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BDS dans le collimateur

Samar Al-Gamal, Mardi, 11 juin 2019

14 ans après son lancement pour tenter de pousser Israël à restaurer les droits des Palestiniens, le mouvement de boycottage dérange.

BDS dans le collimateur
Manifestation contre le Bundestag, le parlement allemand, pour dénoncer sa décision contre BDS.

Boycotter Israël pour son occupation relève désormais de l’antisémitisme. Ainsi en a décidé le parlement allemand dans une résolution, privant les Palestiniens d’un outil pacifique pour obtenir leur droit, alors qu’une campagne appelant au boycott du Festival international de films LGBT de Tel-Aviv bat son plein.

Le Bundestag visait par ce texte BDS, mouvement d’origine palestinienne, qui appelle au boycott d’Israël pour l’inciter à respecter le droit international.

Même si cette décision est encore non contraignante, elle inquiète les mouvements de solidarité avec les Palestiniens, d’autant plus qu’elle s’inscrit dans la lignée de résolutions similaires adoptées auparavant par les Etats-Unis, la France et l’Angleterre.

Inspiré par le mouvement sud-africain anti-apartheid, BDS ou « Boycott, Désinvestissement, Sanctions » est un mouvement qui a été lancé en 2005, pour appeler notamment au boycott des produits israéliens, avec le slogan : « N’achetez pas ». Il vise à prévenir non seulement l’achat de produits fabriqués en Israël, mais aussi les échanges universitaires, culturels ou sportifs avec ce pays. Le tout dans l’objectif de faire pression sur Tel-Aviv.

Selon ses membres qui ont rejeté d’emblée les accusations d’antisémitisme et de discrimination, « c’est un mouvement essentiellement non violent qui ne plaide pas pour une solution spécifique du conflit israélo-palestinien », mais il fait plutôt campagne pour mettre en oeuvre le droit et les résolutions internationales exigeant de finir avec l’occupation illégale des territoires palestiniens, de démanteler le mur d’apartheid illégal, d'accorder aux citoyens palestiniens d’Israël l’égalité des droits et de reconnaître le droit de retour des réfugiés palestiniens.

Sur son site Internet, BDS dit « défendre le principe simple selon lequel les Palestiniens ont les mêmes droits que le reste de l’humanité ». « Israël occupe et colonise des terres palestiniennes, discrimine les citoyens palestiniens d’Israël et refuse aux réfugiés palestiniens le droit de retourner dans leurs foyers », lit-on encore sur le site disponible en 3 langues : arabe, anglais et espagnol.

Le jour de la résolution allemande, le mouvement BDS l’a décrite sur Twitter comme « se fondant sur des mensonges éhontés. Ce n’est pas seulement du McCarthisme palestinien, c’est une trahison du droit international, de la démocratie allemande et du combat contre le véritable racisme anti-juif ». Les Palestiniens aussi ont condamné la démarche allemande, que ce soit du côté de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) ou des associations de la société civile, estimant que « dénier aux Palestiniens le droit de plaider sans violence pour la liberté, la justice et l’égalité est anti-palestinien et met le Bundestag en porte-à-faux avec le droit international, avec les principes démocratiques universels, et même avec la position officielle de l’Union européenne ».

Composé de plus de 180 organisations, syndicats, associations universitaires et mouvements populaires à travers le monde, couvrant tout le spectre politique de la gauche aux islamistes, BDS, qui s’efforce de dévoiler toute forme de complicité ou de collaboration avec l’occupation illégale et l’apartheid israéliens, s’est attiré davantage d’ennemis. Des Etats occidentaux sont exposés, mais aussi des pays arabes, et l’Autorité palestinienne elle-même pour sa coopération sécuritaire avec Israël.

L’idée du boycott est aussi vieille que le conflit lui-même, et le boycott d’Israël est devenu populaire, notamment dans la foulée de l’Intifada contre l’occupation en 1987, puis encore avec le second mouvement de soulèvement populaire en 2000, mais ce mouvement est un véritable casse-tête.

