Culture > Littérature >

Taher Al-Berenbali : L’injustice sociale en rime

Traduction de Suzanne El Lackany, Mardi, 02 juillet 2013

Poète de l’arabe dialectal, Taher Al-Berenbali éternise dans ses vers les militants de la révolution du 25 janvier : Ahmad Douma, emprisonné pour avoir humilié le pouvoir. Et Mina Daniel, martyr du massacre de Maspero en octobre 2011.

Empreinte d’un régime sur un système passé, mais aussi actuel

Au milieu de la répression d’une jeunesse, clarté et lumière ont insufflé une révélation

Douma, a-t-on vraiment des ennemis quand il s’agit de justice ?

Toute ma vie, je lave mes péchés et je fais tout pour sortir de l’enlisement du bourbier.

La gloire est aux martyrs et aux poètes, et au peuple qui a amèrement bu le calice jusqu’à la lie.

Un peuple qui dit continuellement sa souffrance d’être incapable de changer l’état des choses.

Il est certain que le fiel de toutes ces années se retirera malgré l’avènement du pouvoir actuel.

Douma, lève-toi tôt le matin et lave-toi la figure

Et vis une vie faite de joies

On se représente l’image établie et rien ne pourra te leurrer.

La fin d’un acte, un rideau tombe, l’injustice est apparue nue.

Avec des fleurs et des roses les patries seront plus belles et plus tendres.

Rien n’est au fond très grave, Douma, ni même fatalité !

Ces créatures ont étouffé tous ces cris retenus durant de longues années

Jamais ces êtres n’avaient pensé à faire entendre l’écho de leurs cris

Taher Al-Berenbali
Graffiti répandu dans les rues égyptiennes : « Nous sommes tous Mina Daniel ».

Chacun fait ce qu’il peut en portant la marque de son passé,

Le fossé qui sépare l’être libre révolté

De l’homme vil et lâche qui tremble de tous ses membres devant la révolution

Est énorme, Douma, toi le poète

Aux sentiments frêles comme la soie

Tu devras saluer la cellule aux parois infiniment limitées

Car cette cellule est beaucoup plus honorable

Que la cellule de la prison qui nous encercle et nous serre dans les muscles de ses bras

Annonçant l’honneur de la douleur, de la révolution, du changement,

Il faudrait peut-être dire merci pour cette nourriture amère car son goût

Est meilleur par rapport à la sale cuisine politique

Qui est humiliation, terreur et calamité.

Tu diras aux hauts murs de la prison « bienvenue »,

Tes idées étaient trop grandes pour ce monde de menteurs

Envole-toi sur les ailes rêveuses de l’imagination, Douma,

Le rêve n’a guère besoin d’une invite

Le rêve te porte jusqu’aux portes ouvertes immensément

Et dissipe tous les mensonges enveloppés de masques percés

Les menteurs s’échappent loin de la lumière dans les trous et les repaires

C’est une image qui est presque un cliché

Tous ceux qui ont bradé l’intelligence et l’ont laissée minée

Verront poindre un jour où les malheurs exploseront.

Ah, Douma, qu’ils sont durs les malheurs,

C’est l’étincelle qui met le feu dans chaque chose périssable et desséchée

Le feu est cruel et ne connaît pas l’exception des supplices.

Pardonne, Ahmad, la dévastation des cerveaux de ces hommes.

Oui. Il faudra que tu leur pardonnes,

Le terrible feu leur suffira

Le feu qui terrassera jusqu’à ceux qui les commandent et gouvernent,

Leurs maîtres qui bénissent à la fois le business et les obligations religieuses,

Autant ils voient s’épanouir la révolution, autant ils coupent ses roses.

Il est sûr, certain, indubitable que Douma

Ne connaîtra jamais l’injustice

C’est l’équité que va connaître Douma,

Chacun a reçu le choc des barbus,

Taher Al-Berenbali
Graffiti d'Ahmad Douma : « Pourquoi te tais-tu ? ».

Le réveil sera brutal et on se lèvera, oui !

Oui ! On se lèvera ! Le changement sera radical, on guérira tous les maux !

Nous verrons enfin de nos propres yeux,

Une image claire et nette.

Un Egyptien qui ressemble à la patrie

Dédié à l’âme du martyr Mina Daniel.

Mina !

