Vendredi, 29 mars 2024
Al-Ahram Hebdo > Idées >

Khaled Al-Khamissi : Sans bâtir une infrastructure d'idées, on ne peut rêver de demain

Najet Belhatem, Mardi, 03 juin 2014

La fondation culturelle Doum vient de publier son premier livre : Quand les Egyptiens ont-ils habité l’Egypte ? Son fondateur, le romancier Khaled Al-Khamissi, estime qu’il est possible de motiver plus de personnes à lire, à condition de changer la vision de ce qu’est un produit culturel.

Khaled Al-Khamissi
Khaled Al-Khamissi

Al-ahram hebdo : Quel est le concept de la fondation culturelle Doum ?

Khaled Al-Khamissi : Cette fondation a pour objectif de promouvoir l’esprit critique dans la société arabe à travers une production d’une culture simple, pour faciliter son accès à tout le monde sur une base de décentralisation, donc, pour ce qui est de l’Egypte, hors du Caire et d’Alexandrie. Mais quelle culture? C’est une culture basée sur la connaissance, mais une connaissance qui n’est pas sophistiquée, pas complexe. Est-ce une simplicité d’idée ou une simplicité de langue? Non…

— Comment simplifier sans être simpliste, le fil est-il très fin entre les deux ?

Khaled Al-Khamissi

— La simplicité est une simplicité de forme. Je crois que si on fait un effort pour mettre un texte dans une forme simple à lire, cela va faciliter la lecture. Faciliter la culture est un moyen que nous devons utiliser, surtout que l’on se plaint depuis des décennies que le taux de lecteurs dans le monde arabe est en baisse, et que la proportion entre lecteurs et non-lecteurs est généralement catastrophique.

L’Egypte a 90 millions d’habitants, et il n’y a que 50000 personnes qui achètent des livres. Pour ce qui est de la presse, seulement un million d’Egyptiens y ont accès. Il y a une crise. Quelque chose ne va pas. Me considérant comme un homme de culture et comme un producteur de contenus culturels, je crois qu’il y a un grand problème dans le monde arabe.

Nous devons faire d’énormes efforts pour développer des cadres et des contenus culturels qui renferment des visions et des stratégies.

J’ai fondé Doum pour une simple raison : je crois qu’aujourd’hui, sans bâtir d’infrastructure culturelle, d’infrastructure d’idées, on ne peut vraiment rêver de demain. Ces révolutions arabes sans infrastructure d’idées ne peuvent avancer. Depuis 2011, je répète sans cesse qu’il faut créer des institutions, des fondations, des compagnies culturelles partout dans le monde arabe, pour produire de la culture, des livres, du cinéma, du théâtre, mais avec une stratégie culturelle.

— Produire de la culture coûte cher. La produire avec une stratégie culturelle et donc sans regard des éventuels bénéfices financiers relève davantage du

Khaled Al-Khamissi

service public. Comment comptez-vous vous y prendre ?

— C’est vrai que nous avons des problèmes énormes pour financer nos productions culturelles. Cela a commencé par un rêve, et cela est toujours un rêve. Nous sommes encore dans le rêve. Va-t-il continuer ? Je ne sais pas. On peut se rencontrer dans cinq ans et voir si ce rêve aura posé ses pieds sur terre ou s’il se sera évaporé.

Naturellement, les possibilités que ce rêve se disperse dans le vent sont réelles. Nous devons être financés par des particuliers. Si on a 1 000 personnes qui nous donnent chacune 1 000 L.E. par an, nous aurons de l’argent pour financer notre stratégie culturelle qui est là, qui a été écrite et qui est sur notre site Web.

Nous avons un planning très clair de nos activités et nous sommes tout à fait visibles. Nous rêvons de convaincre des personnalités arabes de donner des sommes minimes. Le rêve n’est pas d’obtenir un million de L.E. Notre rêve c’est d’avoir de petites contributions de plusieurs personnes intéressées par notre stratégie culturelle. C’est un rêve compréhensible.

— Vos produits sont gratuits. Ne croyez-vous pas que ce soit un grand challenge ?

— C’est effectivement un grand challenge. Naturellement, si les grands businessmen écoutent ce que je dis, ils vont dire que je suis fou et que je vais mourir dans quelques semaines. Mais ce rêve dure depuis un an avec des festivals, des pièces de théâtre. Et j’espère que nous continuerons.

— La fondation Doum vient de publier son premier livre dans la collection Bibassata. En quoi consiste ce projet ?

