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L’extrémisme laïque existe aussi

Mohamed Saad, Mardi, 11 octobre 2016

Invité par l'Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR), au Caire, le grand éditorialiste du Monde Diplomatique, Alain Greish, revient sur la haine de l’islam en Europe.

L’extrémisme laïque existe aussi

L’islam est devenu le sujet brûlant en Europe et en Occident depuis la fin de la guerre froide et l’effon­drement de l’Union soviétique. Il est présenté comme étant « le nouvel ennemi » par l’extrême droite, sur­tout après les attaques du 11 sep­tembre et l’avènement de l’isla­misme radical d’Al-Qaëda et de Daech. Avec la montée des mouve­ments islamistes et la migration d’un grand nombre de musulmans vers l’Europe, les Occidentaux ten­tent de mieux comprendre l’islam et le Coran. Les musulmans peuvent-ils tous être placés sous le seul label généralisé de « groupe religieuse­ment engagé ». Contre cette idée, le célèbre journaliste français, né en Egypte, Alain Greish, ancien rédac­teur en chef du prestigieux Le Monde Diplomatique, a donné une conférence au Caire, mardi 4 sep­tembre, à l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR), sur « l’islam et ses adversaires en Europe ». Il donne ses arguments contre l’existence d’un islam « uni­fié » en prenant une approche diffé­rente pour aborder le sujet.

Greish a choisi d’aborder l’islam à partir d’un point de vue non reli­gieux, soulignant les grandes diffé­rences qui existent aujourd’hui entre les musulmans, au point de remettre en question l’identité du musulman d’aujourd’hui. Ce terme est utilisé pour faire référence à tous les musulmans indépendamment de leur relation avec la religion. Il rem­place désormais le mot Arabes. « Ent tant qu’athée, je n’avais pas de rapport avec la religion jusqu’à douze ans passés. Je n’ai pas abor­dé l’islam à partir d’une perspective religieuse, mais plutôt à partir de la façon dont l’islam est utilisé politi­quement pour jouer un rôle dans les pays arabes et occidentaux, et le débat qu’il suscite », explique-t-il.

Terrorisme et impasse politique

Pour Greish, le problème est social et politique avant qu’il ne soit religieux, puisque le terrorisme découle de l’impasse politique, des troubles sociaux et du chômage. Une approche qui a conduit Greish à dénoncer le terme « terrorisme » comme un mot « vide » qui ne nous aide pas à venir à bout des pro­blèmes auxquels nous sommes confrontés. « Regardez le gars qui conduisait le camion dans la foule à Nice, il n’avait rien à voir avec l’is­lam jusqu’à quelques jours avant de décider de tuer 80 personnes. De même que le tiers de ceux qui vont se battre avec l’Etat islamique, ils n’étaient même pas musulmans peu avant qu’ils n'aient décidé de rejoindre ce groupe », affirme Greish. Et d’ajouter : « L’idée que le Coran répondra à toutes vos questions sur les musulmans est erronée. Les musul­mans ne sont pas uni­fiés, regardez les diffé­rences entre les catho­liques. En dépit de ces différences, ils sont tous liés à la tête de l’Eglise, le pape. C’est là une chose que l’is­lam ne possède pas ».

Greish insiste : « La Bible ne peut pas vous donner une compré­hension des catholiques de l’ex­trême droite et ceux de l’extrême gauche, ni le Coran ne peut le faire. Voilà pourquoi je ne regarde pas l’islam d’un point de vue religieux, mais l’usage politique de celui-ci ». Selon le prestigieux éditorialiste et spécialiste du Moyen-Orient, « dire que le terrorisme et le refus des générations musulmanes de vivre sous les traditions occidentales ont créé la haine contre l’islam n’est pas exacte, car cette haine a com­mencé au Moyen Age, et est réappa­rue dans les années 1990 quand il n’y avait pas de terrorisme isla­mique en Europe ». Greish pense qu’il existe une relation entre la fin de la guerre froide et la guerre contre l’islam. Il souligne la propo­sition de Samuel Huntington, pré­sentée dans les années 1990 après l’effondrement de l’Union sovié­tique, selon laquelle le prochain affrontement sera entre les civilisa­tions, c’est-à-dire que l’Ouest affrontera la civilisation islamique, car les musulmans sont contre le projet occidental et sa domination de la région.

