

Ahmad Abdulkader

Al-Ahram Hebdo : Qu’est-ce que le Metaverse et à quoi sert-il ?

Ahmad Abdulkader: Le Metaverse est la nouvelle incarnation d’Internet. C’est un Internet 3D. Nous examinons encore à quoi cela ressemblera. Cependant, le prototype est un environnement 3D, très engageant et immersif. La personne aura un personnage et pourra acheter des vêtements virtuels, faire du sport virtuellement et travailler virtuellement. Nous aurons certainement des publicités 3D. Nous aurons un système de paiement. On pourra acheter un billet virtuel pour un concert virtuel, prendre une photo avec une star virtuelle. Le ciel est la limite. A l’image du Real Player One. Ce film n’est pas une grosse exagération, mais c’est superficiel. Les choses seront beaucoup plus profondes.

C’est donc une réplique de la réalité ?

— Oui, mais qui va interagir avec la réalité. Prenons l’exemple de l’usine de voitures Tesla. Je suis un ouvrier qui ménage un appareil, et de l’autre côté il y a un robot qui prendra mes actions et fera exactement comme moi; il traduira mes actions et je verrai les conséquences de ces actions. C’est une interaction et la robotique en fait partie. Tesla Bot fonctionne déjà partiellement. Un ouvrier travaille et le robot réplique. La prochaine étape sera que cet ouvrier soit assis à la maison dans le Metaverse et le travail se fait. Donc, ce qui se fait dans le Metaverse affectera la réalité et vice-versa.

On ne parle pas que de jeux donc …

— Bien sûr que non. La médecine est par exemple un domaine important qui va profiter du Metaverse. La télémédecine est devenue très importante, car il y a une demande et il n’y a pas assez de médecins, surtout à cause des restrictions imposées suite au Covid. Avec le Metaverse, nous pouvons rendre ces expériences beaucoup plus réelles. Avec une presque réelle présence du médecin qui peut examiner le patient à travers des capteurs implantés à travers le corps au lieu de poser simplement des questions au patient. Le téléphone jouera un grand rôle pour mesurer la température du corps par exemple. Toutes les pièces sont là et n’ont plus qu’à être affinées.

L’autre domaine de grande importance est l’éducation, soit avec de vrais éducateurs, soit avec des machines qui se comportent comme tel. Je présume que le Metaverse l’envahira très tôt. Les visioconférences seront comme si nous étions dans la même pièce avec une expérience beaucoup plus riche, cela changera de manière significative.

Il s’appliquera également au commerce. C’est une énorme opportunité commerciale d’autant plus qu’il offre une expérience plus intime et plus riche que l’e-commerce. Certains biens seront virtuels et certains seront pour la vie réelle.

Jusqu’où sommes-nous allés pour atteindre ce nouveau monde ?

Ahmad Abdulkader

— Nous disposons du pivot. La technologie de base est là mais doit encore être développée. En ce qui concerne l’Intelligence Artificielle (IA), nous devons comprendre les langues, les discours. Lorsqu’il y a une audio sur Facebook par exemple, la transcription de la langue enregistre quelques erreurs, surtout lorsqu’il s’agit de termes spécifiques ou d’expressions scientifiques ou de noms propres. Cela nécessite un polissage supplémentaire. Imaginez que vous êtes dans une entreprise pharmaceutique et que la technologie enregistre mal le nom d’un médicament. La technologie actuelle ne fonctionne pas très bien avec les accents non plus. Tout cela doit être amélioré, en particulier le matériel.

L’Oculus est encore très volumineux et nous ne pouvons pas imaginer que les gens se déplaceront avec quelque chose de pareil sur la tête, ils ne seront pas à l’aise pour interagir les uns avec les autres avec d’aussi grands casques. Ceux-ci doivent être plus élégants, peut-être semblables aux lunettes que nous portons. Ray Ban s’est en effet associé avec Facebook et a créé une nouvelle marque, « Ray Ban Stories », une sorte de lunettes de soleil que vous pouvez utiliser pour capter des photos, écouter de la musique, enregistrer des vidéos ou passer des appels téléphoniques. C’est un bon début, ces lunettes ne sont pas chères, elles coûtent environ 300 dollars américains.

Ces casques doivent encore être développés et l’on doit ajouter de la réalité virtuelle (VR) et des capacités pour permettre d’interagir dans ce domaine du Metaverse. Ce sera la prochaine génération. Nous devons donc améliorer le matériel pour qu’il soit plus rapide, polyvalent, plus précis, agréable et élégant. C’est ce petit morceau de technologie qui a encore besoin de modifications. Ce n’est pas une amélioration radicale, mais plutôt un polissage. Je préfère appeler cela des améliorations incrémentielles.

