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Un poème
J’appuie le dos contre l’arbre
De ta mort
Pour retrouver le repos à son ombre …
Il faut savoir que l’arbre n’est pas irrigué
De larmes,
Mais tout s’y fane
Et devient aussi sec que la table qui grandit
Là-bas.
Là-bas
Où la terre te ronge
Dans la monotonie
Et grignote le temps
Comme un apéritif, hors-d’oeuvre.
Comme des atomes de sel
Tandis que l’odeur de la décomposition
S’exhalera
Je n’aurai pas peur
Le mouvement des vers au fond de mon corps
Mouvement qui se calmera au fur et à mesure
Va la faire disparaître aussitôt.
Je sentirai mes entrailles, immobiles,
Ces intestins enroulés sur eux-mêmes,
Puis ce sera le noir total
Une longue obscurité
Et un silence.
Me voici tirant vers moi le ciel
Les étoiles s’approchent
Comme des atomes de sel sur un châle noir,
Je le serre chaque fois très fort autour de mes épaules
Et le sel se dissout alors
Dans mon corps.
Oui, tu peux
En marchant de l’autre côté du miroir
Et non pas devant le miroir,
Au-dessus de la hauteur de l’édifice
Et non pas sous l’édifice,
Tu découvriras l’affection de tes amis,
Par une épreuve passagère,
En traversant le champ du sommeil et le coucher
Et en troublant la quiétude stagnante
Tu recherches une chose dans ton armoire
La même dont tu as retiré une vraie valise.
Maintenant tu peux connaître le sommeil
En évitant les coups de bec d’un corbeau sur ta tête
Toute la nuit
Et les fourmis qui tracassent tes pieds
Comme un pain dur
Sur le lit.
Tu peux voir sans lunettes
Et ne me fais pas savoir si tu as vu
Autre chose à part
Des étoiles.
L’inachevé
Nous ne ferons pas de vieux os ensemble
Les vieilles veines de tes mains ne trembleront pas
Pendant que tu photographies une image en passant,
Un oiseau qui boit un peu de l’eau d’une rivière,
En un clin d’oeil.
Tu n’arrêteras jamais de fumer
Tu ne feras pas un voyage à Beyrouth …
Nous n’allons pas nous préparer ensemble
A vieillir et mourir.
Comme si l’hôtesse de l’air annonçait
La chute imminente de l’avion
Et que nous échangeons
Les dernières confidences stupides
On dirait une histoire d’amour d’un navet romantique.
Ou bien préfères-tu mourir en gardant un grand secret
Que tous les spectateurs du mauvais film connaissent
Sauf l’héroïne elle-même, vedette du rôle principal,
Et qui est assise près de toi ?
Dictaphone
Tu as dit qu’une couleur
Rose près de l’odorat te fait
Penser
Aux fraises.
Tu cueillais les mots frais
Comme un jardinier qui porte un panier
Plein de fruits d’histoires.
Il aurait fallu que j’enregistre toutes tes paroles
Pour arroser mes oreilles avec tes mots
Chaque matin.
Enchères
Dans mon coeur des tables et des chaises se bousculent …
Seul le grand canapé de la peur est absent de ce lieu.
Qui changera ces meubles ?
Qui ose vendre le vieux mobilier
Sans besoin d’une vente publique aux enchères ?
Dans vingt ans
Quel sera ton âge, je me le demande, dans ce temps à venir ?
Cinquante-sept ans.
Maintenant je comprends
Pourquoi tu as regardé devant toi,
Un regard fixe pour longtemps.
Volontairement, tu es resté silencieux.
Chaque soir
Habillée de noir,
Collée au fauteuil,
Je les attends,
Je les reçois,
Ils vont partir, je les salue,
Avec un visage prêt à recevoir des baisers de compassion
Alors que tout le côté gauche est crispé comme par un picotement de fourmis,
Je les attends
Je les accueille
Et les salue au moment de partir
Ces thermomètres venus chez moi pour mesurer les degrés de la tristesse.
Rouge à lèvres
Trois jours
Sept jours
Quarante jours.
Trois mois
Six mois
Une année entière …
Le deuil,
Je ne mets plus jamais du rouge à lèvres.
