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Repenser l’urbanisation des villes africaines

Aliaa Al-Korachi , Mercredi, 07 septembre 2022

L’Afrique connaît la croissance urbaine la plus dynamique au monde. Ce qui contraste avec la transformation structurelle lente du continent. Libérer le potentiel économique des villes est l’enjeu majeur des années à venir.

Repenser l’urbanisation des villes africaines

C’est au Caire, l’une des plus grandes métropoles africaines, que la dixième édition du sommet Africités aura lieu en 2025. Organisé depuis 20 ans, ce sommet a lieu tous les trois ans dans l’une des cinq régions du continent. Objectif : construire l’intégration et l’unité de l’Afrique à partir de ses territoires. L’Egypte vient de signer l’accord de l’accueil de cet événement panafricain au cours de la quatrième session du Comité Technique Spécialisé (CTS) de l’Union Africaine (UA) sur les collectivités locales, le développement urbain et la décentralisation, tenue la semaine dernière au Caire. Au cours de cette rencontre, les participants se sont mis d’accord sur la nécessité « d’élaborer une vision africaine unifiée pour tirer pleinement avantage de la transition urbaine rapide de l’Afrique », a déclaré le premier ministre, Moustapha Madbouli, en soulignant que « l’investissement dans les infrastructures est la base pour relever les défis auxquels l’Afrique est confrontée».

L’Egypte devrait accueillir également la 12e édition du Forum urbain mondial (WUF) prévue en 2024. Organisé par Onu-Habitat depuis 2002, ce forum est la principale conférence internationale sur la croissance urbaine et le développement des villes. Quels sont donc les enjeux de l’urbanisation en Afrique ? Et comment orienter cette urbanisation vers le développement économique ? Des questions au coeur du débat en Afrique, le continent dont la population devrait doubler d’ici 2050 et quadrupler d’ici 2100.

Etat des lieux

Une nouvelle géographie urbaine se dessine en Afrique qui connaît actuellement la croissance urbaine la plus dynamique au monde : +4 % par an en moyenne. Le niveau d’urbanisation est passé de 15 % en 1960 à 40 % en 2010, et sera de 60 % d’ici 2050. La forte croissance démographique constitue le principal moteur de cette urbanisation. La transition urbaine en Afrique pose des défis importants mais porte aussi des opportunités de développement, c’est ce qu’explique Aziza Badr, professeure de géographie et de planification urbaine à la faculté des études africaines de l’Université du Caire. « Toutefois, ce rythme d’urbanisation accéléré contraste avec la transformation structurelle lente du continent africain. La contradiction entre tradition et modernité, pauvreté et richesse, planification et mal planification, est l’une des caractéristiques les plus importantes des villes africaines », souligne Aziza Badr. Et d’ajouter : « La pauvreté urbaine figure parmi les défis auxquels sont confrontées la plupart des villes du continent. Ce phénomène gagne du terrain en Afrique à cause de la pénurie d’investissements dans les infrastructures urbaines et industrielles et d’une croissance rapide et incontrôlée des populations urbaines».

Selon Onu-Habitat, l’urbanisation rapide, surtout dans les villes des pays en développement, pose des défis en matière de répartition des personnes et des ressources, ainsi que d’utilisation des sols. Ainsi, l’intégration des quartiers informels dans la ville constitue un autre défi majeur, souligne Aziza Badr. En Afrique, près de 450 millions de personnes vivent dans les bidonvilles. Deux des cinq plus grands bidonvilles dans le monde se trouvent en Afrique : Le bidonville de West Point au Liberia et le bidonville de Kibera à Nairobi, au Kenya. Selon les estimations, l’Afrique a besoin de 170 milliards de dollars par an pour investir dans ses infrastructures, que ce soit dans le secteur de l’industrie, le transport ou l’énergie pour répondre aux demandes accrues de services et de logements.

Par ailleurs, les villes africaines ne cessent de s’étendre alors que la région passe par une période de stress climatique sans précédent. Le réchauffement climatique en Afrique est à 1,5 fois plus rapide que la moyenne mondiale. D’ici à 2050, 200 millions d’Africains pourraient être déplacés à cause des effets des changements climatiques, ce qui pèsera lourdement sur les capacités des villes et de leurs ressources. Depuis juin dernier, plusieurs villes africaines subissent des fortes précipitations suivies d’inondations meurtrières causées par le changement climatique. Selon Aziza Badr, « au-delà de la perturbation des conditions atmosphériques, le déficit d’infrastructures, l’explosion urbaine, la surpopulation et la planification urbaine non adaptée aux systèmes de drainage naturels figurent parmi les raisons qui ont provoqué ces inondations ». Construire des villes durables adaptées aux contextes africains sera parmi les thèmes principaux de la 27e Conférence annuelle de l’Onu sur le climat (COP27) qui aura lieu à Charm Al-Cheikh du 6 au 18 novembre.

Dynamiser le potentiel économique des villes

Les villes sont des moteurs de la croissance économique. Elles représentent plus de 80 % du PIB mondial. Il existe donc un lien entre la croissance urbaine et la croissance du PIB par habitant : le doublement de la taille d’une ville augmente le revenu par habitant de 3 à 8 %. Les pays les plus développés sont les plus urbanisés. Toutefois, en Afrique l’urbanisation s’accélère alors que le niveau de revenu national brut est inférieur à celui d’autres régions du monde.

Selon un nouveau rapport conjoint de l’Organisation de la Coopération et du Développement E c o n o m i q u e s (OCDE) et de la Banque Africaine de Développement (BAD), la transition de l’Afrique vers l’urbanisation n’est pas seulement démographique mais elle entraîne aussi une transformation économique, en créant « des économies d’agglomération ». Selon le rapport, environ 30 % de la croissance du PIB par habitant en Afrique au cours des vingt dernières années sont dus à l’urbanisation. Les travailleurs qualifiés représentent près de 36 % du total des travailleurs dans les zones urbaines, tandis qu’en milieu rural, ils représentent un peu moins de 15 % de la main-d’oeuvre. L’urbanisation améliore également l’accès aux services financiers : environ 49 % des ménages urbains ont un compte bancaire contre seulement 17 % des ménages ruraux.

Par ailleurs, l’urbanisation et l’intégration commerciale régionale sont deux tendances qui pourraient accélérer le changement structurel du continent. Dans ce contexte, les villes africaines pourraient jouer « un rôle de premier plan d’activer l’Accord de la Zone de Libre- Echange Continentale Africaine (ZLECAf) », entré en vigueur en 2021. Cet accord devrait intensifier les échanges entre les pays africains de 50 à 69 %, augmentant ainsi le Produit Intérieur Brut (PIB) africain jusqu’à 44 milliards de dollars. Pour que les villes africaines puissent bénéficier de la ZLECAf, le rapport estime que « les investissements doivent être réalisés dans les villes en fonction de leur rôle dans le commerce régional, en veillant à ce que les petites, moyennes et grandes villes atteignent leur plein potentiel économique. Et que les villes elles-mêmes soient prêtes à tirer pleinement parti des opportunités commerciales émergentes ». Et de conclure : « L’urbanisation rapide de l’Afrique est une opportunité qui ne se présente qu’une seule fois. Les dirigeants africains doivent planifier tôt le développement des villes et la croissance urbaine, car il est parfois trop coûteux, voire impossible, de défaire et de reconstruire la configuration physique des villes une fois que le processus d’urbanisation a eu lieu ».

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