J’aimerais pouvoir dire un mot sur le désespoir
Je ne sais pas
Un mot sur un père et une mère dans les tombes du cimetière
En une étreinte pour pleurer
Je ne sais pas
J’aimerais pouvoir dire un mot sur le temps
Destiné à la porte et aux fenêtres
Je ne sais pas,
Ou un mot sur moi-même,
J’ai peur …
Ça se passe sur une place publique
Après chaque manifestation,
Vouée à l’échec,
Je deviens un géant,
En taillant mon crayon à papier,
Je barre la loi de l’état d’urgence,
Je tire un trait sur mon nom.
Je mets de l’ordre dans mon pays,
Je réarrange mon père près de ma mère,
Il lui donne une poignée de main,
Comme un signe révolutionnaire.
Mes chers compagnons,
Je ne suis pas quelqu’un de perfide,
Mais le rugissement des deux lions
De chaque côté du pont Qasr Al-Nil
Me fait palpiter. Et trembler.
Travail de nuit
Je n’avais pas une voix, à détruire,
à reconstruire,
Isolée, loin de vous, je file la luxure en fonction des dimensions de la ville sans voix …
Elle me prend au passage et se cache derrière moi
Ma famille n’a aucun trait mythique comme les familles de mes copines
L’une d’elle racontait que son père est médecin dans une contrée lointaine,
Loin de la façon de penser de mon père que je vois épeler par deux fois
Son patronyme à sa table-bureau.
Une autre amie racontait une fausse histoire sur sa grand-mère,
Défunte, une histoire digne d’une fillette maligne grandie dans un village,
Et moi, je travaille surtout la nuit. La tentation c’est ma profession.
Je ne couche pas avec des fonctionnaires.
Les fonctionnaires sont des chiens qui se sont acquis une mauvaise réputation.
Mon ami proxénète, les fonctionnaires ont rongé la ville,
Ils l’ont dévorée par la cadence des soirées monotones de la cohue.

(Peintures murales d'Alaa Awad)
Une histoire classique
Au fond de moi, je trace des plans pour construire une ville qui s’étend alentour
Je ne suis pas contre l’idée de la disparition du métier de policier quand viendront
les bandits
Ce n’est pas impossible, et si je peux choisir j’irai avec eux,
Rien n’arrive ici tout d’un coup pour me
déraciner
De mon lieu d’autrefois. Les jours se
ressemblent,
Aucun lien entre ces jours et mon être, à part le fait que je me lève tôt,
Afin de happer l’ennui de ma journée en regardant le ciel,
Pourquoi ne pas être l’enfant d’un oiseau ?
Les oiseaux volent ensemble, à la tête de la volée il y a un oiseau qui dirige et celui-ci a une maison de paille.
Les oiseaux sont en voie d’extinction,
Les oiseaux se sont éteints l’un après l’autre dans le jardin de mon coeur. Aussi ai-je pris du poids. Et je ne pouvais plus voler.
Désormais, je traîne un amoncellement de plumes après moi, par une jambe boiteuse.
Mon désir c’est d’y mettre le feu, dans chaque édifice et chaque banque,
Et même dans les stations de gaz.
Chaque maison, chaque jour ...
Qu’est-ce qui est faux ?
Qu’est-ce qui est juste ?
Ma nostalgie d’une révolution est morte
Et personne n’a saisi ma honte à
bras-le-corps.
J’ai beaucoup vécu
D’une chambre à l’autre
Portant une lampe dont la brillance
Dans l’obscurité me fait oublier
Le choc reçu en couvant le projet
d’un traître
Qui a les mains dans le pantalon
Tâtant une liasse de billets de banque.
Il n’est pas désolé pour un passant
Ayant essayé de défaire les boutons de
sa solitude
En s’interrogeant sur un objectif commun.
Toi qui es loin,
Viens avec la plaie,
Je viendrai apportant un baiser
Qui vise une étreinte insupportable
Avant que ne s’accomplisse la crainte de ceux qui ont peur.
Le faucon tombe de l’uniforme des chefs
et le drapeau tombe, en berne, aussi
Afin qu’on m’appelle par mon prénom,
Les plumes des colombes resteront
Tombant doucement sur la tête de l’enfant qui s’endort.
Moi qui ai reçu l’attribut d’étranger
J’exige un autoradio et l’arrière d’une voiture
Qui m’équiperont pendant la tournée
De pays en pays

(Peintures murales d'Alaa Awad)
Voyageant en vue d’annoncer
mes protestations.
Chaque tour de la terre autour d’elle-même
L’éloigne davantage d’elle-même.
Est-ce lui mon porte-parole ? Maintenant que les places publiques et mes lieux de culte sont devenus casernes ?
Par des glorifications et des louanges ?
La question se pose : Pourquoi as-tu
Concentré tes troupes ici loin
des frontières ?
As-tu peur de ma présence ?
Tu n’y peux absolument rien.
Ce qui doit arriver engendrera une
balle de fusil
Qui tournera et te suivra partout
Tu t’imagines si cela devait arriver alors que tu tiens entre tes deux mains
Ton membre mou ?
Ce que tu as commencé ne s’achèvera pas.
Je ne vais pas me sacrifier pour toi mais je te propose
D’avoir le droit de t’appeler traître
Après avoir posé un drap sur ta face
Taché du sang d’un enfant.
L’heure est-elle enfin venue ? Celle où je vais raisonner à travers la haine que je te déclarerai ?
Aucune injustice ne m’envahit
d’une nostalgie
De la liberté
Aucune justice ne m’emplit de la nostalgie de voler
Quand je vois ta photo agrandie
Près du panneau : Gardez votre ville propre !
C’est une infamie que de parler à ma place
Ouvertement et sans détour
Chaque tyran sera précipité dans l’abîme
Chaque révolutionnaire a eu sa part de partis corrompus
Tout espion rejoint le centre local des Droits de l’Homme
Chaque révolution connaît une Place où sont tirées les balles vives
Chaque nouveau-né appartient encore au ventre de la mère.
Puis chaque maison et chaque jour
Possèdent le rêve d’un cri de délivrance.
Ashraf Youssef
Né en 1970 dans la ville de Mansoura (gouvernorat de Daqahliya), il a commencé à publier ses poèmes dans sa ville natale. L’on compte Leilat 30 febrayer (la nuit du 30 février, poèmes écrits à la main) aux éditions de la Littérature des masses en 1995, puis Obbour sahaba Bein madinatein (la traversée d’un nuage entre deux villes) en 1997. Avant d’aller au Caire et de travailler comme conseiller d’édition auprès de nombreuses maisons, publiant l’oeuvre complète et l’autobiographie de Mohamad Hafez Ragab, ou un livre sur le Comics arabe intitulé Out of Control, etc. Parmi ses recueils de poèmes, Yaamal monadeyane lel arwah (celui qui appelle les âmes) et Charqiyat 2002. En version numérique, il a publié Jehat al-sheir en 2005, Hassilati al-youm qobla (le revenu du jour est un baiser) en 2007, Kalema en 2009 et en 2012, Alf leila wa leila. Son recueil de poèmes, Fi maana al-madina, dont nous publions aujourd’hui quelques vers, est en cours d’impression.
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