Si la technologie ne vous retient pas, qu’est-ce qui le fait ?

— Ce sont plutôt les caractéristiques du produit ou soi-disant l’identité de la plateforme, comment cela fonctionnera, ainsi que le sujet de la confidentialité qui n’ont pas encore été tranchés. Jusqu’à présent, nous avons deux types de systèmes. Un système d’architecture ouverte qui est vraiment facile à construire comme Androïd. Pas difficile du tout de créer des applications, n’importe qui peut ajouter au système, l’étendre, créer des services. L’avantage ici est que le nombre de contributeurs est bien plus important par opposition à un système très fermé comme l’IOS d’Apple, où il est interdit de changer même la batterie. IOS est un système très fermé. Pourtant, tous ceux qui ont utilisé iPhone diraient que c’est un système beaucoup plus stable.

Il y a des avantages et des inconvénients. La question est donc de savoir quel type de Metaverse nous voulons voir. Un système fermé avec 2 ou 3 entreprises seulement, stables, robustes, sans problèmes de sécurité, où vos données ne seront pas piratées, mais où vous êtes limités à ces compagnies qui contrôlent ou monopolisent (nous voyons déjà comment Apple exerce un contrôle) ? Ou une architecture ouverte, où tout le monde peut utiliser vos données ? C’est l’une des choses les plus importantes que nous devons décider. Ou bien pouvons-nous obtenir quelque chose entre les deux ?

Qu’en est-il de la confidentialité ?

Ahmad Abdulkader

— L’anonymat. Les gens devraient-ils interagir de manière anonyme? Dans les salles de jeux, les joueurs participent et vous ne savez pas qui joue avec vous. Est-ce acceptable dans le Metaverse? Ou à la place, je peux créer un cercle où seules les personnes qui s’identifient peuvent être ajoutées? Ou encore un cercle qui permettrait les deux? Par exemple, c’est une conférence et peu importe qui y assiste. Ou peut-être que c’est un événement social et j’ai besoin de savoir qui est là. C’est ce que nous appelons l’identification numérique et c’est une chose très critique.

De plus, si je fais partie de votre cercle d’interactions et que, pour une raison quelconque, vous avez décidé de me bloquer, puis-je à nouveau avoir accès à vous en changeant d’identifiant? Ou bien quand je suis bloqué, le suis-je pour toujours ? Ou encore y a-t-il quelque chose entre les deux ?

Quels sont les autres problèmes qui n’ont pas encore été résolus ?

— Ce sont des problèmes de conception ou des questions plutôt techniques. Que peut-on vendre dans le Metaverse ? Vêtements virtuels, immobilier virtuel. Que peut-on échanger et dans quelle mesure devrions-nous être autorisés à utiliser la cryptomonnaie et laquelle? Avons-nous besoin de nouvelles législations pour protéger la vie privée, protéger les identités ? Avons-nous besoin d’une infrastructure juridique ? Que faire si un participant porte préjudice ou agit contre la loi? Nous avons encore quelques lacunes.

Mais pourquoi auriez-vous besoin d’un système juridique spécifique au Metaverse, le système juridique qui s’applique aux communications et aux médias sociaux ne serait-il pas toujours valable ?

— Les tribunaux prennent les enregistrements comme preuve, serait-ce la même chose en ce qui concerne le Metaverse? Et si quelqu’un falsifiait une identité? C’est un tout nouveau système et nous ne pourrons pas résoudre tous ces problèmes à la fois, ce sera un processus incrémentiel, comme nous changeons les réseaux sociaux maintenant. La technologie est là, plus ou moins, mais c’est la façon d’assembler ces choses et proposer une plateforme qui ajoute de la valeur aux gens avec des inconvénients minimes et des avantages optimisés.

Mais qui en décidera ?

— Plusieurs entreprises, universités et centres de recherche. Chacun tentera de fixer les normes d’une certaine manière. Facebook est parmi eux, Google aussi et Microsoft. Je suis sûr qu’Apple sera parmi eux, mais ils maintiennent le secret sur leurs propres plans en général. Ils n’annonceront cela que vers la fin. Nous parlons donc des grandes entreprises technologiques. J’estime aussi que des entreprises se spécialiseront uniquement dans le Metaverse, ou quel que soit le nom qu’on lui donnera, avec cela comme seul domaine d’activité. Aucune grande entreprise ne peut se permettre de ne pas en faire partie et la première cible du Metaverse sera la communauté des joueurs.

