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Le secret de Serena

Rania Hassanein , Lundi, 27 mars 2023

Dans son nouveau roman Anta Touchreq, Anta Toudie (tu brilles, tu resplendis), Rasha Adly combine, à sa façon, art et Histoire. Elle nous plonge dans les méandres de la découverte des Portraits du Fayoum.

Le secret de Serena

Deux histoires s’entremêlent, deux vies de femmes qui appartiennent à des époques différentes, dans le tout dernier roman de Rasha Adly, Anta Touchreq, Anta Toudie (tu brilles, tu resplendis). L’écrivaine choisit, dans chacune de ses oeuvres, une période historique afin d’en dévoiler les dessous. Cette fois-ci, elle a décidé d’aborder la découverte des momies d’Al-Fayoum par l’archéologue britannique William Flinders Petrie en 1888 à Hawara. Ce dernier est tombé sur plusieurs momies à l’entrée de la pyramide d’Amenemhat III, datant de l’époque romaine.

L’héroïne du roman, Ranime Moustapha Abdel-Mawla, est la fille d’émigrés clandestins, partis en Italie en 1990. Son père, journaliste opprimé en Egypte, a demandé un droit d’asile et a donc pu vivre à Naples en tant que réfugié politique, avec sa femme et sa fille. Ils ont vécu dans des conditions très difficiles, et la petite était connue parmi ses camarades de classe comme étant « la réfugiée ».

Pour vaincre les circonstances assez dures, elle a brillamment réussi ses études et a obtenu une bourse de l’académie des arts à Florence. Dans cette belle ville toscane, elle a passé quatre ans loin de sa famille, s’est livrée à de petits travaux, et s’est spécialisée en l’art des civilisations anciennes, notamment gréco-romaine et égyptienne. Ensuite, elle a été embauchée par l’un des musées les plus importants au monde, celui de l’Uffizi à Florence, et est devenue parmi ses meilleurs conservateurs.

Ranime, en collaboration avec quelque 35 musées de par monde, se charge de déchiffrer l’énigme des momies du Fayoum. On découvre avec elle l’histoire de Serena, qui date du premier siècle ap. J.-C. Cette jeune fille alexandrine de 20 ans était née d’un père grec, Octavias, et d’une mère égyptienne. Admirée par le vice-empereur romain Lyonardiz qui l’a remarquée dans le cercle d’un philosophe grec, il décide de l’épouser. Et ce, malgré la désapprobation de son père qui déteste tout ce qui est romain.

A cette époque, l’Empire romain colonisait l’Egypte et pillait ses richesses. Malgré l’admiration qu’elle éprouvait pour son mari, Serena était choquée par sa rudesse à l’égard des Egyptiens et des Grecs. Un fossé se creuse entre eux, puis elle s’éloigne complètement de lui, après avoir donné ses ordres de tuer son père devant ses yeux. Car ce dernier voulait faire la révolution, parmi d’autres, pour s’insurger contre la tyrannie romaine. Pour agir en représailles, elle a demandé au peintre Onas, son meilleur ami, de rejoindre, elle aussi, les révolutionnaires et de leur fournir des informations récoltées auprès de son mari.

Elle a réussi par la suite à fuir le palais, s’est déguisée en femme de chambre abyssine et s’est réfugiée avec Onas dans la province du Fayoum, où elle fut accueillie par les prêtres. On poursuit ainsi tout au long du roman les histoires de momies qui étaient accompagnées de peintures, d’effigies des défunts, dont le nombre est estimé à 900 oeuvres disséminées actuellement dans plusieurs musées.

Considérés comme étant parmi les plus belles peintures en l’histoire de l’art, ces célèbres portraits funéraires du Fayoum étaient insérés dans les bandelettes au niveau du visage de la momie. Le défunt y était représenté en buste, le visage de face. Ils sont les seuls spécimens de peinture sur bois qui subsistent de l’Antiquité.

Après de longues recherches, Ranime a abouti à une conclusion choquante: pas mal de ces défunts étaient atteints d’une maladie neurologique, d’où l’exophtalmie évidente des yeux. Apparemment, ils avalaient des médicaments à base de plantes de façon quotidienne, lesquels renfermaient des substances toxiques, provoquant la folie et ensuite la mort. C’était le cas de Serena, entre autres. Avant sa mort, Onas, qui l’aimait bien, avait terminé son portait qu’on a retrouvé avec la momie.

Pendant longtemps, personne ne savait qu’il s’agissait de la femme du vice-empereur romain qui a pris la fuite et rejoint les rangs des révolutionnaires. Son mari, Lyonardiz, de peur d’être condamné pour crime de trahison, avait changé son portrait, en lui collant le visage d’une autre femme dans la quarantaine.

La femme à deux portraits

Ainsi, historiquement, Serena avait deux portraits, l’un à moitié déchiré qu’on a trouvé au Fayoum et l’autre complet, dans la ville d’Alexandrie où elle a habité. En effet, c’est ce qu’a découvert Ranime, le principal personnage du roman. Cette dernière découvre aussi entre-temps plusieurs histoires concernant le vol des antiquités, qui se mêlent à son histoire personnelle et celle de son père qui a dû quitter le pays à cause de l’un de ces contrebandiers, à savoir Alaa Al-Sawaf.

L’écrivaine lance implicitement un appel afin de récupérer les pièces antiques égyptiennes exposées dans des musées de par le monde et d’inclure le Fayoum sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Le titre du roman, Anta Touchreq, Anta Toudie, est emprunté à l’hymne du dieu Râ, le dieu du soleil, que Ranime aimait bien répéter, notamment devant le portrait de Serena, au musée du Capitole à Rome. « Je ne vais pas t’abandonner, ne t’inquiète pas ma chérie. On a des destins similaires et je vais essayer de déceler ton secret », disait Ranime devant le portrait du Fayoum.

Anta Touchreq, Anta Toudie (tu brilles, tu resplendis), de Rasha Adly, aux éditions Al-Shorouk, 2022, 447 pages.

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