Décalage horaire
Une tasse
Un téléphone
Un seul drap de bain …
Deux manteaux serrés
L’un près de l’autre
Dans le placard
Rêvent encore de l’hiver qui viendra.
Laisse-moi chercher
Au fond de cette vieille poche,
Tu y as peut-être oublié tes deux mains …
Fuite
Je module ma voix
Afin de bien l’exercer à prononcer ton prénom
Pour que ton nom ne reste pas suspendu à mes cordes vocales
Comme un linge lavé oublié au balcon.
L’objet de tissu, le linge,
Qui pense s’enfuir
Dans l’atmosphère.
L’employée des archives
Les papiers font une pile,
Deux piles.
Les piles de paperasse empêchent l’air de passer
Les bords qui gondolent
Suscitent un doute léger,
Les feuillets semblent se reproduire et grimper haut
Tout autour de moi
Tels des gratte-ciels.
Les bouts de mes doigts s’y enfoncent
Pour ressortir noirs de poussière.
Mais que fait donc là-bas l’employée des archives ?
Que fait-elle derrière la mémoire
Quand elle sort la tête
Cachée derrière ce vieux bureau ?
L’employée des archives ne fait rien,
Rien du tout, rien que ça :
Elle observe tout le temps les longs doigts
De ses mains avec précaution et minutie.
Ton père qui es au ciel
Tous ces sièges inanimés au coeur de la pièce
Des fauteuils affaissés sur ma poitrine
On dirait un sifflement de ces fauteuils couchés
A plat ventre
Qui me perce les oreilles :
Si seulement elle avait eu un enfant de lui avant cette mort !
Mais est-ce que j’aurais pu supporter la question douloureuse d’un fils unique
Pour devoir lui répondre avec l’accent de l’habitude :
« Ton père qui es au ciel … »
Le jour approche de la fin
Autour de quatre verres de thé
nous échangeons quelques phrases finales
Angela renverse ensuite
un verre chaud
sur sa main qui tremble.
Nous ne possédions aucune preuve de l’apparition
de l’ange de la mort
qui s’approche de ses victimes.
Le pauvre serveur — seulement lui — protestait
à cause de cette séance
de clôture.
Enervé, il s’est mis à tout nettoyer.
Il n’avait pas aperçu quelques plumes
éparpillées sous la table,
en un calme imperceptible.
Normes
Près du théâtre romain
J’ai aperçu une chaise en plastique
Accrochée au-dessus d’un arbre.
Je pointais l’index vers la cime de l’arbre.
On a ri. Et un groupe a dirigé l’objectif de l’appareil photo vers le ciel.
Une autre chaise fut trouvée près de moi immédiatement après mon retour
De la mort.
C’était sa chaise vide, vacante, posée à l’envers.
Contrairement aux normes rationnelles
Un arbre peut très bien pousser dans le désert
On peut aussi accrocher au-dessus de ses branches une chaise
Sans forcément braquer les appareils photo.
Des deux côtés de la route
Même si le creux de la main saigne
Tout en luttant contre des branches enchevêtrées
Des deux côtés de la route
La logique ne me fera jamais voir de reproches dans les regards.
Je vais seulement tendre les deux mains vers toi
Pour que tu y déposes un baiser …
Et qu’est-ce que je pourrais faire en ce moment ?
Moi l’éternelle incomprise .
Gihan Omar
Née en 1971, elle a obtenu une licence de philosophie de la faculté des lettres de l’Université du Caire et prépare actuellement une thèse de magistère sur la généalogie des valeurs chez Nietzsche. Elle a déjà publié Aqdam khafifa (des pas légers) aux éditions Charqiyat en 2004, Qabl ann nakrah Paolo Coelho (avant de détester Paolo Coelho) en 2007 (traduit en français par Suzanne El Lackany aux éditions l’Harmattan) Puis, elle a publié Soura hadissa (une photo récente), et enfin Ann tassir khalf al-meräate (et si vous passez de l’autre côté du miroir) aux éditions Al-Aïn 2013. La poétesse a été invitée en 2010 à une résidence d’écrivains de 6 mois en Corée par l’Institution coréenne pour l’édition. Elle a participé à un certain nombre de festivals de poésie comme la conférence de la poésie arabe contemporaine en Syrie en 2008.
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