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Metaverse : Fracture numérique : Les oubliés du digital

Dina Darwich, Dimanche, 02 janvier 2022

Le numérique est bel et bien installé, le virtuel avance à grands pas. Et pourtant, avec une fracture numérique toujours là, ils sont encore nombreux à être sur la touche. Focus.

Fracture numérique :  Les oubliés du digital
En Egypte, l’accès à Internet n’est pas le même que l’on habite dans une région urbaine ou rurale. (Photo:Mohamed Maher)

Une accélération de la « numérisation des modes de vie » a été observée ces deux dernières années avec la crise du Covid-19. Le « réel » est en train de se déplacer— de gré ou de force — vers le numérique, voire vers le virtuel. Et de plus en plus rapidement. Un casque de réalité virtuelle sur la tête, des manettes entre les mains, et c’est parti. On va peut-être pouvoir assister à un concert assis sur son canapé, prendre part à une réunion avec ses collègues en 3D, ou visiter un musée à l’autre bout du monde, et ce, avec d’autres êtres humains, ou leurs avatars. Incroyable! Au sein de ce monde en mutation où les frontières entre le réel et le virtuel pourraient être brouillées par le Metaverse, certains risquent d’être laissés-pour-compte. L’enjeu est énorme. En effet, l’Union Internationale des Télécommunications (UIT), l’agence spécialisée des Nations-Unies, a averti à la fin de l’année 2019 (suite à la crise du coronavirus qui a mis en lumière cette vérité) que près de la moitié des habitants de la planète— quelque 3,6 milliards de personnes— n’ont pas accès à Internet. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui « la fracture numérique ».

En fait, la fracture numérique, en anglais « Digital Divide », signifie l’écart entre ceux qui bénéficient de l’ère numérique et ceux qui n’en profitent pas. Les personnes n’ayant pas accès à Internet et aux autres Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) sont désavantagées sur le plan socioéconomique, car elles sont incapables ou manquent de compétences numériques de base pour obtenir des informations, faire des achats en ligne, participer à un débat ou transmettre des compétences.

Cet écart se creuse davantage lorsqu’on parle de régions: selon les données du portail Internet World Stats en mai 2020, en Afrique, seuls 39,3% des habitants avaient accès à Internet, contre 87,2 % des Européens et 94,6 % des Américains. Les données montrent le fossé technologique qui sépare certaines régions des autres au niveau du monde, malgré l’accès aux réseaux 3G et 4G, en attendant l’expansion massive de la 5G, atteignant déjà presque tous les coins de la planète.

Dilemme

Ici en Egypte, les chiffres aussi font indice. Selon un rapport publié par le Centre d’information et d’aide à la décision du Conseil ministériel, le nombre d’internautes en Egypte au début de 2021 a atteint environ 59,19 millions de personnes, c’est-à-dire que 40 % des citoyens n’ont pas accès à ce service. Le même rapport a indiqué que 7,36 heures c’est le nombre moyen d’heures que les Egyptiens passent sur Internet en général, dont presque 4,20 heures sur le téléphone mobile, et 68 % du pourcentage d’utilisation des téléphones mobiles est pour naviguer sur Internet, en particulier Facebook, qui est la plateforme la plus utilisée en Egypte, suivie par YouTube, Twitter, Instagram et Pinterest.

Dr Naglaa Rizq, professeure d’économie à l’Université américaine du Caire et experte en matière d’équité dans le domaine technologique, estime que la fracture numérique fait partie de ce qu’on appelle actuellement la fracture de développement entre les diverses sociétés au niveau du monde entier. Ceci serait dû à des lacunes de logiciels comme les infrastructures et les moyens d’accès à Internet (le nombre d’appareils électroniques, les réseaux, etc.). C’est le niveau de base qui va déterminer qui va être exclu, surtout avec l’arrivée du Metaverse.

« Le Metaverse est une technologie basée en principe sur celle du monde virtuel, disposant de ses outils et ses accessoires, afin de s’infiltrer dans une expérience indulgente où l’utilisateur se déplace à l’instar du monde réel. Cette technologie fait face aujourd’hui à un grand dilemme : l’infrastructure des réseaux Internet à travers le monde, car certains pays n’arrivent pas à offrir ce service ou augmenter sa vitesse. Il suffit de citer qu’une seule heure (60 minutes) sur le Metaverse atteint environ 200 gigabytes d’Internet, ce qui équivaut, pour nous en Egypte, le prix de la facture que verse une famille par mois. Pourtant, il existe des essais au niveau du monde pour fournir un service Internet à travers les satellites afin de couvrir tous les pays, améliorer la vitesse du réseau et réduire le prix du service », explique Dr Fathy Chams El-Din, expert en médias numériques.

Un fossé, des fossés

Fracture numérique : Les oubliés du digital
(Photo:AFP)

Pourtant, il existe d’autres critères qui contribuent à intégrer certaines couches de la population privées de l’accès à Internet et, par conséquent, au Metaverse. D’après la professeure Naglaa Rizq, il existe actuellement en Egypte un fossé numérique entre les régions urbaines et rurales, car les services Internet sont plus costauds dans les grandes villes que dans les bourgades lointaines. D’autres critères s’imposent également, tels le genre, l’âge et le niveau d’éducation. Les chiffres d’aujourd’hui indiquent qu’il existe un fossé entre les hommes et les femmes en ce qui concerne l’accès à Internet. Le manque d’accès à Internet et aux TIC touche 52% des femmes et 42 % des hommes dans le monde. Autre exemple en Egypte. Selon des chiffres officiels, 62,1% des utilisateurs de Facebook sont des hommes contre 37,9% de femmes.

« Les marginalisés donc dans ce monde seront ceux qui sont en dehors du système numérique en raison d’un critère géographique, social, économique ou culturel. Ceux-ci vont être mis sur la touche », explique Naglaa Rizq, en citant un exemple: « Dans une famille qui partage une seule pièce et possède un seul ordinateur, c’est souvent le fils qui va disposer d’un accès à Internet ». D’après elle, tous ces critères précisent ceux qui pourraient être écartés de ce nouveau monde, surtout que ce fossé numérique risque de s’élargir davantage et au fur et à mesure que ces variables s’accumulent. En d’autres termes, une femme, par exemple, qui habite dans un village risque d’être écartée de ce nouveau monde. « Ce fossé numérique n’est en fait qu’une réflexion d’un fossé de développement, car il représente ce qui a lieu dans la société », assure-t-elle.

En fait, dans un pays où le taux d’analphabétisme atteint environ 24% de la population (chiffre de l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques, CAPMAS, qui a relevé cette année le slogan Réduire la fracture numérique), il serait difficile pour les personnes analphabètes d’acquérir les compétences élémentaires de base pour l’usage de la technologie ou d’intégrer le Metaverse.

Et ce n’est pas tout. Le revenu familial va entrer en jeu. Les derniers chiffres du CAPMAS sur la répartition du budget de la famille égyptienne montrent que cette dernière consacre 2,9% de ses revenus pour les services Internet, contre 30% pour la nourriture, 18,9 % pour le logement et 6,1 % pour l’éducation. Certains alors n’auraient pas la chance de joindre le Metaverse faute de moyens.

Doucement, mais sûrement ?

Cependant, Dr Kayaty Ashour, professeur de sociologie politique à l’Université de Béni-Soueif, estime que si la technologie entre souvent dans les sociétés par le biais de l’élite économique ou intellectuelle, celle-ci finit par s’imposer. « Au début, le portable et le net étaient le monopole de certaines classes favorisées, aujourd’hui, les smartphones, par exemple, sont à la portée de tout le monde », dit-il. Et d’ajouter : « La nouvelle génération sera plus apte à s’accommoder à cette nouvelle mutation technologique et à pénétrer davantage dans ce monde, car elle est biberonnée au numérique à travers des jeux (Fortnite par exemple), et les jeunes n’ont pas connu le monde d’avant l’apparition d’Internet et du portable. Suite à la pandémie du Covid-19, ces enfants qui ont dû suivre leurs études en ligne seront plus aptes à se lancer dans cette aventure ». Parallèlement, le ministère des Télécommunications est à pied d’oeuvre, il a lancé une initiative intitulée « Our Future … Digital » visant à former 100 000 personnes aux nouveaux métiers du numérique.

Des questions s’imposent toutefois. Le Metaverse, cette nouvelle révolution technologique, va-t-il chambouler nos vies et élargir cette fracture numérique ? Ou la rétrécir? « La technologie pourrait sans doute élargir ce fossé ou peut-être le rétrécir, tout dépend des décisions et des politiques prises par des parties prenantes (stakeholders). Rétrécir le fossé passe pourtant par des formules simples : former les utilisateurs, exposer une technologie simple à la portée de tout le monde, Uber ou Fawry par exemple, prévoir des initiatives d’entraînement et de sensibilisation, etc. », avance la professeure Naglaa Rizq.

Et de conclure: « Ce qui arrive aujourd’hui dans ce monde qui change pourrait être comparé à un train qui roule, des passagers courent pour le rattraper pour monter à bord, d’autres n’ont pas la chance d’embarquer ». Reste à espérer qu’ils finiront par pouvoir sauter dans le train .

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