C’est le nouveau champ de résistance palestinienne. Il a perturbé des concerts, festivals et événements sportifs et universitaires dans le monde entier, et a le mérite, selon les experts, d’avoir dévoilé de grandes entreprises liées à l’occupation israélienne, et a aidé à en expulser d’autres des territoires occupés. Il a contraint tout le monde à prendre position ou à justifier sa position en public sur l’expropriation de terres palestiniennes pour y construire des colonies juives ; la punition collective des habitants de la bande de Gaza vivant sous un blocus total depuis plus d’une dizaine d’années, et encore sur la ségrégation entre les citoyens juifs et palestiniens d’Israël.

Un ministère pour contrer BDS

Vingt scientifiques, dont George P. Smith, lauréat du Nobel de chimie en 2018, ont ainsi écrit une lettre ouverte aux organisateurs de la prochaine Olympiade de physique pour protester contre sa tenue en Israël en juillet prochain. Par ailleurs, une filiale de la compagnie d’assurance française Axa (Axa-IM) a quitté une entreprise israélienne fabriquant des armes utilisées contre les Palestiniens, et des entreprises australiennes et canadiennes se sont retirées du projet de tramway dans les colonies israéliennes, et ce, suite à des campagnes du BDS.

De grandes entreprises telles que Veolia, Orange et CRH se sont totalement ou en grande partie retirées d’Israël à la suite de campagnes de boycott.

Pourtant, il n’y a pas eu d’impact économique majeur sur Israël. Le commerce extérieur d’Israël continue d’augmenter, et Tel-Aviv bénéficie d’aides et d’appuis économiques et militaires importants. Et ses contrats avec les Etats-Unis, l’Europe, l’Inde et la Chine ne cessent de se développer.

Adnan Abou-Amer, professeur de sciences politiques à l’Université palestinienne Al-Oumma, estime que le bilan du BDS se mesure non pas par les seuls chiffres économiques. « Ce mouvement a démantelé l’image anti-démocratique d’Israël qui cherchait à se présenter comme l’extension naturelle et démocratique de l’Europe, et comme étant le seul pays démocratique dans une forêt de dictatures arabes », explique-t-il dans un entretien par téléphone depuis Gaza.

D’après le spécialiste des affaires israéliennes, « aujourd’hui, tout responsable israélien, ancien ou en poste, craint de voir sa participation dans un événement à l’étranger incrustée par les activistes du mouvement. Des créneaux scientifiques, universitaires et artistiques sont désormais barrés aux Israéliens ».

L’inquiétude de Tel-Aviv est telle qu’Israël a créé un ministère spécialement pour contrer les activités du BDS, le ministère des Affaires stratégiques, qui vient d’allouer environ 1,6 million de dollars pour mener des activités à l’étranger, et des campagnes sur les réseaux sociaux en faveur d’Israël et contre BDS. Le gouvernement a adopté une loi interdisant l’entrée aux étrangers qui ont publiquement soutenu le boycott d’Israël et un projet de loi est également en préparation pour permettre des coupures dans le budget des associations ou universités israéliennes dont les membres soutiennent BDS. Israël veut pousser aussi les gouvernements européens à ne pas travailler avec des organisations soutenant BDS dans les territoires palestiniens.

« L’émergence du mouvement BDS a relancé de vieilles questions sur la légitimité du sionisme, sur la justification du privilège des droits des juifs sur les droits des non-juifs et sur la raison pour laquelle les réfugiés peuvent rentrer chez eux dans d’autres conflits, mais pas dans celui-ci. Surtout, il a mis en lumière un problème délicat qui ne saurait être indéfiniment négligé : si Israël, même s’il devait mettre fin à son occupation de la Cisjordanie et de Gaza, peut être à la fois une démocratie et un Etat juif », écrit The Guardian dans un long papier sur BDS en août 2018.

Le bilan reste mitigé, mais BDS semble la solution de dernier recours pour les Palestiniens avec les espoirs de paix escomptés.

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