Un discours dominant
Les communistes et les socialistes, et même les courants de la droite, ont été vaincus dans le monde arabe. De même, les rêves de libération nationale se sont retrouvés avec des dictatures militaires, soutenues par la gauche. Et donc, la seule opposi­tion était représentée par le discours islamique, mais l’islam n’est pas un programme politique. « Les organi­sations musulmanes, par exemple, ont des points de vue très différents sur l’in­vasion de l’Iraq. Ces organisations doivent être considérées comme des organisa­tions politiques, et cela vaut pour toutes les religions, mais avec l’islam, ce phé­nomène est plus répandu en raison de l’impasse politique », dit-il. L’auteur de L’Islam, la République et le monde fait égale­ment référence à un changement au sein de l’islam, à savoir le Wahhabisme, qui a affecté le discours islamique depuis les années 1970 du XXe siècle, créé par l’Arabie saoudite et les pétrodollars. Le résultat est la version très conser­vatrice de l’islam que nous voyons aujourd’hui.

Concernant l’image de l’islam et des musulmans en Occident, Greish remonte aux origines du mot « musulman » qui est un nouveau mot utilisé dans l’ouest, qui a rem­placé le mot arabe. « Il y a 60 ans, nous utilisions le mot Arabe, et maintenant musulman est venu le remplacer, indépendamment de son rapport à la religion », dit Greish.

L’idée que les musulmans sont unis à l’ouest est un non-sens, selon lui. « Il y a d’énormes différences entre les musulmans et ils viennent de différents lieux, du Bangladesh au Moyen-Orient, du Maroc, en plus de ceux qui sont nés en Europe et ne connaissent pas d’autres pays. Ils sont une minorité, une minorité qui n’est pas unifiée », dit Greish. Il souligne les différences qu’il y a entre les musulmans en ce qui a trait au sécularisme. « La relation entre l’Etat et la religion diffère d’un pays à l’autre, en Grande-Bretagne la reine est le chef de l’Eglise, l’Alle­magne paie les impôts des clercs, et en France, l’affaire est insondable étant donné l’histoire de la France et sa lutte contre l’Eglise ».

Greish a également critiqué ceux qui assimilent l’islam à l’Eglise en France. « Nous ne sommes pas dans une position similaire, l’Eglise était fidèle au roi et contre la République et l’Etat n’a jamais conquis l’Eglise. Je dirais qu’il y avait un compromis dans la loi de 1905. L’Eglise ne peut pas participer à la politique, mais les citoyens peuvent appartenir à l’Eglise et peuvent réclamer cette appartenance ».

Les raisons qui poussent les jeunes vers l’Etat islamique, comme le dit Greish, est que ce groupe « leur donne un espoir, une utopie d’un Etat qui va ramener le califat comme Dieu voulait ». Il pense que l’extré­misme de ces jeunes ne vient pas de la religion, mais des poursuites de l’Etat, de la tyrannie et du racisme contre les musulmans. « Il y a un discours qui dit aux jeunes musul­mans à l’Ouest : vous ne pouvez pas faire partie de la société jusqu’à ce que vous mangiez du porc et buviez du vin. Il n’y a pas de loi qui impose cela, mais il y a la stigmatisation sociale et les pressions ». Et d’ajou­ter : « Il y a le problème de l’extré­misme islamique, mais aussi l’extré­misme laïque. Il devrait y avoir un pluralisme et une acceptation de l’autre ».

Publications :

Alain Greish et Dominique Vidal, Palestine 47, un partage avorté, Editions Complexe, 1994.
Alain Greish et Dominique Vidal, Les 100 portes du Proche-Orient, Editions de l’Atelier, 1996.
Alain Greish et Tariq Ramadan, L’Islam en questions, Actes Sud, 2000.
Alain Greish, Israël, Palestine : Vérités sur un conflit, Fayard, 2001 ; rééd. actualisée, 2010.
Alain Greish, L’Islam, la République et le Monde, Fayard, 2004.
Alain Greish, 1905-2005 : Les Enjeux de la laïcité, L’Harmattan, 2005.
Alain Greish, De quoi la Palestine est-elle le nom ?, Les Liens qui libèrent, 2010.

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