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Le blues souriant

Dina Kabil, Mardi, 25 juin 2013

les blues

Dans son premier recueil de nouvelles, Mahmoud Tewfiq choisit Blue comme titre de son oeuvre. Mot anglais, comme il l’explique, qui désigne un état particulier de mélancolie mélangée au plaisir de la contemplation. Ce qui marquera les différentes nouvelles du recueil, la peinture des personnages, mais surtout l’emploi des mots crus, sans fioritures, ayant choqué une partie du lectorat à la sortie du livre. Parce que Tewfiq le fait tout naturellement comme pour capter, avec toute l’honnêteté de vouloir « dire vrai », le langage utilisé dans les cercles d’amis. Celui des jeunes qui ont grandi dans l’oppression sociale et politique et qui ont éclaté au début du 2e millénaire en affichant sur la blogosphère des slogans défiant les visiteurs et internautes conservateurs :

« C’est notre espace que nous utilisons en toute liberté, et celui qui est facilement choqué peut s’en aller ! ».
C’est ainsi que Mahmoud Tewfiq choisit le réel tout cru, mais il ne se perd pas dans ce langage jeune, puisque l’écriture de tout le livre dévoile une recherche et une sensibilité de plonger dans l’âme humaine et de toucher à ce qui n’a pas été traité avant, à ce qu’on appelle « le non-dit ».
Comme son appui sur le jeu de miroirs qu’il utilise dans plusieurs textes.

Dans la nouvelle dont nous publions ici la traduction, intitulée Miroir, il capte ce rapport ambigu de l’écrivain renommé et son traducteur, sorte d’alter ego qui l’irrite, l’agace, le terrifie même au point de lui demander de présenter une mauvaise traduction, afin de diminuer l’éclat et le succès dont le public lui témoigne. Dans Droite et gauche, il s’agit du jeu de miroirs entre deux personnages qui se croisent dans le quotidien très banal, dans un magasin, devant le plat populaire du kochari, qui partagent la même remarque en guettant l’employé du magasin, et dont l’un est de gauche et l’autre membre de Liberté et justice, parti au pouvoir de l’extrême droite.

Travaillant à la Radio et télévision Deutsche Welle, Mahmoud Tewfiq (né en 1978) a dév eloppé des facultés particulières du sens de l’ouïe qu’il reflète joliment dans son recueil de nouvelles. Et l’on se rappelle en lisant sa nouvelle Samei, le fameux roman Le Parfum de Patrick Suskind. Alors que le héros de l’écrivain allemand a appris à distinguer les odeurs environnantes d’une manière incroyable, le personnage de cette nouvelle utilise ses capacités très raffinées de la distinction des sons et des voix pour retrouver sa bien-aimée. Mais hélas !

Lorsqu’il décide de « creuser » scrupuleusement dans les disques sonores de la radio qu’on lui avait demandé de faire pour capter le tumulte estival de la ville européenne où il travaille, ce n’était pas pour retrouver parmi les centaines de voix confuses, celle de sa bien-aimée dont le rire l’obsède, mais au contraire, pour suivre ses traces dans la grande ville et lui annoncer qu’il ne la veut plus. Et à chaque fois, on plonge avec l’écrivain dans les histoires mélancoliques qui sortent de l’ordinaire, sans jamais pouvoir cacher un sourire qu’on ne sait d’où il sort.

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