Ô étranger
Mon cœur est près de toi, ô étranger,
Dans ton exil, tu en auras l’unique besoin,
Tout ce que tu vois c’est du vide
Et tous ceux qui vivent autour de toi
Sont des pantins, sans cœur.
Ô étranger, reviens,
Tu portais dans ta main quand tu es parti
La graine de la soif
Peut-être que tu as lu un verset de la fuite
Possèdes-tu maintenant autre chose
A part ton puits plein de sable ?
N’as-tu pas seulement ton seau rempli de trous ?
Tout ce que tu vois au départ c’est du vide
Et tous ceux parmi lesquels tu vis
Sont des pantins sans cœur.
Ô toi le voyageur solitaire,
Cherche dans les valises du départ
Qu’as-tu amassé à part la solitude ?
Qu’as-tu porté à part ton sable mort
Et ta neige dure et pesante ?
Ici nous vivons peut-être sans argent
Et nous maudissons la cherté de la vie
Et les partis et nos chaînes.
Les jeunes rêvent de devenir propriétaire d’appartement
Et d’une épouse
Et d’obtenir un de ces contrats
En hiver nous ressentons peut-être la pauvreté
Mais nous sentons surtout la chaleur de ceux qui sont aimés
Quand nous allons par le chemin
Ou quand nous retournons.
Assiout, mars 2006
Une fille, un dattier, un ramier et une lune
Notre village : une montagne vieillissante
Et des maisons de pisé qui évoquent la femme
Des dattiers trompe-l’œil
Des plantes vertes
Et des ramiers déploient leurs ailes
Pour que le soleil s’abrite entre les flancs de la montagne occidentale
Et pour que le soleil revienne se poser
Sur les épaules des maisons de pisé
Le roucoulement
Et des histoires qui évoquent la femme.
Notre village
La fille d’un rêve et de la soie
Qui se couche aux seuils du soir
Chaque veillée
Les tresses de la séduction s’étendent dans la nuit
D’un musc primitif
Les seuils qui évoquent la femme se perdent dans les bonnes choses
Et le souffle d’un murmure
Et les histoires fantastiques.
Une fille
Hantée par les rêves des lunes qui veillent et s’enivrent
Elle rêve d’entrer dans sa chambre
Et dénouer les tresses du désir impatient
Et charmer une fenêtre qui garde le ciel de Dieu
Avec son marbre.
Une fille dont l’amoureux se faufile
Chaque soir
Pour frôler le velours de ses joues
Et dormir sur son marbre.
Il éveille les rumeurs
Et suscite les jalousies de toutes les femmes du monde
Quand il la comble d’éclats, de rencontres et de vagues qui évoquent la femme.
Une lune éprise d’amour
Se faufile par la fenêtre de la fille pour y habiter
Et passe sur le velours de ses joues
Des instants de soie à ramages
Les détails d’un chant
Une lune qui s’engage, chaque soir,
Et laisse une pluie d’argent sur ses coussins
Et les nattes de ses cheveux,
C’est leur rendez-vous et la lune s’absente ensuite
Une fille de lait et de miel
Elle tisse de la nuit de sa beauté une fenêtre de chaînes entrelacées
Qu’elle laisse au ciel de Dieu
D’une joie rayonnante
Une lune d’amour furtive est capturée
Derrière les tentures dressées au-dessus des lits
Caressant le velours de ses joues
Et dormant sur son marbre
Pour que s’étende le chant du coq qui annonce le temps
Pour la détacher de son absence
Et des propos des gens
Tellement jaloux !
Une aube mâle
Et une prière qui évoque la femme
La fille se lève
Et elle ferme la fenêtre du rêve
Elle rassemble tout son charme
Et s’en va dormir.
Une montagne vieillissante
Des maisons de pisé qui évoquent la femme,
Des ramiers,
C’était notre village.
Assiout, 2-10-2008
En attendant des chimères
Les souvenirs de mon enfance au village viennent m’enlacer
Là-bas, où les hommes sont des hommes
Et les femmes sont des femmes
Chaque créature y est appelée par son nom
A nous la nuit
Et la lune, à l’ombre de nos arbres, et les nuages,
Les contes des filles dans la soirée
Narrés, petit à petit, par des langues inspirées
Et la bonté des visages d’autrefois est si généreuse
Qu’elle fait chaud au cœur
Dans le partage de la nuit, du rêve et des chants.
Au petit matin, la ronde des corps célestes se libère
Le scintillement des étoiles nous est volé
La joie des visages riants aussi
Chacun doit forcément se taire
Le train du départ nous sépare
Puis nous nous rencontrons dans la foule
La peur fait partager l’ombre des compagnons
Et la joie sur les visages d’autrefois
Et les espoirs.
Nous passons
Le long du chemin nous échangeons l’incertitude
Contre le froid et les frissons
Et quelques visages étrangers, quelques fenêtres et affiches.
La joie faisait fleurir le cœur des rivages
Combien de navires accostaient puis partaient
Est-ce qu’ils vont nous prendre jusqu’aux paradis
Ou planter les cœurs au milieu des soirées de ceux qui sont séparés …
Le chant des rames est une illusion
Et le bruit des rames contre l’eau est encore une illusion
Le cri des mouettes est chimère
L’attente est un suicide.
Le vaste espace qui se termine à la naissance des origines est une illusion
Et le désir du paradis perdu dans ton cœur est imaginaire
Que cache ton attente des chimères ?
L’eau n’apporte rien
Rien que la brume qui égare
Rien que des dédales et des chemins brisés …
Te voilà, ayant donné ta vie à l’eau
A la mer, au rivage et à l’attente
Tu as recueilli seulement le sel
Et les espoirs
Et quelques coquillages.
Et toi qui as créé le voyage des bateaux à l’horizon
Toi qui as laissé le rivage imaginer
Que les navires vont venir sûrement
Chargés de topazes.
Toi qui as revêtu l’illusion d’espoirs
Pour que des épines de centaurée fleurissent dans le cœur…
Pour qui portes-tu aujourd’hui l’habit des grands jours ?
Le doute ne fait pas renaître le visage des compagnons disparus
Les vagues n’apportent pas la chaleur des maisons
Aucune voile n’apparaît au loin
Tous les mouchoirs sont mouillés de larmes
Et toutes les mains s’enfoncent dans l’eau.
Qu’il est long le chemin
Dans la confusion de la passion
Quand il est impossible pour toi de retourner
Et qu’il est difficile de fuir.
Une fleur
Au poète Kilani Hassan Send
D’une même tige verte pointe une épine
Et la fleur s’ouvre
Malgré le parfum, malgré le soleil et les efforts du jardinier
L’épine demeurera épine
Et la fleur restera une fleur.
De la tige généreuse de notre ville
Tu es venu
Une saison de vie et d’amour
Un temps d’abondance
Tu étais la fleur qui nous enivrait
De poésie et de chants.
Nous étions une épine entre tes deux mains
Perçant ton cœur de peines et de douleurs
C’est si cruel de blesser d’une épine la joue d’une fleur
Tu étais pourtant comme la fleur
Donnant le parfum d’une trace de blessure
Et quand tu es passé comme les fleurs passent
En touchant la terre tu lui as donné leur essence
Et le parfum demeure
Le chant poétique demeure toute la vie
Ton alphabet reste le chapelet des poètes pauvres
Et les paroles sont gardées dans notre nuit comme une lune.
Tu retournes à la terre généreuse
Et au bon vieux Nil
A la maison de pisé, au village,
Et aux gens de Thamoud.
Repose-toi enfin
Trouve le sommeil des meilleurs des fils de la terre
Tu nous as beaucoup manqué, ô toi dont le prénom serait aussi Le Juste,
Sache que celui qui se trouve sur le chemin de notre amour
Reviendra un jour, aussi longtemps que durera son exil.
‑
Le cosmos est en moi
Je suis le cosmos,
En moi prend source l’immortalité,
Un fleuve de soumission
Où nagent les soleils
Qui éclairent les isthmes
Pour révéler ce qui sera après mon passage
Et ce qui a été, avant moi.
Je suis le cosmos
Mon cœur est la lie de l’existence
Et l’éclat de la révélation.
Je suis le cosmos
Dès l’instant de la création
Et le passage du silence de l’instant immobile
Vers l’adoration des anges autour de moi !
Je suis le cosmos
Par la tyrannie du tourment j’entre parmi ce temps
De néant
Et je sais que je serai néant
Malgré l’illusion de l’existence
La seule éternité est à Celui qui dit : Sois
Et qui obligea tous les anges à se prosterner
Tout autour de moi .
Darwich Al-Assiouty
Darwich Hanafi Darwich, dit Darwich Al-Assiouty, est poète, comédien et metteur en scène de théâtre. Né le 6 août 1946 dans le village de Hamamiya près d'Assiout, il est diplômé de l'école du commerce de Aïn-Chams. Il travaille ensuite dans l'éducation nationale. Il se marie en 1978 et a aujourd'hui cinq enfants. Installé à Assiout après quelques années passées au Caire, il pratique depuis le début de ses années de fac un militantisme en faveur des causes socialistes et humanistes. Il a présidé l'antenne régionale du parti nassérien, qu'il quitte en 1998 pour se dédié pleinement à la littérature.
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