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Entre sagesse et fantaisie

Dina Kabil, Dimanche, 08 septembre 2019

Dix huit nouvelles inédites de Naguib Mahfouz sont rassemblées dans le recueil Hams Al-Nogoum (le chuchotement des étoiles), qui vient de sortir aux éditions Al-Saqi, à Beyrouth.

Entre sagesse et fantaisie

A première vue, on pourrait croire que Hams Al-Nogoum (le chuchotement des étoiles) est une oeuvre posthume. Car il s’agit d’un nouveau titre de l’écrivain Naguib Mahfouz (1911-2006), publié en 2019 par une maison d’édition liba­naise, à l’occasion de l’anniversaire du Nobel égyptien, en décembre dernier. En réalité il s’agit de 18 nouvelles qui ont été rassemblées pour la première fois dans ce livre. Elles ont été toutes déjà publiées dans le magazine égyptien Nesf Al-Donia du vivant de Mahfouz, à l’excep­tion d’une seule nouvelle, Nabqa Fil-Hesn Al-Qadim (nous trouvons refuge dans l’ancienne forteresse).

Le critique littéraire et journaliste Mohamad Shoeir, grâce à qui ce petit recueil a vu le jour, explique dans sa préface du livre que les 18 nouvelles sélectionnées figurent dans une pile de 40 nouvelles publiées, soit dans des recueils, soit dans la presse. Mahfouz les avait classifiées en tant que nouvelles écrites entre 1993 et 1994.

Or, Shoeir, qui a déjà écrit un livre sur le roman controversé de Mahfouz, Les Fils de la Médina, est « tombé » sur un trésor de manus­crits, notes, correspondances de Mahfouz, conservé par la femme de l’écrivain dans une caisse.

« Lorsque sa fille Oum Kalsoum m’a donné une petite caisse remplie de papiers appartenant à Mahfouz, j’ai senti un plaisir hors du commun, pareil à celui qui est sur le point de découvrir une tombe pharaonique », précise Shoeir dans sa préface.

La trouvaille de Shoeir est d’une grande importance, même si les 18 nouvelles sont déjà parues, éparpillées ça et là. Dans le nouveau recueil des éditions Al-Saqi, est augmenté d’un annexe de manuscrits correspondants à chaque nouvelle. L’annexe est en fait très importante pour les études appelées « paratexte » (étude de brouillons, griffonnages ou les mots barrés, cor­rections, typographie originelle, syntaxes des phrases et tout ce qui a rapport avec la construc­tion et la déconstruction d’un texte. Bref, tout ce qui relève du processus même de l’écriture et de la créativité).

Réalisme magique

Les nouvelles se déroulent presque toutes dans les mêmes endroits, à savoir le monde favori de Mahfouz celui de la ruelle du Vieux Caire. Dans chaque nouvelle, il est question des mêmes ingrédients de cet univers : les Fétéwas (hommes de main), les cheikhs-charlatans, attachés aux idées reçues sur l’au-delà, le maître du quartier, la petite mosquée, l’ancienne forteresse avec ses morts et ses mauvais esprits.

D’un autre côté, il est facile de relever dans ces nouvelles le côté fantastique, survenu tardive­ment dans l’oeuvre de Mahfouz. A savoir: cet amalgame de la sagesse nourrie de surnaturel, ou d’un réalisme magique, propre à Mahfouz. Ce sont les prémices d’un stade de son écriture qui a donné naissance à ses Rêves de convalescence, publiés en feuilleton dans Nesf Al-Donia et puis aux éditions Al-Shorouk et en français en 2003 aux éditions Rocher.

Dans les nouvelles de Hams Al-Nogoum (le chuchotement des étoiles), Mahfouz recourt constamment à la cave habitée par les sans-abri ou les insensés, surmontée par l’ancienne for­teresse, habitée par les fantômes et les mauvais esprits. Ces deux endroits ont du pouvoir sur les destins des habitants de la ruelle. Ainsi, les nouvelles constituent des contes rythmés par la superstition et les idées sur l’au-delà, sans jamais donner, à chaque nouvelle, des fins précises ou des solutions tranchées. Mahfouz optent pour des fins ouvertes, plutôt énigma­tiques, qui laissent libre cours à l’imagination de chaque lecteur.

Les secrets de la forteresse

Entre sagesse et fantaisie
Un manuscrit de l'auteur.

La seule nouvelle inédite du recueil, Nabqa fil-Hesn Al-Qadim (nous trouvons refuge dans l’ancienne forteresse), pourrait servir de modèle pour le reste des nouvelles de ce recueil. Nabqa est le prénom du seul enfant, qui a survécu aux 9 frères et soeurs. Son père le confie, à l’âge de 7 ans, au cheikh de la petite mosquée du coin. Après la mort de son père, à l’âge de 10 ans, il s’est aventuré pour découvrir le monde de la forteresse. Au bout de 3 jours, il revient armé d’une connaissance prématurée du monde de l’au-delà. Il décide alors de quitter le cheikh, et dans le chaos d’un affrontement, entre partisans et adver­saires, le jeune est écrasé des pieds et s’est fait arrêter. Certains disent qu’il a reçu le châti­ment divin pour sa désobéissance, tandis que d’autres, les habitants de la cité des morts, affirment qu’il s’est caché paisiblement dans la forteresse. Ces derniers insistent qu’ils l’ont vu « se promener derrière la cave, et qu’à chaque pas, il grandit, devient géant et s’étend dans tous les sens ».

Il existe toujours, dans ces récits, un monde occulte, un univers souterrain qui renvoie des signes, que l’on doit écouter pour choisir enfin sa propre voie.

Dans la nouvelle, Al-Sarkha (le cri), le mari heureux a divorcé de sa jeune femme très belle, parce que les rumeurs colportaient que la mère de cette dernière dirigeait clandestinement un bordel, à l’étranger. Affligée, la jeune femme s’est immolée par le feu et a lancé un cri fou­droyant avant de s’éteindre. Le cheikh Azhari, professeur d’arabe, à l’origine de la rumeur, était en fait éperdument amoureux de la jeune femme, il finit par avouer son mensonge. Ses remords le poussent à la folie, il passe le reste de sa vie à pousser des cris, imitant ceux de sa dulcinée qui s’est suicidée.

Hams Al-Nogoum (le chuchotement des étoiles), par Naguib Mahfouz, aux éditions Al-Saqi, Beyrouth, 2019, 144 pages.

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