Tire au-dessus de nous l’aile de ton ombre paisible

Et compte nos prénoms dans le ciel, dans la pluie,

Nous ne sommes pas une multitude

Mais notre âme apportera le secours sur le chemin après nous.

Mina ! le brun, le ténébreux, fils de la vraie vie

Ton appel venait du coeur afin que l’Egypte lève le front, lève haut son nom,

Aujourd’hui, il ne s’agit plus de te pleurer ou de te composer une élégie

Je pleure à travers toi, Mina, toutes ces peines et chaque malheur :

Un Egyptien qui a le vrai visage de la patrie

Un ténébreux qui ressemble à chaque brave dans chaque rue, quartier ou ruelle

Mort pour la patrie malgré les larmes et les cierges

Engagé en un chant patriotique par chaque pulsation, chaque pouls de vie.

On a dit : Ses origines sont socialistes !

Et moi je suis allé demander au temps pourquoi donc

Tant de sanglots devant mes cris de douleur ?

Chaque voix de la jeunesse porte l’intuition de la justice,

Vacarme, agitation, révolution, se dressent à la face de l’homme méprisable

Pour faire face à tous ceux qui posent des obstacles

Aux aspirations de réussites d’un peuple.

Mina, tu peux enfin te reposer,

Les pigeons se sont envolés du nid sans jamais plus se poser

Ne s’apaisant que dans l’abandon et l’oubli

Comme éteindre le feu qui t’a consumé sur la place légitime est apaisement

Sans jamais épuiser le ruban de flux de paroles

Sans louange de l’amicale compagnie et c’est un imam

Debout parmi eux il guide l’union des coeurs.

Ô Mina, rends la paix et le salut par la paix et le salut

Tel l’imam qui mène la prière des martyrs d’un sang de Maspero

Et des autres martyrs de l’avenir encore dans les ventres des mères.

L’humanité fit de moi ton frère, aux premiers rangs de la tribune du savoir.

Une lettre d’un poème n’est rien à côté du martyre par acte de foi.

L’âme que pourrait-elle devenir dans la douce torpeur de la tolérance ?

Le sang possède toute l’emprise,

Tu es le martyr victime de l’amour, de la joie et de la lumière,

Il te suffit de traverser des nuits et des veillées heureuses et laisser les hommes ingrats brisés.

Mina ! Tu peux me blâmer si tu veux !

Je dirais même : Tu peux nous blâmer nous tous

Car nous n’honorons pas la dette morale.

Mais sache que nous te défendrons, jeune homme vaillant !

Sans peurs démentes et sans se frapper les joues,

Envers et contre tout !

Et un jour mémorable sera victorieusement annoncé,

Et ton retour s’accomplira parmi les hommes.

Taher Al-Berenbali

Né dans le village de Berenbal au gouvernorat de Kafr Al-Cheikh (Delta) en 1958, il a obtenu son diplôme de vétérinaire en 1988 de l’Université de Zagazig. Il a marié ses connaissances de l’univers bestial à une sensibilité poétique, à la fois profonde et prolifique. Mis à part ses nombreux programmes présentés à la radio sous forme poétique comme La Jeune fille égyptienne, il a publié 6 recueils de poèmes en dialecte égyptien, commençant par Taleine li wech al-nachid (montons vers le summum de l’ode) en 1989 jusqu’à Tartachat al-zat wal banat (éclaboussures pour soi et les filles) en 2008, publiés aux éditions de la GEBO. Et 11 recueils de poèmes pour enfants publiés soit dans la collection Qatr Al-Nada aux éditions de l’Organisme des Palais de culture, soit au Centre national de la culture de l’enfant. Il s’est déployé également dans l’écriture des chansons pour le théâtre du secteur public comme celles de la pièce Aacha al-emmiyane (le dîner des aveugles) et de nombreuses chansons préambules des feuilletons télévisés comme Hayyat Al-Gohary, Al-Wachm (tatouage) et Ahzan Mariam (les chagrins de Mariam). Il est membre des associations égyptiennes et internationales des auteurs et des compositeurs, de même que de l’Union des écrivains égyptiens, qui lui a décerné le prix du poème dialectal en 2008 pour son recueil Taleit rabie Dar Al-Fouad (brise de printemps de Dar Al-Fouad).

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique