Jamais un recueil de nouvelles n’a fait la célébrité de son auteur, comme cela a eu lieu avec le recueil de Youssef Idriss, Des nuits sans prix. Lorsqu’en 1954 une nouvelle génération d’écrivains s’est imposée sur la scène par une écriture dépouillée, sans fioritures, ni Idriss, ni aucun autre écrivain de cette lignée ne pensait que la nouvelle serait un art en voie de disparition. Qui aurait pu croire que la nouvelle deviendrait tout simplement un domaine d’étude pour les spécialistes de ce genre, voué au même sort que l’art de l’essai et du texte théâtral intégral ? Effectivement, le texte théâtral a disparu. Ce qui est aujourd’hui monnaie courante sur scène n’est que manuscrits transmis de l’auteur au metteur en scène et aux acteurs. Il est même rare que le texte soit imprimé pour la bonne et simple raison que le texte théâtral n’est plus lu.
Et il est probable qu’un jour le texte théâtral devienne l’égal du scénario des films de cinéma. Jusqu’à un temps proche, je craignais que le texte théâtral ne connaisse ce destin, jusqu’à la publication des pièces Le Dernier souffle du Syrien et Le Haut hennissement du cheval, du Syrien Al-Fares Al-Zahabi (le chevalier d’or). La publication de la pièce coïncide avec la publication du recueil de nouvelles La Tête du coq rouge, de l’écrivain égyptien Ahmad Al-Khamissi, tous deux publiés par la maison d’édition Kotob Khan au Caire. Le Dernier souffle du Syrien dédié à Michel Aflaq enregistre la courbe des révolutions militaires dans le monde arabe ainsi que le destin des révolutionnaires, ou ceux qui ont prétendu l’être, puis ont été atteints de rage après avoir occupé le pouvoir pendant des années. Et sous prétexte de sauvegarder la révolution, ils ont transformé leurs pays en une grande prison de l’oppression et de la tuerie. Le général iraqien vaincu Saadoun Al-Boghdadi, qui considère le peuple des rats, des traîtres et des agents, et dans le meilleur des cas un troupeau qui ne mérite que l’humiliation, fuit en Syrie après l’occupation américaine de son pays en 2003, pour se réfugier chez la famille d’un ami décédé. Ainsi il découvre que le monde a changé à travers une nouvelle génération représentée par Kamal et Rima, les enfants de son ami. Au début, Kamal est épris par l’héroïsme illusoire du général.
Quant à Rima qui refuse l’occupation, elle croit en l’honneur du peuple et pense que rien ne justifie l’oppression d’une personne contre une autre sous prétexte de défendre une cause. Elle n’est pas très à l’aise avec la présence de l’invité qui vient imposer ses complexes historiques sur toute la maison, en particulier la jeune fille qui n’accorde aucun intérêt à ce qu’il dit : « Le président et les commandants dirigent la guerre sacrée contre les néo-croisades » et prétend que le conseil de direction de la révolution dirigé par Saddam Hussein visait depuis son accession au pouvoir à lutter contre l’injustice.
Armé de l’art et de l’idéologie

Pour ce qui est d’Ahmad Al-Khamissi, il reste le plus près de ce qu’il aime, l’art de la nouvelle, renonçant ainsi à l’écriture du roman. Khamissi est armé de l’art et de l’idéologie, alors qu’il a traduit plusieurs recueils de nouvelles et des livres de critique de la littérature russe. Il a écrit 4 recueils de nouvelles, dont Canari qui a obtenu le prix Sawirès pour le meilleur recueil de nouvelles, section grands écrivains en 2011. Dans La Tête du coq rouge, il semble avancer à la pointe de l’épée. Il réussit à tisser des sentiments humains sincères dans un langage limpide malgré le réalisme des événements. Dans la nouvelle Lueur, de 20 pages et qui est la plus longue du recueil, un professeur de physique passe par une crise après avoir perdu Réhab, qui est l’une des personnalités les plus profondes dans la nouvelle. Même après la lecture, le lecteur reste épris pas le spectre de Réhab au point de plaindre le héros emprisonné par sa lueur, et qui l’amène à se demander : « Pourquoi l’homme ne croit-il pas, comme le croyait Réhab, que les âmes des disparus écoutent ceux qui les sollicitent ? ». Je voudrais proposer à ceux qui ont l’intention de lire Lueur de se purifier, pour porter le livre avec une main tendre, et de le lire avec un oeil doux et un coeur qui connaît les rites des prières de l’amour.
Ce sont les conditions pour s’engager dans ce monde rempli de lumière et de clémence. Contrairement à Lueur, qui peut être considéré comme le texte tragique le plus court, Une liste pour oublier, en 6 pages, résume les contradictions et la transparence du sentiment humain, la perfection de la faiblesse humaine. C’est l’histoire d’un jeune homme qui jure de couper toute relation avec sa bien-aimée si elle ne l’appelle pas pour le consoler avant qu’il ne rentre chez lui. Et quand il s’approche de la maison, il ralentit les pas. En arrivant chez lui, il trouve un ami qui l’attend et jure devant lui d’oublier sa bien-aimée pour toujours et décide de faire une liste des souvenirs et des situations qu’ils ont vécus ensemble, pour les supprimer de sa mémoire. Avec subtilité, il rappelle : « Tu sais qu’est-ce que j’ai oublié de mentionner ? C’est surtout son regard quand elle me fixait avec tendresse, je l’ai noté ».
Un simple appel téléphonique de sa bien-aimée a aboli la longue liste, il franchit tous les escaliers en un bond pour aller à sa rencontre. Les nouvelles de Khamissi rappellent aux lecteurs les sentiments de l’humanisme, promouvant des valeurs humaines, en particulier la liberté. Et le plus important est qu’elles rendent l’estime à l’art de la nouvelle .
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