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Démasquer l’univers de Mahfouz

Dina Kabil, Mercredi, 17 novembre 2021

Journaliste culturel renommé et passionné des archives, Mohamed Shoair a exploré différemment Les Débuts et la fin de Naguib Mahfouz à travers des bribes de papiers retrouvés et surtout un texte personnel inédit, intitulé Al-Aawam (les années).

Les années de jeunesse de Mahfouz sont peu connues du grand public.
Les années de jeunesse de Mahfouz sont peu connues du grand public.

Tomber sur des manuscrits, des textes inédits, des bouts de papier griffonnés par de grands écrivains est toujours une importante trouvaille. Notamment s’il s’agit du maître du conte arabe, le Nobel égyptien Naguib Mahfouz, dont les romans, majoritairement tournés en films, ont une large popularité.

Lire l’ouvrage de Mohamed Shoair, Al-Bidayate wal Nihayate, Aawam Mahfouz (début et fin, les années de Mahfouz) c’est ouvrir la boîte de Pandore, qui nous révèle pas mal de détails sur la vie personnelle de Mahfouz, notamment son enfance. L’auteur et critique littéraire a découvert le contenu d’un texte autobiographique ou plutôt un petit carnet de notes et d’exercices de style, rédigé par Mahfouz durant ses années d’apprentissage. Le texte inédit est intitulé Al-Aawam (les années). D’autres journalistes avaient, en vain, demandé au Nobel de le publier, d’après Shoair, mais Mahfouz leur répondait toujours : « Ma vie privée, elle est en filigrane dans mes récits ». Mais peut-on véritablement reconnaître les détails personnels sur la vie d’un écrivain et la soustraire à l’ensemble de son univers fictif, sans se tromper ?

Hormis les témoignages des amis de Mahfouz, qui l’accompagnaient dans des réunions les jours de la semaine, la vie de Mahfouz est un champ obscur. L’on entend des informations par-ci par-là, cependant, rien n’est tranché. « Mahfouz est une personnalité stricte, il a le profil du fonctionnaire par excellence », « C’est quelqu’un de très organisé, il se donne à l’écriture à des heures précises durant la journée », « Il n’a jamais voulu révéler des détails sur les membres de sa famille, on n’a rencontré ses deux filles qu’à la remise du Nobel ». Ces propos que l’on répétait dans la presse sont plutôt des préjugés ou des rumeurs qu’on a eu tendance à croire, surtout que Mahfouz était de nature très discrète.

Pour ce, le texte autobiographique retrouvé est d’une importance capitale, car il nous aide à connaître davantage qui était réellement le Nobel égyptien et ce qu’était sa formation. Intitulé Al-Aawam (les années), à l’instar de Al-Ayam (les jours) de Taha Hussein, il a été retrouvé grâce aux efforts du journaliste Mohamed Shoair, aidé par Oum Kalsoum, la fille de Mahfouz.

En effet, cette trouvaille n’est pas le premier succès de Shoair, qui a déjà publié un essai sur le roman interdit de Mahfouz Les Fils de la médina (Sons of Gebelawy : Biography of the Forbiden Novel, publié en arabe aux éditions Al-Aïn, 2018, et qui vient d’être traduit en anglais aux éditions de l’AUC Press). Shoair a aussi contribué à la publication d’un recueil de nouvelles quasiment posthumes du Nobel égyptien, regroupant 40 nouvelles, dont 18 n’ont jamais été regroupées dans un même recueil.

Journaliste doué, passionné des archives et des bouts de papier jaunis, Mohamed Shoair arrive avec son stylo à transformer les données historiques, les informations sèches, éparpillées ici et là, en histoires en chair et en os. Cela étant, il aborde l’enfance de Mahfouz et son itinéraire dans son nouvel ouvrage, amenant les lecteurs à assimiler le contexte social et historique dans lequel a grandi Naguib Mahfouz. Et ce, à travers une mise en train captivante, qui met le lecteur dans le bain: les événements politiques, culturels et artistiques qui se sont déroulés le jour de la naissance de l’écrivain, le 11 décembre 1911, (quel film passait avec succès dans les salles de cinéma, quel était le livre le plus en vente, les mesures policières prises dans les salles de théâtre, etc.).

Le journaliste culturel s’attaque aussi dans son livre au contexte international ayant marqué l’Egypte et la scène culturelle. Puis, il y aborde la jeunesse de Mahfouz passée dans le contexte de la Révolution de 1919, avec le conflit entre l’ancien et le nouveau, la crise des années 1920 autour du livre L’Islam et les préceptes du pouvoir du cheikh Ali Abdel-Razeq et le débat autour de l’ouvrage de Taha Hussein La Poésie préislamique.

L’influence de Taha Hussein

Le carnet de Mahfouz s’attarde sur des thèmes qui vont le préoccuper des années plus tard, comme l’univers des contes, son rapport à sa mère ou à sa soeur aînée, les historiettes qu’elles lui racontaient, la pensée philosophique et le penchant pour le fantastique.

En outre, Shoair révèle le rapport qu’il a entretenu avec Taha Hussein, surnommé « le doyen de la littérature arabe ». Le livre Les Jours de Taha Hussein est considéré comme étant l’autobiographie-phare de la littérature arabe. Il était le premier à avoir osé « confesser » sa vie privée. « Mahfouz serait, à ses 18 ans, le premier à s’être inspiré de Hussein », affirme Shoair, déduisant que l’écriture autobiographique était l’outil de la classe moyenne émergente, lui permettant d’exprimer l’esprit insufflé par la Révolution de 1919 dans la société. Bref, tout un chemin parcouru pour sortir de la tradition vers la modernité.

On retrouve aussi dans l’ouvrage de Mohamed Shoair les brouillons scannés de Les Echos d’une autobiographie, texte philosophique publié en 1995, dans lequel Mahfouz effectuait le voyage de l’homme sexagénaire vers l’enfant. Et ce, sans oublier d’autres documents importants comme ses exercices de style, des manuscrits d’articles ou un journal de bord inédit. En suivant les traces de ces écrits, on arrive avec Shoair à une conclusion: ce texte personnel initiatique ressemble à un noyau qui a éclaté durant le big bang en des dizaines d’oeuvres. Il ne reste plus que les critiques, chercheurs et amoureux du Nobel détectent, à travers ce document intime, plus de détails concernant le rapport de l’écrivain avec l’écriture, le temps, la philosophie et le soufisme .

Al-Bidayate wal Nihayate, Aawam Mahfouz (début et fin, les années de Mahfouz) par Mohamed Shoair, aux éditions Al-Shorouk, 2021, 215 pages.

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