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Entre science et littérature

Dina Darwich, Lundi, 21 mai 2018

L’écrivain Mohamed El-Makhzangi a arrêté ses essais journalistiques pour se consacrer à la littérature. Ses études en psychiatrie et son expérience de reporter scientifique ont profondément affecté son style. Il vient de sortir trois nouveaux livres.

Entre science et littérature
(Photo:Ahmad Aref)

Lorsqu’une question scientifique sus­cite son étonnement, il commence à se poser des questions. Les réponses le guident à la sagesse qui est l’es­sence de la philosophie. C’est ainsi que Mohamed El-Makhzangi révèle à Al-Ahram Hebdo son cheminement dans l’écriture, qu’il s’agisse de l’écriture journalistique scienti­fique, dans laquelle il a excellé pendant 25 ans, ou de l’écriture littéraire (recueils de nou­velles, récits de voyage, etc.). La culture scien­tifique, la littérature et la presse écrite consti­tuent le trio qui a marqué l’itinéraire du grand écrivain. C’est là que le psychiatre de forma­tion trouve sa zone de confort. Et c’est ce trio qui donne aux oeuvres d’El-Makhzangi leur charme et leur particularité. Après huit ans d’arrêt, Mohamed El-Makhzangi a décidé de reprendre sa plume. Il sort aux éditions Al-Shorouk trois ouvrages dans cette même lignée où la science se mêle à la littéraire. Le premier livre est un entretien avec un médecin ascète, intitulé Maa Mohamad Ghoneim, Al-Saada Fi Makan Akhar (avec Mohamad Ghoneim, le bonheur est ailleurs). Le second ouvrage comprend deux textes : Piano Fatma et Al-Bahs an Hayawan Ramzi Gadid lel Bélad (à la recherche d’un nouvel animal sym­bolique pour le pays) publié en série dans le quotidien Al-Shorouk depuis 8 ans. Quant au 3e ouvrage, intitulé Sayad Al-Nassim (le chas­seur de la brise) c’est un recueil de nouvelles.

Fils du gouvernorat de Mansoura qui a étu­dié la médecine, et l’a vite sacrifiée pour se consacrer à l’écriture, il décrit ainsi le parcours de l’écrivain: « L’écrivain est, en fait, le fruit d’un ensemble d’héritage et d’expériences. Sa nature et les choses qu’il a apprises durant sa vie et dans son environnement ont un impact sur lui et forgent sa personnalité ». Son point de vue est souvent basé sur des théories scien­tifiques. Il existe deux théories qui expliquent le comportement de l’individu: la première est la théorie du selfish gene (gène égoïste) établie par Richard Dawkins en 1976. « Dawkins estime que tout ce qui est écrit dans nos gènes nous guide dans la vie. Autrement dit, nous sommes des marionnettes entre les mains de nos gènes ». L’autre théorie, plus récente, est plus en accord avec la vision de l’écrivain. Elle assure que l’empreinte génétique n’est pas rigide. Elle est ni gravée ni sacrée, mais elle est en perpétuel changement, surtout avec les expériences que l’être humain est amené à affronter dans la vie et qui l’obligent à s’adap­ter. « La preuve, insiste El-Makhzangi, est que l’homme primitif, du point de vue congénital et comportemental, n’est pas le même que celui qui vit au XXIe siècle. L’écrivain ne fait pas exception à cette deuxième théorie. Il est né avec un don qui lui permet de capter les sens et les images autour de lui et qui évolue à chaque instant de sa vie ».

La littérature nourrit

les sciences

Aujourd’hui, après 25 ans de journalisme, il a décidé de se donner entièrement à la littéra­ture. Il estime qu’il existe deux grandes expé­riences dans sa vie qui ont beaucoup marqué son style littéraire, et qui ont, en même temps, absorbé son temps et son énergie: ses études en médecine et sa grande passion pour les sciences, loin du domaine académique. S’ajoute à cela une carrière de plus de deux décennies comme reporter scientifique au magazine koweïtien Al-Arabi, fondé par le Dr Ahmad Zaki, connu en Egypte comme étant le père de la chimie et fondateur du Centre natio­nal des recherches. Ce grand monsieur, comme le pense El-Makhzangi, est aussi un intellectuel et un homme de lettres de renom. L’étape d’Al-Arabi va marquer le style journa­listique du jeune Makhzangi et aussi son style littéraire. Durant cette riche expérience, l’écri­vain ne s’est pas contenté de son bagage en biologie, mais s’est ouvert à un nouveau domaine dont il est passionné, celui de la phy­sique moderne, surtout la théorie de la relati­vité et du quantum. Un domaine que l’écrivain présente d’une manière attirante et motivante en dépit de sa grande complexité. « La phy­sique est le secret de la vie. Si le mouvement est la preuve de la vie, alors la physique est la science qui palpe le pouls de toutes les entités en mouvement autour de nous, qu’il s’agisse de l’homme, de l’animal ou des objets inertes dont les électrons sont aussi en mouvement », avance-t-il.

Fiction et hallucinations scientifiques

Entre science et littérature

Pourtant, les nouvelles d’El-Makhzangi ne plongent pas dans le jargon scientifique. La preuve est qu’il a publié son Piano Fatma et A la recherche d’un nouvel animal symbolique pour le pays dans une série au journal Al-Shorouk dans un style plutôt journalistique que scientifique. La fibre scientifique chez El-Makhzangi, il faut la chercher avant tout dans sa quête de l’exactitude et de la préci­sion, même s’il laisse libre court à son imagi­nation.

Dans Piano Fatma, le récit raconte l’his­toire d’un piano dans une salle de musique d’une école au gouvernorat de Banha qui a la capacité de prévenir des secousses terrestres. « L’idée est née suite au séisme qui a frappé l’Egypte en 1992. Je devais recourir à des références en physique, en géologie et en mécanique pour m’assurer que l’idée est fai­sable ». Il se tait un moment, réfléchit, puis continue: « Je crois profondément à une phrase d’Anton Tchékhov, qui estime que mieux vaut ne pas écrire que d’écrire des textes qui contredisent les faits scientifiques ». C’est un piège dans lequel tombe beaucoup d’écrivains, car nombreuses sont les oeuvres littéraires qui « sont pleines de bêtises scienti­fiques ».

La quête de l’animal

Dans A la recherche d’un nouvel animal symbolique pour le pays, El-Makhzangi creuse dans une nouvelle branche de la science, l’éthologie, celle-ci étudie le com­portement des animaux. Il se réfère à ses études en psychiatrie pour comparer le com­portement de l’animal à celui de l’homme. Et il invente un nouveau genre littéraire, incon­nu de la littérature arabe. Il le surnomme la takrissa mot dérivé de Korras, ou cahier en arabe, dont l’origine veut dire un ensemble d’objets unis ensemble comme le collier ou le chapelet. Dans cette nouvelle forme, il a voulu unir tout: aborder des questions sérieuses dans la vie politique avec ironie et humour, et ce, sans jamais perdre de sa perti­nence. Une méthode en vogue dans le monde entier. El-Makhzangi rappelle le dernier ouvrage intitulé The Greatest Show Of The Earth (le plus grand spectacle du monde) de Richard Dawkins, professeur de biologie évolutive (la science qui cherche à com­prendre les mécanismes de l’évolution des espèces), il y présente l’information scienti­fique dans un contexte littéraire très intéres­sant. Or, l’écrivain ne se contente pas de créer de nouvelles formes littéraires, mais tente également d’inventer des personnages hors norme. Chose qui remonte à une période précoce de sa carrière d’écrivain, lorsqu’il léguait la trame de l’histoire à des animaux, des oiseaux, des orages, etc. Parce que l’écri­vain, ancien psychiatre, défend un sentiment instinctif, qui est approuvé par les faits scien­tifiques, selon lequel toutes les créatures ont le même design de base, mais sont façonnées différemment. Le Chasseur de brise est un recueil de nouvelles écrit sur plusieurs années. Il existe dans ce livre certaines nou­velles qui ont été écrites depuis une dizaine d’années, comme par exemple 50 Voix sous le petit soleil d’hiver. Quant à Zoumo (le verbe Yazoum en arabe signifie exprimer sa colère d’une manière muette en émettant une sorte de bourdonnement et sans montrer ce que l’on dit), il y présente comment la révo­lution est née d’un simple appel exprimant le courroux à travers ce bourdonnement. El-Makhzangi a même décrit les scènes de cette colère qui a ravagé la rue égyptienne avant le départ de Moubarak. « Certains cri­tiques ont considéré ce récit comme une prophétie du soulèvement de 2011 », confie-t-il. « En tant que médecin, je savais que le Tétanos est une maladie qui provoque une contraction dans les muscles de la bouche, ce qui donne l’impression que le mort est en train de sourire. Cette vérité scientifique était à la base de l’intrigue dans Le Sourire de la mère de Kissinger. Même chose dans Le Meurtre du magicien de verre et Amulette d’Alzheimer, elles ont nécessité une large culture en psychiatrie ».

La cuisine, art de l’intuition

« Dans le livre Sayad Al-Nassim, j’ai l’im­pression que je plonge le lecteur dans des jungles de chagrin, et j’ai voulu alors lui offrir une lumière dans ces ténèbres. Une chose que j’ai essayé de faire dans toutes les autres nouvelles. C’est pour cela que j’ai choisi ce titre pour le livre », affirme Al-Makhzangi.

Dans ce livre, il consacre le premier récit à l’art culinaire. Celui-ci est intitulé : Comment suis-je devenu un excellent cuisinier en un jour ? Dans cette nouvelle, il aborde son expérience avec la cuisine qu’il a bien maî­trisée quand il était en bourse d’études à Kiev pour obtenir son doctorat. Il considère la cuisine comme un art qui anime l’imagina­tion et mobilise les sens pour trouver les secrets d’une recette, ses ingrédients et ses épices. Mais pour lui, il s’agit d’une science qui dépend, à l’instar de la médecine, sur l’intuition. Il avoue que, pour lui, l’art culi­naire est un moyen de célébrer avec sa famille la réalisation d’un ouvrage. Une occasion, comme il le dit dans le récit, de montrer ses talents et de concurrencer sa partenaire, native de la Syrie, qui maîtrise à son tour les plats savoureux d’Al-Cham. « Je cuisine quand je suis heureux ». conclut-il. Mais est-ce que le prochain livre d’El-Makhzangi sera sur l’art culinaire ? .

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