— La maison d’édition de Doum a le même but: promouvoir le produit culturel et le rendre accessible. Nous avons 4 collections Bibassata (tout simplement), Bikol bassata (en toute simplicité), Bikhtessar (en résumé), Kalam turli (paroles turli). Le premier livre qui vient d’être publié, Quand les Egyptiens ont-ils habité l’Egypte ?, est un livre sur la préhistoire, car je crois que cette période est très importante pour comprendre la trame des idées actuelles. Le livre est très loin du simplisme. Bibassata est une collection qui a pour objectif de faire entrer un nombre de gens qui n’ont pas l’habitude de lire et les transformer en lecteurs.

Doum veut donc s’éloigner de l’élitisme. Sur quoi est bâtie votre approche ?

— La fondation Doum cible des personnes qui ont une prédisposition pour accéder au monde de la culture, mais qui ne l’ont pas encore fait et qui ont juste besoin d’un coup de pouce. A mon avis, cette tranche prend de l’ampleur. Selon mes propres estimations basées sur mon expérience, sur les 90 millions d’Egyptiens, il y a environ un million de personnes qui touchent à l’écrit dans l’absolu, et parmi eux, il y a 100000 personnes en lien direct avec la culture. A part cela, je crois que sur les 90 millions, nous avons de 7 à 8 millions d’Egyptiens qui sont prêts à bien accueillir les produits culturels. Ce sont eux qui constituent la cible de Doum.

Notre but n’est pas de toucher des personnes qui n’ont aucune prédisposition, notre objectif n’est pas de lutter contre l’analphabétisme par exemple. Je dois cependant signaler un point très important: il ne faut pas comprendre par là que ces personnes, qui sont notre cible, fassent partie de la classe aisée. Il se peut que ce soit des gens pauvres mais qui ont une prédisposition à consommer des produits culturels. Cette prédisposition ne doit pas être perçue d’un point de vue économico-financier ou d’un point de vue géographique.

— Comment comptez-vous atteindre votre cible ?

— La solution que nous préconisons est d’organiser des activités culturelles dans toutes les provinces. Ceux qui vont venir à nous en premier lieu sont ceux qui ont un certain degré d’intérêt pour la culture. Quand nous avions organisé un festival à Qéna, en Haute-Egypte, nous avons fait le tour des villes aux alentours, comme Qouss et Garagos. Dans ces villes, nous avons été en contact avec des gens qui sont venus assister à nos activités. Il y avait ceux qui ont l’habitude d’accéder aux produits culturels et qui font partie des 100000, mais nous avons aussi trouvé des gens qui font partie du million et d’autres qui n’en font pas partie. On les différencie à travers le dialogue. Nous avons rencontré beaucoup de gens qui n’ont jamais eu affaire avec des produits culturels.

— En quoi consistait le festival de Qéna ?

— C’était un festival de narration. Nous avions 25 troupes théâtrales de narration qui ont donné des représentations dans la rue, dans des cafés ou sur la corniche, et également dans des centres culturels.

— Le choix du théâtre de narration est significatif, puisque c’est une tradition populaire qui est familière à toutes les couches de la population...

— Exactement, mais en présentant ces spectacles, nous nous sommes cantonnés aux formes traditionnelles. Nous avons présenté des spectacles de théâtre de narration avec de la danse et des ateliers d’écriture.

— Revenons à l’édition : quels sont vos prochains projets ?

— Le prochain livre qui paraîtra bientôt dans la collection Bibassata s’intitule « Que s’est-il passé en 2011 ? », ensuite, dans la collection Bikhtessar, nous préparons le livre Tamarrod de Farouq Al-Qadi, qui se penche sur l’idée de rébellion chez l’homme à travers l’Histoire. L’idée de cette collection est de choisir une oeuvre comme celle de Farouq Al-Qadi, qui est un volumineux livre de plusieurs centaines de pages, et de le résumer pour y faciliter l’accès. Et dans le cadre de notre rêve, nous espérons pouvoir distribuer et vendre nos livres via des réseaux non commerciaux, via notamment des ONG dispersées sur tout le territoire.

— Cela veut-il dire que vous ne les vendrez pas dans des librairies ?

— Si. Le livre Quand les Egyptiens ont-ils habité l’Egypte ? est distribué dans les réseaux commerciaux habituels. Mais nous aspirons à toucher des personnes qui ne lisent pas et qui ne sont pas des lecteurs potentiels. Les gens qui vont dans des librairies sont déjà des lecteurs.

Mots clés:
Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique