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Le terrorisme, propagande ou réalité ?

Alban de Ménonville, Mardi, 06 août 2013

Depuis le 26 juillet, la propagande d’une Egypte « en guerre contre le terrorisme » tourne en boucle. En approchant cette notion avec objectivité, on se rend compte de la dangerosité que l’usage d’un tel terme implique. Un terme qui, la plupart du temps, est utilisé par des régimes en manque d’arguments. Décryptage.

le terrorisme

Le 26 juillet, l’immense majorité des chaînes télé du pays affichaient le message : « L’Egypte contre le terrorisme ». Pourtant, personne ne sait vraiment qui sont ces « terroristes » qui menacent le pays. Des centaines de juristes, de linguistes et de politologues se sont essayés à donner, sans succès, une définition du terrorisme. Ils ont tenté d’y répondre en divisant les différents aspects de cette notion : violence, politique, menace, méthode de combat, clandestinité … sans parvenir à une définition objective, réellement applicable d’un cas à l’autre sans que l’idéologie de celui qui utilise le terme ne soit le facteur déterminant.

Toutes ces tentatives ont été vaines, la seule définition acceptable est à chercher du côté de la subjectivité : un terroriste est un résistant aux yeux de l’ennemi. Pour Israël, les résistants du Hamas sont des terroristes. Pour l’Angleterre, à l’époque du protectorat sur l’Egypte, les indépendantistes étaient aussi des terroristes. Et pour Al-Qaëda, sa démarche est plus proche de la résistance à l’impérialisme américain que du terrorisme.

C’est en général du vainqueur d’une guerre ou d’un conflit que dépend le terme que retient l’Histoire. Les terroristes français, luttant contre l’occupation allemande en 1940, sont devenus des résistants, alors que les indépendantistes armées, qu’ils soient Corses ou Kurdes, demeurent des terroristes.

Si « le terrorisme est trop complexe pour être défini », disait Raymond Aron, il en apprend beaucoup sur ceux qui utilisent ce terme, souvent pour une simple question d’intérêt. Israël, Bachar Al-Assad ou les Etats-Unis font un usage courant de ce terme qui, en Egypte, vient de réapparaître suite à la destitution de Morsi. A chaque fois, le terrorisme, malgré une réalité de terrain plus ou moins présente, sert de prétexte aux répressions ou aux interventions armées. Et c’est justement parce qu’il est impossible à définir que son usage politique est récurent pour justifier l’injustifiable.

Vague et imprécis, il est devenu le terme idéal à opposer à tout mouvement cherchant à nuire à un quelconque pouvoir. Il permet d’assimiler mouvements de boycott, attentats, djihad et s résistance politique sous une même notion que tous considèrent comme l’ennemie de la nation. Et qui souhaiterait ouvrir un dialogue avec les ennemis de la nation ?

Le terrorisme implique, en effet, le rejet catégorique des arguments de l’autre. Imagine-t-on un jour les Etats-Unis négocier publiquement avec Al-Qaëda ? Du moment qu’un groupe entre sous l’étiquette de « terroriste », il devient infréquentable et son point de vue doit être de facto rejeté sans concession. Tel est d’ailleurs le but de l’Union européenne en classant, il y a 15 jours, l’aile armée du Hezbollah sur la liste des organisations terroristes. Telle est probablement aussi la tentation actuelle de faire de même avec les Frères musulmans.

Terreur du mot

L’autre avantage de l’usage du mot terroriste est la crainte qu’il inspire. Faire peur à une population pour mieux la manipuler n’est-il pas l’apanage de la plupart des régimes politiques ? Qu’il s’agisse de la démocratie américaine brandissant la menace des armes chimiques iraqiennes ou de l’ancien président yéménite, Abdallah Salah, prévoyant une invasion d’Al-Qaëda si son régime était démis, la peur est l’arme des régimes en manque d’arguments. La situation en Egypte le prouve également : comment justifier la mort de centaines de manifestants, pour la plupart abattus par les forces de sécurité ?

Cette peur permet de mieux rassembler. Qui oserait contredire un régime en guerre contre le terrorisme ? Etre contre ceux qui font la guerre aux terroristes, c’est être pour le terrorisme. Les utilisations rhétoriques du mot offrent un terrain de jeu apprécié des régimes en manque de légitimité. Comme le souligne le chercheur en sociologie politique Ammar Ali Hassan, « lorsque le général Al-Sissi a utilisé le terme de terrorisme, cela relevait de la publicité politique » (voir entretien).

Si le chercheur estime qu’Al-Sissi « ne cherchait pas à imposer un nouveau cadre législatif » pour traiter le terrorisme, il faut reconnaître qu’une publicité, politique soit-elle, est avant tout destinée à vendre quelque chose. Et quoi d’autre que des mesures d’exceptions pour faire face à la menace terroriste ?

Derrière une certaine réalité (le terrorisme existe bel et bien en Egypte) se cache une réalité moins perceptible : une justification à des mesures particulières, à davantage de despotisme, à des carnages évitables, à une volonté de diaboliser l’ennemi … Bref, la réalité d’un gouvernement à court d’arguments pour faire passer l’inacceptable.

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