Culture > Livres >

La révolution égyptienne vue par un Français

Doaa Elhami, Mardi, 20 août 2013

Dans son nouvel ouvrage sur la révolution égyptienne, Jean-Pierre Faugère, ancien vice-président de l’Université française d’Egypte se base sur 3 sources : son propre témoignage, les articles d’Al-Ahram Hebdo et le vécu des gens simples de son entourage.

« Pour un français , c’est une chance de voir l’Egypte écrire ces pages de son histoire », déclare l’économiste Jean-Pierre Faugère, ancien vice-président de l’Université française, dans son livre L’Egypte au temps de la révolution. Pharaons, barbus et généraux. En poste de 2008 à 2012, période tumultueuse faite d’émeutes qui ont mené à la révolution de 2011, l’expert saisit l’occasion d’écrire son journal de bord et ensuite de le publier. Ce dernier repose alors sur ses témoignages personnels, ceux de son entourage, comme le chauffeur Ibrahim ou bien la servante Réda. Son quotidien journalier est nourri d’articles et d’enquêtes parus au journal d’Al-Ahram Hebdo.

Le titre du livre met l’accent sur les personnages les plus influents de la société égyptienne, voire de la révolution égyptienne et ses évolutions au fil des jours : Pharaons, symbole de l’autorité politique et plus généralement, des chefs locaux « omniprésents », comme le président de l’Université française où il travaillait. Barbus, est la figure religieuse qui symbolise les salafistes et les Frères musulmans qui ont réussi à s’emparer du pouvoir, suite à une révolution « a-religieuse et a-socialiste ». Et enfin les généraux, personnifiés dans le Conseil des forces armées, qui ont pris le côté des révolutionnaires aux dépens de l’ancien président Moubarak, tout en conservant son régime.

L’Etat policier vécu par les gens ordinaires

L’auteur déchiffre la vie égyptienne très finement. Avec bien sûr le chaos qui y règne, incarné dans le désordre de la circulation et l’absence totale de code de la route. « L’Etat est absent : seulement présent sous la forme du policier et du militaire. (…) Corrompus, les policiers ne peuvent faire respecter les règles et n’ont même pas le monopole de la surveillance … ». Ces informations sont obtenues du baouab, le concierge de l’immeuble. Une représentation, qui selon l’auteur, incarne la majorité du peuple qui souffre de pauvreté. Cette idée est bien expliquée par un article publié dans Al-Ahram Hebdo, qui souligne la croissance du taux de pauvreté dans la société égyptienne. Cet état déplorable déclenche « les batailles quotidiennes pour obtenir du pain subventionné », batailles qui se transforment vers la fin 2010 en émeutes parfois sanglantes. Selon l’expert en économie, le lien étroit salaire/travail déterminé déjà dans le monde entier, n’a pas de place en Egypte. Le salaire dépend plutôt du poste. Si le baouab symbolise la majorité des Egyptiens, Ibrahim, le chauffeur, est une autre version de cette majorité qui se transforme et évolue au temps de la révolution. Ce jeune homme, dont la famille est plongée dans la misère, cherche « la richesse ostentatoire ». En effet, les mères, même les plus modestes, rêvent de voir leurs fils participer à la révolution et aux différentes émeutes. Comme si contre la pauvreté, on atteignait une réalisation de soi, politique et nationale. Cette nouvelle génération

livre
Grafti de Hosni : « Vous n'allez pas tuer notre révolution ».

est en train de modifier 30 ans d’immobilisme, voire de stagnation sous Moubarak. Ibrahim doit alors entreprendre des études de droit pour mériter sa bien-aimée, qui ne veut pas épouser un chauffeur. Ibrahim incarne alors non seulement la couche pauvre de la société égyptienne, mais aussi les révolutionnaires du 25 janvier. Ceux qui manifestent pour avoir pain, dignité et justice sociale », les slogans de la révolution. Quant aux généraux, représentés par le Conseil suprême des forces armées, qui ont protégé la révolution, ils n’ont pas été en mesure de faire cesser les séries d’émeutes, dont celle de Maspero, au pied de la Radio-Télévision égyptienne. Ils font plutôt partie du régime stagnant de Moubarak. Ainsi, sous leur règne, l’Egypte a vécu plusieurs conflits politiques, dont celui autour de la future Constitution. C’était un prétexte, d’après le livre, pour donner un souffle nouveau à la politique islamique. Mais les révolutionnaires ont toujours le dernier mot. Malgré les sujets détachés, le fil conducteur est fluide. Le lecteur rencontrera aussi une description des banlieues luxueuses, ainsi que les intimes liens sociaux difficiles à retrouver hors d’Egypte. C’est en somme le regard d’un étranger tantôt ébloui, tantôt indigné et incapable de s’adapter .

L’Egypte au temps de la révolution. Pharaons, barbus et généraux, de Jean-Pierre Faugère, édition L’Harmattan, 2013.

Extrait : La perception du temps déformé par la révolution

La révolution du temps déforme le cours du temps vécu. Après 30 ans d’immobilisme pour les Egyptiens, et simplement 30 mois pour moi, en quelques jours, l’Histoire défile sous nos yeux, accélère le déroulement des jours, bouscule les mémoires, rend caduques les certitudes de la veille, met à jour des vérités nouvelles, révèle des gens nouveaux, fait jaillir des mots nouveaux, de nouvelles idées. Mais, dans le même mouvement, l’incertitude du moment qui vient, de l’avenir, de l’avenir collectif et de l’avenir individuel, allonge infiniment le temps et brise les projets, vide les emplois du temps, repousse des échéances. Hier et aujourd’hui, un temps dense, plein touffus, riche ; demain l’inconnu, l’incertitude, le temps à venir est inexistant, vide et inquiétant. Alternance d’euphorie et de vide, la révolution nous rend cyclothymiques ou schizophrènes .

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique