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Le printemps pour les nuls

Alban de Ménonville, Mardi, 04 mars 2014

Entre clichés et simplifications, une Bande Dessinée (BD) aborde ce que ses auteurs appellent Le Printemps des Arabes. Les dictateurs sanguinaires y massacrent les révolutionnaires et autres combattants pro-démocratie dans un récit aux allures de mauvaise propagande occidentale.

Bande Dessinée

Le Printemps des Arabes, le titre de la BD de Jean-Pierre Filiu et Cyrille Pomes donne le ton. Comme si les Arabes de Syrie étaient en train de vivre le même printemps que les chiites de Bahreïn. Question clichés et simplifications, l’ouvrage va loin, très loin.

16 chapitres reviennent sur les moments forts des révoltes populaires, petites ou grandes, qui ont eu lieu ces dernières années au Moyen-Orient. « L’idée est de redonner une épaisseur aux oubliés et aux marginaux de la grande Histoire à travers le dessin », précise Jean-Pierre Filiu. Le roman graphique commence ainsi par l’immolation de Bouazizi. Mais qui était cet homme? Dans quelle maison vivait-il? Quel était son quotidien? Pas de réponse. La BD se contente de rappeler les faits maintes fois ressassés: « Mohamad Bouazizi, 26 ans, vendeur à la sauvette qui n’a pas les bonnes relations pour avoir accès à l’emploi et aux permis, s’asperge de térébenthine face à la préfecture et craque une allumette ». Fin de l’histoire de Bouazizi, on passe aux « émeutes qui s’étendent à toute la Tunisie ».

Bande Dessinée

Les chapitres se succèdent, suivant de courts instants certaines figures des mouvements populaires comme Fawda Souleiman en Syrie ou Hamza Kashgari en Arabie saoudite, pour « avoir osé insulter le prophète ». Face aux « révolutionnaires » se dressent les méchants dictateurs, des tortionnaires sans coeur, véritables incarnations du diable. Bachar Al-Assad est dessiné dans le costume d’Hitler et Kadhafi prend les traits d’Attila. Alors que l’auteur évite soigneusement d’évoquer la situation actuelle en Libye, il prend le temps de rendre hommage à Sarkozy et Bernard Henri-Lévy qui parlent des insurgés de Benghazi comme « des résistants dignes de De Gaulle ». On oublie vite les bains de sang de Syrte, ville ravagée par les bombardements français, dont les seuls résultats auront été de tuer Kadhafi avant de faire sombrer le pays dans le chaos.

Idem en Syrie où pas un mot ne rappelle que les pires extrémistes de la région se livrent à des actes de barbarie innommables dans leur combat contre Bachar Al-Assad. La grande majorité des chapitres oscille entre mauvaise propagande occidentale et clichés simplificateurs. Pas la moindre réflexion n’est soulevée dans un récit au parti pris presqu’indécent pour les citoyens de ces pays, dont certains sont enfermés dans un engrenage de violence qu’ils n’ont jamais souhaité. Les auteurs semblent prendre plaisir à voir se répandre le chaos, sans afficher de nuance entre la Tunisie— qui, face aux autres situations, pourrait passer pour un exemple— et la Syrie dont Filiu écrit que rapporter que des chrétiens soutiennent Bachar Al-Assad relève « des pires fantasmes de la guerre froide et de la sédition confessionnelle ».

A travers les dessins de Cyrille Pomes, ce Printemps des Arabes s’avère être un puissant outil destiné à transmettre la vision de Jean-Pierre Filiu en la dépouillant de toute nuance ou tout bémol qui pondéraient les précédents essais de l’auteur. Seuls quelques chapitres comme celui sur les Ultras d’Ahli, le massacre de Port-Saïd et « ces crevures de Frères musulmans » qui ont osé accuser les Ultras du massacre. L’ouvrage se referme par un appel à la démocratie, alors que la Libye sombre dans le chaos et que chaque jour armes et extrémistes entrent en Syrie pour semer davantage la mort. Les clichés ont la vie dure … .

Le Printemps des Arabes, récit de Jean-Pierre Filiu, dessin et couleur de Cyrille Pomes. Editions Futuropolis.

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