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Ô étranger et autres poèmes

Traduction :Suzanne El Lackany, Mardi, 30 octobre 2012

Le poète Darwish Al-Assiouti revient sur les souvenirs lointains de son village de Haute-Egypte. Il chante la nature, décrit les traits de caractère unique des habitants et suit les traces de ce qui n’est plus. Voici quelques vers extraits de son Œuvre poétique complète.

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Ô étranger

Mon cœur est près de toi, ô étranger,

Dans ton exil, tu en auras l’unique besoin,

Tout ce que tu vois c’est du vide

Et tous ceux qui vivent autour de toi

Sont des pantins, sans cœur.

Ô étranger, reviens,

Tu portais dans ta main quand tu es parti

La graine de la soif

Peut-être que tu as lu un verset de la fuite

Possèdes-tu maintenant autre chose

A part ton puits plein de sable ?

N’as-tu pas seulement ton seau rempli de trous ?

Tout ce que tu vois au départ c’est du vide

Et tous ceux parmi lesquels tu vis

Sont des pantins sans cœur.

Ô toi le voyageur solitaire,

Cherche dans les valises du départ

Qu’as-tu amassé à part la solitude ?

Qu’as-tu porté à part ton sable mort

Et ta neige dure et pesante ?

Ici nous vivons peut-être sans argent

Et nous maudissons la cherté de la vie

Et les partis et nos chaînes.

Les jeunes rêvent de devenir propriétaire d’appartement

Et d’une épouse

Et d’obtenir un de ces contrats

En hiver nous ressentons peut-être la pauvreté

Mais nous sentons surtout la chaleur de ceux qui sont aimés

Quand nous allons par le chemin

Ou quand nous retournons.

Assiout, mars 2006

Une fille, un dattier, un ramier et une lune

Notre village : une montagne vieillissante

Et des maisons de pisé qui évoquent la femme

Des dattiers trompe-l’œil

Des plantes vertes

Et des ramiers déploient leurs ailes

Pour que le soleil s’abrite entre les flancs de la montagne occidentale

Et pour que le soleil revienne se poser

Sur les épaules des maisons de pisé

Le roucoulement

Et des histoires qui évoquent la femme.

Notre village

La fille d’un rêve et de la soie

Qui se couche aux seuils du soir

Chaque veillée

Les tresses de la séduction s’étendent dans la nuit

D’un musc primitif

Les seuils qui évoquent la femme se perdent dans les bonnes choses

Et le souffle d’un murmure

Et les histoires fantastiques.

Une fille

Hantée par les rêves des lunes qui veillent et s’enivrent

Elle rêve d’entrer dans sa chambre

Et dénouer les tresses du désir impatient

Et charmer une fenêtre qui garde le ciel de Dieu

Avec son marbre.

Une fille dont l’amoureux se faufile

Chaque soir

Pour frôler le velours de ses joues

Et dormir sur son marbre.

Il éveille les rumeurs

Et suscite les jalousies de toutes les femmes du monde

Quand il la comble d’éclats, de rencontres et de vagues qui évoquent la femme.

Une lune éprise d’amour

Se faufile par la fenêtre de la fille pour y habiter

Et passe sur le velours de ses joues

Des instants de soie à ramages

Les détails d’un chant

Une lune qui s’engage, chaque soir,

Et laisse une pluie d’argent sur ses coussins

Et les nattes de ses cheveux,

C’est leur rendez-vous et la lune s’absente ensuite

Une fille de lait et de miel

Elle tisse de la nuit de sa beauté une fenêtre de chaînes entrelacées

Qu’elle laisse au ciel de Dieu

D’une joie rayonnante

Une lune d’amour furtive est capturée

Derrière les tentures dressées au-dessus des lits

Caressant le velours de ses joues

Et dormant sur son marbre

Pour que s’étende le chant du coq qui annonce le temps

Pour la détacher de son absence

Et des propos des gens

Tellement jaloux !

Une aube mâle

Et une prière qui évoque la femme

La fille se lève

Et elle ferme la fenêtre du rêve

Elle rassemble tout son charme

Et s’en va dormir.

Une montagne vieillissante

Des maisons de pisé qui évoquent la femme,

Des ramiers,

C’était notre village.

Assiout, 2-10-2008

En attendant des chimères

Les souvenirs de mon enfance au village viennent m’enlacer

Là-bas, où les hommes sont des hommes

Et les femmes sont des femmes

Chaque créature y est appelée par son nom

A nous la nuit

Et la lune, à l’ombre de nos arbres, et les nuages,

Les contes des filles dans la soirée

Narrés, petit à petit, par des langues inspirées

Et la bonté des visages d’autrefois est si généreuse

Qu’elle fait chaud au cœur

Dans le partage de la nuit, du rêve et des chants.

Au petit matin, la ronde des corps célestes se libère

Le scintillement des étoiles nous est volé

La joie des visages riants aussi

Chacun doit forcément se taire

Le train du départ nous sépare

Puis nous nous rencontrons dans la foule

La peur fait partager l’ombre des compagnons

Et la joie sur les visages d’autrefois

Et les espoirs.

Nous passons

Le long du chemin nous échangeons l’incertitude

Contre le froid et les frissons

Et quelques visages étrangers, quelques fenêtres et affiches.

La joie faisait fleurir le cœur des rivages

Combien de navires accostaient puis partaient

Est-ce qu’ils vont nous prendre jusqu’aux paradis

Ou planter les cœurs au milieu des soirées de ceux qui sont séparés …

Le chant des rames est une illusion

Et le bruit des rames contre l’eau est encore une illusion

Le cri des mouettes est chimère

L’attente est un suicide.

Le vaste espace qui se termine à la naissance des origines est une illusion

Et le désir du paradis perdu dans ton cœur est imaginaire

Que cache ton attente des chimères ?

L’eau n’apporte rien

Rien que la brume qui égare

Rien que des dédales et des chemins brisés …

Te voilà, ayant donné ta vie à l’eau

A la mer, au rivage et à l’attente

Tu as recueilli seulement le sel

Et les espoirs

Et quelques coquillages.

Et toi qui as créé le voyage des bateaux à l’horizon

Toi qui as laissé le rivage imaginer

Que les navires vont venir sûrement

Chargés de topazes.

Toi qui as revêtu l’illusion d’espoirs

Pour que des épines de centaurée fleurissent dans le cœur…

Pour qui portes-tu aujourd’hui l’habit des grands jours ?

Le doute ne fait pas renaître le visage des compagnons disparus

Les vagues n’apportent pas la chaleur des maisons

Aucune voile n’apparaît au loin

Tous les mouchoirs sont mouillés de larmes

Et toutes les mains s’enfoncent dans l’eau.

Qu’il est long le chemin

Dans la confusion de la passion

Quand il est impossible pour toi de retourner

Et qu’il est difficile de fuir.

Une fleur

Au poète Kilani Hassan Send

D’une même tige verte pointe une épine

Et la fleur s’ouvre

Malgré le parfum, malgré le soleil et les efforts du jardinier

L’épine demeurera épine

Et la fleur restera une fleur.

De la tige généreuse de notre ville

Tu es venu

Une saison de vie et d’amour

Un temps d’abondance

Tu étais la fleur qui nous enivrait

De poésie et de chants.

Nous étions une épine entre tes deux mains

Perçant ton cœur de peines et de douleurs

C’est si cruel de blesser d’une épine la joue d’une fleur

Tu étais pourtant comme la fleur

Donnant le parfum d’une trace de blessure

Et quand tu es passé comme les fleurs passent

En touchant la terre tu lui as donné leur essence

Et le parfum demeure

Le chant poétique demeure toute la vie

Ton alphabet reste le chapelet des poètes pauvres

Et les paroles sont gardées dans notre nuit comme une lune.

Tu retournes à la terre généreuse

Et au bon vieux Nil

A la maison de pisé, au village,

Et aux gens de Thamoud.

Repose-toi enfin

Trouve le sommeil des meilleurs des fils de la terre

Tu nous as beaucoup manqué, ô toi dont le prénom serait aussi Le Juste,

Sache que celui qui se trouve sur le chemin de notre amour

Reviendra un jour, aussi longtemps que durera son exil.

Le cosmos est en moi

Je suis le cosmos,

En moi prend source l’immortalité,

Un fleuve de soumission

Où nagent les soleils

Qui éclairent les isthmes

Pour révéler ce qui sera après mon passage

Et ce qui a été, avant moi.

Je suis le cosmos

Mon cœur est la lie de l’existence

Et l’éclat de la révélation.

Je suis le cosmos

Dès l’instant de la création

Et le passage du silence de l’instant immobile

Vers l’adoration des anges autour de moi !

Je suis le cosmos

Par la tyrannie du tourment j’entre parmi ce temps

De néant

Et je sais que je serai néant

Malgré l’illusion de l’existence

La seule éternité est à Celui qui dit : Sois

Et qui obligea tous les anges à se prosterner

Tout autour de moi .

Darwich Al-Assiouty

Darwich Hanafi Darwich, dit Darwich Al-Assiouty, est poète, comédien et metteur en scène de théâtre. Né le 6 août 1946 dans le village de Hamamiya près d'Assiout, il est diplômé de l'école du commerce de Aïn-Chams. Il travaille ensuite dans l'éducation nationale. Il se marie en 1978 et a aujourd'hui cinq enfants. Installé à Assiout après quelques années passées au Caire, il pratique depuis le début de ses années de fac un militantisme en faveur des causes socialistes et humanistes. Il a présidé l'antenne régionale du parti nassérien, qu'il quitte en 1998 pour se dédié pleinement à la littérature.

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