AL-Ahram Hebdo : L’Université Senghor offre des formations pluridisciplinaires. Quel rôle joue-t-elle pour révéler le potentiel et la créativité des jeunes Africains ?
Thierry Verdel : L’Université Senghor est une institution de la francophonie créée il y a plus de 30 ans, avec pour mission de contribuer au développement du continent africain en formant des cadres de haut niveau destinés aux secteurs public et privé et capables d’exercer de hautes responsabilités dans des domaines essentiels pour le développement. Notre rôle est donc de développer les capacités des étudiants que nous formons pour qu’ils soient en mesure d’imaginer, de concevoir, de piloter et d’évaluer des projets de développement. Nous le faisons dans des domaines comme l’administration, la culture, l’environnement et la santé, à travers 9 programmes de master, ici à Alexandrie, et plusieurs autres dans nos campus en Afrique et en Europe. Il s’agit de faire comprendre aux étudiants les enjeux du développement durable dans les domaines que je viens de citer, mais aussi et surtout de leur faire acquérir des compétences en matière de gestion des projets et un savoir-faire qui leur permet de devenir des leaders et des entrepreneurs.

— L’Afrique est actuellement le plus jeune continent du monde. Comment voyez-vous l’avenir des jeunes en Afrique ?
— La jeunesse africaine constitue bien évidemment l’avenir du continent. 60 % des Africains ont moins de 24 ans et on estime qu’en 2050, la jeunesse africaine représentera 35 % de la jeunesse mondiale. C’est dire que la jeunesse africaine compte et va compter dans le monde. Les défis à relever en Afrique sont immenses pour fournir un emploi à tous ces jeunes et répondre à leurs attentes. Les économies africaines ne sont ni suffisamment développées, ni pourvoyeuses d’emplois en nombre suffisant. Les universités africaines n’offrent pas suffisamment de formations adaptées à la demande de travail. L’écosystème entrepreneurial n’est pas assez développé pour leur permettre de s’exprimer et de créer leurs propres activités génératrices de revenu. Pourtant, ce sont eux qui auront à faire aux bouleversements climatiques majeurs qui s’annoncent. L’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) a récemment lancé une grande consultation mondiale de la jeunesse francophone. Celle-ci a montré que les attentes des jeunes portent sur l’entrepreneuriat, l’éducation, puis la culture, l’environnement et l’économie. Cela nous indique bien les domaines où les défis à relever sont les plus importants.
— A votre avis, les efforts déployés par les gouvernements africains en faveur des jeunes sont-ils suffisants ?
— On voit, en effet, de nombreuses initiatives lancées en Afrique en faveur de la jeunesse. Nous-mêmes avons développé un programme de formation destiné aux administrations publiques et aux ONG sur la manière de concevoir, piloter et évaluer une politique et des programmes d’action en faveur de la jeunesse. Aujourd’hui, l’Afrique devance le monde dans certaines technologies, comme le moneybanking qui existe depuis longtemps déjà dans de nombreux pays africains. Mais les efforts déployés sont encore loin de répondre aux besoins. En Afrique francophone, on estime que 20 % seulement de l’offre de formation correspond à une demande du marché du travail. On manque de techniciens et d’ingénieurs. Ce sont donc des transformations radicales qui doivent être initiées et je crois, sur ce point, que l’Egypte peut être un exemple à suivre en Afrique. Les nouvelles filières dans le numérique ou l’intelligence artificielle qui ont été créées sont de nature à donner des perspectives d’avenir à la jeunesse.
— Selon vous, quelles sont les perspectives pour la jeunesse africaine ?
— Il est difficile de mettre dans une seule et même catégorie tous les jeunes d’une même génération. Nous avons bien sûr les jeunes hyper-connectés depuis leur enfance, et ce qu’on appelle la génération Z, mais ceux-là ne représentent en réalité qu’une petite partie de la jeunesse. Alors, il est difficile d’imaginer le futur de toute cette génération. Ce qui est probable, c’est que, en l’absence de solutions proposées par les Etats africains à la hauteur des besoins de ces jeunes, ceux-ci vont devoir innover, et je ne serai pas surpris du fait que les plus grandes innovations technologiques et sociales des prochaines décennies proviennent de l’Afrique..
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