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Sayed Mahmoud : Réciter l’ombre

Traduction de Suzanne El Lacka, Lundi, 28 janvier 2013

Dans son dernier recueil de poèmes, Telawet al-zel (réciter l’ombre), Sayed Mahmoud prend une voix soufie et redonne à la nature son sacré enseveli. En voici quelques vers.

Tu es une fleur

Je te parlerai de Dieu

Dieu qui m’a accompagné dans la marche,

Toute ma vie, pour te trouver comme un fleuve

Où les anges se baignent

Tandis qu’une fillette s’est levée car elle a voulu capturer les esprits,

Ames

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Peinture de Adli Rizqallah

Qui se détachent des anges chaque fois que leurs mains touchent l’eau.

Je te dirai maintenant :

Tu es l’enfant qui a trouvé mon âme comme un brin de paille et l’a prise jusqu’aux anges pour la purifier.

L’armoire ne contient ni secrets

Ni même des vêtements qu’elle a préparés en vue d’une soirée annulée

Ni draps tissés en compagnie des vieilles

Qui avaient mis beaucoup d’amour

Dans son coeur

Les vieilles femmes ne l’ont pas enviée

Les cheveux blancs de leurs têtes ressemblaient

à la fumée

Son coeur n’avait pas de poumon pour pouvoir voler

Et traverser l’espace des arbres qu’elle avait soigneusement dessinés

Et qui devinrent ensuite le repaire des fantômes

de ses mauvais souvenirs

Ceux qui sont morts dans son coeur n’ont pas connu la pourriture

Ils passent aujourd’hui au-dessus de ses rêves

A travers les crosses seulement on peut voir des mains souillées

Mais elle est comme Marie

Elle se lève et va dessiner un arbre

Qu’elle secoue chaque nuit,

Donnant des fruits qui constellent la solitude,

Et elle donne la vie à des enfants qui s’accrochent

à son épaule comme dans l’un de ces mythes …

Tu laisses entre mes mains

La voix d’Oum Kalsoum

Et des fruits tombés de l’arbre généalogique

Que je remets dans la terre

Et dans mon coeur il y a la patience d’un moine

Qui a conservé sa vie pour le désert.

Je ne suis pas une ombre pour la suivre

Je ne suis pas une conscience pour dévoiler ses intentions

Ni un ange pour l’accompagner dans son sommeil.

Comment retrouves-tu ton lit ?

Sans la présence d’anges pour préparer l’instant

où émergera le sens

Domptant une vie aux aguets à ta porte comme un animal sauvage

Que l’on mène sous le chapiteau d’un cirque,

Il est perturbé par les rires des enfants qui se sont endormis avant d’entendre l’histoire.

L’histoire m’a mené jusqu’ici.

Et en moi il y a la soif des forêts dans la déchéance des feux.

Comme une histoire qui tient compagnie aux enfants

Pour les mettre au lit

Elle s’en va dormir

Elle trompe les anges

Qui lui tenaient tête, menaçants,

Elle s’endort, un chant près de moi :

Son ombre ne me quitte pas.

Je l’aperçois, un train qui enlève l’air,

Mes mains préfèrent les attentes au balcon.

La joie est une balle que nous échangeons

Ton coeur est un ballon qui ne touche plus la terre

Ta poitrine, contrairement à ce que tu crois, n’est pas

Un jardin de tabac que Dieu a laissé aux anges.

C’est un avion qui décolle avec des passagers sur le point de retomber.

Antique

Semblable à un trésor

Tous ceux qui ont croisé ton chemin

Etaient des gens de la caverne.

Tu es un arbre

Dont les feuilles poussent entre mes côtes

Une mère laisse ses enfants jouer dans mon ombre

Et chaque fois qu’ils sourient

Les oiseaux, échappés de mes mains, se mettent

à chanter.

Tu es fleur

Et je suis vase de porcelaine,

Ensemble nous sommes partis d’une boue de jardin.

Je suis le devin de son temple

Je la connais par coeur comme une prière

Je verse sa lumière aux larmes et elles brillent

Je marche dans ses jardins et je me colore de vert

Tel le turban d’un soufi dans la nuit noire.

Son coeur est le sourire d’un enfant

Son sourire est un gâteau

Que Dieu a donné aux oiseaux pour les nourrir.

Et sa main est une passerelle

Pour traverser et obtenir notre droit de prophétie

Si elle parle c’est le début du message.

Sa voix répand de la grâce au monde

Et laisse le soleil : un chat qui miaule à ses pieds,

Le jardin est un lit où verdissent les feuilles du désir.

Ses boucles d’oreille ne formaient pas une pleine lune

Ni un croissant de lune

C’étaient un arc échappé

A la chasse à la gazelle.

Au fond de nos âmes il y a des pleurs

Il te regarde

Il éveille des rires

Rappelant un rêve qui éclaire le sommeil.

Quand elle est absente

Seul l’ennui continue son travail, on le sent.

Il se réveille avant tout le monde

Et range ses papiers sur le lit

Il sort

Dans les rues

Et hante tous les cafés

Avant de boire son thé

Il fait semblant de se disputer avec une chanson.

Elle donne comme une mère

Elle fait pénétrer ses racines comme un arbre

Et comme une fenêtre dont le vantail s’ouvre sur l’espoir

Elle sourit sur mon chemin.

Candide comme un pigeon

Intime comme une chanson

Subtile comme un secret

Proche comme le timbre de la voix

Florissante

Comme un épi

Sa tristesse ressemble à un sanglot

Tirée comme une corde

Tendre comme la rosée d’un sang chaud

Mais elle sait blesser

Comme une bouteille cassée dans une nuit d’amour.

Un ciel

Plénitude où rien ne manque

Etoiles, soleil et lune

Et oiseaux aussi

Tout un ensemble précipité dans mon coeur

Complété de miracles,

Son corps est une canne

Qui fend l’existence

Et emplit la fente d’impatience

Cette avidité

Pousse et rappelle les épis de blé

Aux versets de lumière nourriciers,

Ma bien-aimée n’abandonne jamais d'irrésistible

envie de lumière.

En étant une chanson

Mon coeur a su l’écouter

Et mon âme en devenant théâtre

Je suis devenu et orchestre et public.

Invite-la à la chaleur d’un sommeil

Autant qu’un baiser volé

Autant qu’une caresse qui va vers un adieu infini

Accorde-lui le rêve qui rassure comme la parole de Dieu à la mosquée,

Alangui comme la noria qui prodigue

Des petites poésies populaires, au fleuve.

A l’opéra

La lumière a trahi nos secrets

Et la musique ne les a pas dévoilés.

Les jours sont des amis d’autrefois

Qui viennent te visiter au café

Un morceau de sucre qui ne fond pas dans la bouche

Des fleurs immortelles

Des histoires pleines de nostalgie

Tu les entends comme un gardien de nuit

Qui fait passer le temps en écoutant le silence du jardin.

Sayed Mahmoud

Ecrivain et journaliste, Sayed Mahmoud travaille dans la presse culturelle depuis 15 ans dans nombre de journaux arabes comme Al-Ahram Al-Arabi, Al-Hayat londonien et Al-Akhbara libanais.

Il a publié son premier recueil de poèmes en égyptien dialectal, Tarikh tani (une seconde histoire), aux éditions GEBO en 2000. Puis un ouvrage historique sur Le Pont Abbass, témoin des manifestations estudiantines de 1946, avant de publier cette année son recueil de poèmes en prose Telawet al-zel (réciter l’ombre) aux éditions Al-Aïn 2012.

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