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Une vie jalonnée par les chansons

Soheir Fahmi, Dimanche, 25 juillet 2021

L’ouvrage d’Amir Al-Emary, Al-Cheikh Imam Fi Asr Al-Sawra wal Ghadab (cheikh Imam, à l’âge de la révolution et de la colère), est un document précieux sur une figure emblématique de la musique révolutionnaire égyptienne.

Une vie jalonnée par les chansons

Dans l’introduction du livre, aujourd’hui à sa seconde édition, Amir Al-Emary exprime son souhait de vivifier la mémoire de ce chanteur qui a constitué un phénomène social, né effectivement de la colère. La première édition datant de 2010 a été complètement épuisée. Car Cheikh Imam et son alter ego le poète Ahmad Fouad Negm sont nés d’une colère grandissante, qui a attrapé les tripes des Egyptiens après la défaite de la guerre de 1967. Nourris d’énormes espoirs, ceux de vaincre Israël à tout jamais, les peuples arabes se sentent brisés. Un courant de colère s’installe. Cheikh Imam et Negm en sont l’un de ses signes marquants.

Le premier compose et le second crée des poèmes qui reformulent et hurlent la colère et la révolte, envahissant les citoyens. Les jeunes sont particulièrement touchés, dont le poète et le musicien azhari non-voyant, venus des tréfonds de la ville et de la pauvreté la plus absolue. L’un est menu d’un crayon, et l’autre d’un oud (luth oriental), ils enflamment les esprits. C’est ce phénomène unique en son genre qu’Al-Emary essaye de suivre. Mais méfiez-vous, ce n’est pas une enquête objective, relatant les faits et les dates, mais bien au contraire un chemin de la vie personnelle de l’auteur et des deux chantres qu’on est invité à partager.

Nous sommes dans la capitale égyptienne dans les années 1970 à l’Université de Aïn-Chams, des étudiants de différentes disciplines touchés par le feu sacré de la subversion et de la rébellion font corps avec ce duo qui chante et scande la révolution. Puis le même phénomène gagne l’Université du Caire. Al-Emary est à la faculté de médecine, à l’époque. Il relate les détails de sa première rencontre avec ces poèmes chantés, des poèmes subversifs qui le touchent profondément. C’est l’époque où l’université est empreinte de quelques restes de libéralisme. Les colloques, les discussions et les réunions prolifèrent. Des intellectuels de tous bords et des poèmes sont acclamés par des foules d’étudiants. Al-Emary raconte que de nombreux intellectuels, venus d’en dehors des remparts de l’université, dialoguent avec les jeunes étudiants assoiffés de changement.

Le livre est truffé de longs poèmes signés par Negm, chantés par Imam ou pas. Nous en reparlerons. Mais pour l’heure, nous assistons à ce bouillonnement qui touche ce jeune étudiant comme des milliers d’autres. La répression ne va pas tarder à se faire sentir et les deux chantres ne vont pas tarder à être incarcérés à plusieurs reprises. Negm et Imam vont se produire dans des maisons d’intellectuels. Il n’était pas important d’y être invité, on y allait par personne interposée, muni d’un magnétophone pour chanter avec les autres et enregistrer avec les moyens du bord. Des moments de grande exaltation.

Nostalgie d’une époque

Pour la génération qui a vécu ces temps, c’est avec nostalgie que les poèmes chantés restent présents. On aurait pu dire que ce phénomène inédit a épuisé les raisons de son existence. Mais les 18 jours de la Révolution de 2011 ont prouvé tout le contraire. Les chansons d’Imam et Negm ont retenti, tout aussi d’actualité. Des jeunes qui n’avaient jamais connu le phénomène des années 1970 scandaient avec le même enthousiasme ces chansons pétries de réalisme et de poésie. Avec des images issues des profondeurs des traditions égyptiennes et d’une grande acuité politique, les poèmes chantés révèlent aux nouvelles générations les routes du combat.

Le titre du livre d’Al-Emary porte uniquement sur Cheikh Imam, comme pour essayer de rendre à ce compositeur aveugle l’aura qu’il mérite. Il essaye de souligner les vertus d’Imam qui se place dans le prolongement du grand compositeur Sayed Darwich, qui a rénové la musique égyptienne. Il aurait voulu redonner à Imam un rôle important trop souvent évincé par les paroles de Negm. Mais plus tard, il se rend à l’évidence, les paroles de Negm et la musique d’Imam sont intrinsèquement liées. Elles sont profondément imbriquées. Pourtant, après leur séparation dans les années 1980-1990, Imam a mis en musique de nombreux poèmes écrits par d’autres poètes. D’ailleurs, même du temps où ils étaient ensemble, Imam avait composé d’autres poèmes de Zein Al-Abédine Fouad, Naguib Chéhabeddine et Fouad Qaoud, entres autres.

Ahmad Fouad Negm changeait parfois d’opinion hâtivement, non par arrivisme mais par impulsivité ou autre. Du coup, il y a de nombreux poèmes qu’Imam n’a jamais accepté de mettre en musique, tel le poème qui attaque la diva Oum Kalsoum.

Bien qu’ils aient été controversés par certains intellectuels comme le journaliste Mahmoud Al-Saadani qui a rédigé un article violent sur le duo, qualifiant la musique d’Imam des pires attributs, d’autres, comme le grand compositeur Mohamad Abdel-Wahab, ont reconnu son talent, après quelques balbutiements.

N’empêche que les concerts reprenant les chansons d’Imam sont toujours pleins à craquer jusqu’à aujourd’hui, bondés de jeunes qui connaissent par coeur les oeuvres de ce duo lié à jamais. Ils reconnaissent une deuxième vie grâce aux réseaux sociaux.

Amir Al-Emary, avec amour, a effectué une recherche assidue et a essayé de disséquer un phénomène qui reste vivant tant que les hommes rêvent de justice sociale et de liberté .

Al-Cheikh Imam, Fi Asr Al-Sawra wal Ghadab (cheikh Imam, à l’âge de la révolution et de la colère) d’Amir Al-Emary, aux éditions Al-Maraya, 2021, 195 pages.

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