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« Alexandrie retrouvera son caractère cosmopolite »

Propos recueillis par Rasha Hanaf, Mardi, 13 novembre 2012

Ibrahim Abdel-Méguid publie son nouvel ouvrage Al-Iskandariya fi ghayma (Alexandrie dans les nuages noirs). Troisième partie d’une trilogie, il met l’accent sur les transformations d’une ville perdant ses traits égyptiens.

Roman

Al-Ahram Hebdo : En quoi se distingue votre nouveau roman sur Alexandrie des deux autres publiés en 1996 et 2000 ?

Ibrahim Abdel-Méguid : Tout d’abord, le nouveau roman verra le jour à la fin du mois en cours. Je lui ai donné le titre Alexandrie dans les nuages noirs. Je veux que ce roman soit lu indépendamment et en même temps en tant que troisième partie des deux romans précédents, Personne ne dort à Alexandrie et Les Oiseaux du hangar, sur ma ville natale, Alexandrie. Le public avait l’habitude de lire les parties successives d’un roman avec les mêmes personnages et leurs descendants.

Ce n’était pas mon intérêt principal dans les trois publications. Je m’occupais plutôt de la ville elle-même. Je poursuivais dans les trois romans les transformations de la nature de cette ville qui a été cosmopolite au début du vingtième siècle et qui aujourd’hui, à mon avis, est devenue une ville wahhabite.

Je me suis basé dans mes trois romans sur un espace temporel essentiel de trois points centraux dans la vie d’Alexandrie : le premier est la bataille d’Al-Alamein durant la Seconde Guerre mondiale, où Alexandrie était la ville centrale du monde dont le caractère principal était la tolérance.

Le deuxième est la période post-agression tripartite contre la ville de Suez, quand les étrangers étaient chassés du pays, période où Alexandrie a perdu son caractère cosmopolite pour être simplement une ville égyptienne, sans tolérance.

Le troisième espace temporel qui existe dans mon roman récent, Alexandrie dans les nuages noirs, est l’état actuel d’Alexandrie qui, je pense, a commencé à perdre son caractère égyptien en faveur du caractère wahhabite. Et donc, le public est face à une trilogie dont la base n’est pas les personnages mais le lieu. Je dois préciser aussi que j’ai opté pour ce titre, Alexandrie dans les nuages noirs, parce que je suis optimiste et je n’ai aucun doute que la ville surmontera tous les obstacles et retrouvera son état naturel, son caractère cosmopolite.

Cela vous a pris presque douze ans pour publier cette troisième partie. Pourquoi si longtemps ?

J’ai commencé à écrireAlexandrie dans les nuages noirs bien avant la révolution du 25 janvieret je devais le publier avant cette date. Mais lorsque les manifestations ont éclaté, j’étais complètement impliqué dans les différents incidents et évolutions de la révolution. Je n’ai pas arrêté d’écrire et de publier des articles sur ce qui s’est passé et ce que j’ai vécu à la place Tahrir. Il y a six mois, je me suis penché sur le roman pour le finaliser. Dans quelques semaines, il sera publié.

Comme vous l’avez mentionné, vous avez publié plusieurs ouvrages et articles après la révolution. Comment expliquez-vous cette richesse de production littéraire ?

Ceux qui ont déclenché les premiers les manifestations et qui ont fait cette révolution sont des jeunes. Ils m’ont donné une grande énergie pour me lancer dans l’écriture. Je peux dire que je vis le monde et les incidents comme ils sont et je m’exprime comme si j’étais l’un de ces jeunes. Je considère la nuit comme la mienne. Je passe toute la nuit à écrire sans jamais perdre l’espoir. Tous mes articles publiés après la révolution dans Al-Akhbar et Al-Youm Al-Sabie seront rassemblés dans un nouvel ouvrage qui sera publié dans les jours qui viennent.

Vous avez écrit un article sur la paix avec Israël qui a été interdit par Al-Akhbar. Comment recevez-vous cette décision ?

C’est normal. Il s’agit pour moi des directives du Conseil consultatif avec les nouveaux rédacteurs en chef qu’il vient de nommer. Même si ces derniers ne font pas partie des Frères musulmans, ils le seront et exécuteront leurs décisions. Comme ce qui s’est passé à Al-Akhbar avec moi et d’autres écrivains. Je dois préciser à cet égard que j’ai commencé à publier des articles dans cette maison de presse sur demande de son ancien rédacteur en chef Yasser Rizq, juste après la révolution. La décision ne nous interdit pas d’écrire, parce que je continue à écrire dans d’autres publications. Alors, cette décision ne porte atteinte qu’à ceux qui l’ont prise. Ce sont eux qui perdent le plus.

— Les intellectuels ont protesté pour la liberté de l’expression, mais avec peu de résultats concrets. Qu’en pensez-vous ?

Il est question pour moi du même régime et du même parti national. Les Frères musulmans veulent détruire les journaux nationaux pour les acheter. Les intellectuels n’ont rien d’autre à faire pour s’y opposer à part les manifestations et la publication d’articles qui dénoncent cette situation. La société aussi est en protestation contre tout ce qui se passe sur le plan intellectuel et social. Il y avait la semaine dernière un sit-in devant le Conseil consultatif et les médecins continuent leur grève. Je dois dire que les jeunes, constituant 50 % du pays, ne vont pas accepter cette situation qui emmène l’Egypte vers l’instabilité comme d’autres pays de la région. Je pense qu’il y aura sans doute de grands heurts entre les jeunes et ceux qui appartiennent au courant de l’islam politique. Ces derniers doivent savoir et comprendre que la révolution a été déclenchée pour réaliser la justice, la fraternité et l’égalité et non pour la djellaba et la barbe. Je suis optimiste, comme je l’ai dit, et certainement le pays corrigera la voie vers les principes de la révolution.

— Après votre longue expérience au sein de l’institution culturelle de l’Etat, comment voyez-vous les débats qui se déroulent au sujet de la suppression du ministère de la Culture et les changements dans la structure générale dans cette institution ?

Je suis pour l’annulation des ministères de la Culture et de l’Information. Je pense que c’est le rôle de la société civile. Je m’accorde avec ceux qui appellent à séparer le Conseil suprême de la culture du ministère. Un projet culturel comme Saqiet Al-Sawy est un exemple à suivre. Je dois préciser également que je suis contre tout essai de la part des Frères musulmans visant à contrôler l’Opéra égyptien, le Théâtre national ou la Maison des livres.

— Et pensez-vous qu’une entente soit possible sur les articles de la nouvelle Constitution de l’Egypte, avec les débats qui se déroulent actuellement à cet égard ?

Je pense que cette Constitution que l’assemblée constituante est en train de finaliser n’obtiendra pas l’accord des Egyptiens. Et ce, parce qu’il y existe plusieurs problèmes comme la situation de la femme, de l’enfant, les libertés et les droits, le statut du président de la République et la Cour constitutionnelle. En fait, il y a beaucoup de problèmes dans cette Constitution. Ceux qui l’ont rédigée croient que la culture wahhabite est la culture égyptienne, et ce n’est pas le cas. Ils doivent réaliser que les jours de Tahrir vont revenir, mais contre ceux qui veulent imposer à la société égyptienne leurs points de vue.

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