Pourquoi la communauté des joueurs en particulier ?

— Parce qu’il existe des jeux avec une génération complètement différente qui dépense du temps et de l’argent dans les jeux et interagit et crée des équipes. C’est la communauté la plus facile que le Metaverse va envahir et changer, elle sera donc beaucoup plus réelle. On ne parle pas ici du joystick classique, mais des joueurs de l’IA. Ils vous comprendront sans parler et peuvent interpréter les gestes. Nous pourrions utiliser nos sens et nos mains pour jouer réellement. Il existe désormais une IA qui comprend les gestes, les langues, la parole et les visions. Le jeu passera vers une phase complètement différente qui inclut les sons, les odeurs et les touchers. Ainsi, les compagnies du gaming utiliseront ces technologies et les intégreront dans leurs jeux ou créeront peut-être leur propre IA.

Ce que je veux dire, c’est que dans ce domaine, le Metaverse fera un grand changement. Je pense donc que les compagnies de jeux joueront également un rôle important dans l’établissement de la norme. Et nous verrons de grandes entreprises cherchant à se les procurer. Microsoft l’a déjà fait et possède désormais sa compagnie gaming. D’autres achèteront des entreprises qui fabriquent le matériel; le hardware. Apple a acheté une société de réalité virtuelle ou réalité augmentée afin de définir les normes et les rendre compatibles avec iPhone. Amazon va entrer en ligne avec l’e-commerce et pourrait acheter une entreprise aussi. Facebook est sur le point de se procurer une compagnie de jeux pour s’assurer que son matériel fonctionne bien.

Les sociétés de visioconférence comme Zoom et WebEx recherchent une expérience plus engageante et entreront également sur le terrain.

Qu’en est-il des gouvernements ? Peuvent-ils investir, censurer ou essayer de le contrôler ?

— Je pense que la plus grande partie sera liée à la législation, à la confidentialité et à la responsabilité de l’organiser, de protéger les consommateurs et de définir un cadre pour des questions telles que la durée de conservation des enregistrements, qui y aura accès, etc. Chaque gouvernement a son propre agenda et ses agences de sécurité pourraient essayer de l’espionner comme cela s’est fait avec YouTube, les emails ou les réseaux sociaux. Mais c’est définitivement plus difficile avec le Metaverse, car il est crypté et conçu dès le départ pour être privé.

Tout cela semble ne pas être accessible à tout le monde …

— Il sera certes réservé à l’élite au départ puis sera démocratisé à la fin. Nous aurons du matériel de haute qualité, mais nous en aurons aussi les moins chers, cela prendra du temps mais à terme, ce sera accessible à tous.

Quand vous dites temps, combien de temps pensez-vous jusqu’à ce que le Metaverse soit établi ?

— Un an ou 2, pas plus. Et la technologie s’améliorera avec le temps.

Qu’est-ce qui viendra ensuite ?

— Certains emplois vont disparaître et c’est un gros problème social. Certaines personnes n’auront plus de travail. On a besoin de penser à une solution, politique et sociale. Nous voulons utiliser cette technologie, mais nous ne pouvons pas entièrement prédire son impact social. Le plus grand danger est cet énorme écart technologique entre les pays. L’analphabétisme technologique est dans les pays du tiers-monde, comme le nôtre, nous ne pouvons pas rester à l’écart et nous contenter de consommer; nous devons y contribuer car c’est l’avenir.

Quel genre de contributions nous pourrons y apporter ?

— Le Metaverse est la nouvelle révolution industrielle. Les données sont là, les cours sont disponibles, tout est sur Internet. Nous n’avons plus d’excuses de ne pas rejoindre. Et la demande est forte en matière de recherches sociales, analyses de données et autres et nous avons la main-d’oeuvre, les jeunes. Regardez ce que l’Inde a fait avec le génie logiciel. Nous avons les ingrédients.

Ahmad Abdulkader

est chercheur émérite à l’Intelligence artificielle de Facebook et expert renommé avec plus de 50 publications et brevets sur l’Intelligence artificielle et l’algorithme d’apprentissage automatique. Inventeur de DeepText, fondateur de la reconnaissance optique des caractères et la vérification de BookSearch, il est aussi l’un des principaux créateurs de StreetSmart de Google. Chez Microsoft Corporation, Abdulkader était l’un des pionniers de la technologie de reconnaissance de l’écriture manuscrite qui alimente les appareils Microsoft Surface.

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