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L’intellectuel visionnaire

Rasha Hanafy, Lundi, 27 juin 2016

En juin 1992, Farag Fouda a été assassiné pour ses écrits sur la liberté d’expression, la citoyenneté, la laïcité et le ter­rorisme. A l’oc­casion du 24e anniversaire de sa mort, Al-Ahram Hebdo revient sur le parcours de cet écrivain toujours d’actualité.

L’intellectuel visionnaire

Le martyr de la plume. Tel est le nom donné à l’écri­vain, penseur, chroniqueur et militant des droits de l’homme égyptien, Farag Fouda, né en 1945, dans le gouvernorat de Damiette au nord-est du Caire, et assassiné en juin 1992, après une fatwa adoptée par le conseil des oulémas de l’Université d’Al-Azhar, l’accusant d’être un « ennemi de l’islam ». Le groupe Al-Gamaa Al-Islamiya a revendiqué l’assassinat en s’appuyant sur cette fatwa d’Al-Azhar qui considère Fouda comme un apostat en raison de son refus d’instaurer la charia. Aujourd’hui, les idées et les paroles du grand pen­seur circulent toujours sur la toile. Fouda, défenseur de l’Etat civil, a été victime de l’obscurantisme religieux. L’avènement de la Révolution isla­mique en Iran en 1979 et l’assassinat du défunt président égyptien, Anouar Al-Sadate, en 1981 poussent Fouda à quitter sa carrière universitaire, alors qu’il était professeur d’économie agri­cole, à l’Université de Aïn-Chams, pour se lancer dans la politique. Il a publié un certain nombre d’articles dans le magazine October et Al-Ahrar. Ses écrits ont suscité de nombreux débats dans la société égyptienne, car il plaidait pour la séparation de l’Etat et de la religion. Fouda a mis en garde contre la domination des groupes isla­mistes sur la scène politique parce qu’ils allaient, selon lui, mélanger la politique à la religion. Une simple relecture de ses ouvrages montre qu’il ne pouvait être en aucun cas contre l’islam en tant que religion céleste, mais qu’il était contre l’intrusion des hommes de religion dans les affaires et la gestion de l’Etat.

Contre l’alliance avec les Frères
En 1983, il publie son premier livre intitulé Al-Wafd wal Mostaqbal (le parti Wafd et l’avenir), dans lequel il explique les idées politiques qui l’ont mené à démissionner du parti du néo-Wafd, parce qu’il refusait l’alliance avec les Frères musulmans aux législa­tives de 1984. Il y affirme : « Si nous rejetons l’ingérence de la religion dans la politique, nous condamnons égale­ment l’intervention de la politique dans la religion, la politisation de la religion ou la religionisation de la politique sont les deux faces d’une même médaille ». En 1984, il publie Qabl Al-Soqout (avant de chuter), dans lequel il prédit l’arrivée des islamistes au pouvoir en Egypte. Il déclare ainsi dans l’introduction : « Je ne m’in­quiète pas si je suis d’un côté et tout le monde est de l’autre. Je ne crains rien, ni celui qui m’a déçu, ni celui que mes mots effraient. Ce qui m’inquiète c’est le fait que mon message n’arrive pas à son destinataire, parce que je m’adresse à ceux qui ont une opinion et non à ceux qui ont des intérêts ». Il continue ensuite en remontant dans l’histoire islamique : « L’assassinat de Ali n’était qu’un exemple donné par Allah, pour montrer que l’extrémisme religieux est un fléau, et qu’un grand imam comme Ali n’a pu y survivre ». D’après lui, « nous avons besoin de redistribuer les rôles : que les hommes de religion parlent de religion et que les hommes politiques parlent de poli­tique et non l’inverse ».

Durant la même année 1984, Fouda publie un livre important intitulé Al-Haqiqa Al-Ghaëba (la vérité absente). Ce livre concentre l’essen­tiel des idées de Farag Fouda et de sa lecture de l’histoire politique de l’is­lam. Pour lui, l’idée d’une cité musul­mane idéale, qui aurait existé au temps des premiers califes de l’islam, et que les musulmans pourraient reproduire en appliquant des lois d’inspiration religieuse, est au mieux une utopie, au pire une immense tromperie intellec­tuelle. Il démontre, en s’appuyant sur les récits des historiens comme ceux d’Al-Tabari, que les intérêts politiques ont toujours primé sur les considéra­tions religieuses et que la piété et les vertus personnelles des compagnons du prophète ne les ont pas empêchés de se livrer à des luttes sanglantes pour la conquête du pouvoir. D’après lui, « Le Coran ne s’explique pas par lui-même, mais ce sont les musulmans qui expliquent le Coran. Or, les musul­mans ont fait le plus grand mal à l’islam ».

Une vision profonde et claire
En 1987, Fouda publie son livre Hewar Hawl Al-Elmaniya (discussion sur la laïcité), dans lequel il parle des droits des chrétiens, en assurant que « la minorité copte en Egypte, contrai­rement à beaucoup de minorités dans la plupart des pays du monde, n’est pas une population migrante, mais une minorité sédentaire et ancienne, qui fait partie de la diversité égyptienne (…). Et l’adoption de certaines reven­dications politiques par la minorité copte n’est pas de nature religieuse, mais politique, car ils soutiennent les valeurs universelles des droits de l’homme ». Et pour Fouda, résoudre le problème du terrorisme islamiste réside dans trois étapes mentionnées dans son livre Al-Irhab, (le terrorisme), publié en 1988 : « La première est l’expansion d’une démocratie qui réu­nirait également les islamistes. Le deu­xième point est la suprématie de la loi, et enfin, le dernier point est de garan­tir aux médias un seul fil conducteur qui leur permettrait de défendre les bases de l’Etat civil ».

Son livre Al-Nazir (l’avertissement), publié en 1989, est une étude sur le développement des mouvements isla­mistes entre 1982 et 1987. Il y prévoit le destin des islamistes : « Ils crieront contre les chansons, mais les gens chanteront. Ils s’indigneront du ciné­ma, mais les gens iront au cinéma. Ils hurleront contre les penseurs, mais les gens continueront à les lire. Ils se révolteront contre les sciences modernes, mais les gens continueront à les étudier. Ils rempliront le monde par leurs cris et leurs hurlements. Leurs bombes exploseront. Les tirs éclateront. Ils seront victimes de tout ce qu’ils font. Et finalement, ils le paie­ront au prix fort ».

En 1992, dans son dernier livre Hata la Yakoune Kalamane fil Hawa, (pour que les paroles ne soient pas vaines), publié à titre posthume, Fouda déclare : « Les deux ailes de la démocratie sont la liberté d’expression et la possibilité de changement. Le lancement de la première entraîne la seconde ». Des mots qui ne peuvent être que d’actua­lité, même plus de 20 ans après l’assas­sinat de leur auteur.

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