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Quand histoire et fiction se mêlent

Rania Hassanein, Mardi, 19 janvier 2021

Dans son nouveau roman Ala Macharef Al-Leil (au seuil de la nuit), Rasha Adly continue à élaborer et à traiter l’histoire « non racontée », ambigüe et inconnue pour le lecteur.

Quand histoire et fiction se mêlent

Nommée pour le prix Booker arabe deux fois en 2018, pour son roman Chaghaf (passion), et en 2020, pour son roman Akher Ayam Al-Bacha (les derniers jours du pacha), l’écrivaine Rasha Adly nous propose son nouveau roman Ala Macharef Al-Leil (au seuil de la nuit). Il s’agit d’un roman historique et social à travers lequel plusieurs voix masculines et féminines dévoilent leurs anecdotes qui s’enchaînent et s’entremêlent au cours d’un siècle et dans des lieux assez lointains. Les personnages de ce roman ne se sont pas forcément rencontrés, mais ils ont fait face à des circonstances similaires et ont adopté les mêmes principes et les mêmes réflexions. Ils ont tous été victimes d’un harcèlement moral et d’une persécution sociale.

Le roman se situe d’abord en l’an 2012 au Caire, où une jeune fille de 30 ans, Rim Al-Misseri, délaissée par son père et sa mère, divorcés, vit seule dans un appartement à Héliopolis. Son enfance est dépourvue d’amour et d’attention familiale. Un sentiment de manque de confiance et une solitude l’accompagnent durant toute sa vie. Embauchée chez une agence de traduction, elle traduit les films et les feuilletons turcs vers l’arabe. Rim a eu la chance de rencontrer la princesse turque Fatma Neslishah Sultan Oglo, la dernière princesse de l’Empire ottoman, avant sa mort. Née en 1924 et décédée en 2012, Fatma était la fille aînée du prince Omer Faruk Efendi (1898-1969) et de Sabiha Sultan (1894-1971).

Des personnages miroirs l’un de l’autre

La princesse Fatma a demandé à Rim de traduire vers l’arabe ses mémoires personnels et de les rééditer dans un style littéraire, afin de les publier dans un livre. La vie intime de la princesse a incité la traductrice Rim Al-Misseri à revivre ses souvenirs personnels d’amertume. Les deux femmes, miroirs l’un de l’autre, partageaient les mêmes sentiments de souffrance et de perte.

L’histoire de Fatma Neslishah Sultan Oglo était un modèle esquissé par excellence par l’écrivaine, pour mettre en relief la persécution sociale, suite à la chute du règne ottoman et de l’établissement de la République en Turquie. Une situation que Adly a mise en relief pour accentuer sa similitude avec les événements déroulés en Egypte lors de la chute du règne du roi Farouq.

A l’âge de 3 ans, la princesse Fatma Neslishah a quitté la Turquie et a vécu en France avec sa famille. « Rien n’est plus amer que d’être obligée de quitter son pays, sa ville et sa maison. Même si j’étais toute petite, mais j’ai passé la plupart de ma vie à payer le prix d’être la petite-fille des califes et des sultans », s’est exprimée en angoisse la princesse à Rim.

Plus tard, elle s’est installée à Alexandrie en Egypte et s’est mariée au Caire en 1940 avec le prince Mohamad Abdel-Moneim (1899-1979), fils de Abbas II, dernier khédive d’Egypte (1874-1944). Le couple fut accusé en 1957 par les autorités égyptiennes de participer à un complot international contre le régime de Nasser. Il a été ensuite mis en résidence surveillée puis acquitté. Depuis 1963, la princesse vivait à Istanbul.

Deux autres personnages du roman, miroirs l’un de l’autre, adoptaient les mêmes principes et réflexions, malgré le fait qu’ils ne se sont jamais rencontrés. Le premier était le lieutenant-colonel Rachad Mehanna. A travers ce personnage, quelques secrets de la Révolution de 1952 se sont dévoilés. Mehanna était membre de l’organisation des Officiers libres avec l’ancien président Gamal Abdel-Nasser, Anouar Al-Sadate, Salah Salem, Abdel-Hakim Amer et d’autres. Il préconisait des principes différents de la plupart des membres de l’organisation qui cherchait à mettre fin au règne du roi Farouq. Après la révolution, Mehanna était membre au Conseil de régence du roi Fouad II, et a fait la connaissance de la princesse Fatma Neslishah. Pour lui, la révolution ne serait du tout réussie que si elle combattait la corruption à l’intérieur de la société. Des idées partagées par l’écrivain et amant de Rim Al-Messiri, Hazem Aboul-Ezz, qui était l’un des partisans de la Révolution de 2011. Déçu, il assurait que la Révolution de 2011 n’avait pas porté ses fruits. « Ce qu’on a besoin aujourd’hui, c’est de soulever une révolution contre nous-mêmes. Comment se révolter contre la corruption d’un régime et la plupart d’entre nous sont corrompus ? ».

Dans ce roman, le lecteur est invité par Rim la traductrice à voyager avec la princesse Fatma vers sa ville natale Istanbul et partager avec elle ses souvenirs pénibles. Après avoir terminé la traduction, Al-Messiri a gagné plus de confiance en elle-même et a eu le courage de changer complètement sa carrière. Elle est devenue un modèle qui a fait la couverture du plus célèbre magazine de mode Vogue. Elle s’est finalement débarrassée de tout son attachement à sa famille qui n’a jamais existé pour elle. Elle a surmonté ses amours avortés et s’est trouvée en avion pour Paris pour devenir mannequin chez la maison de haute couture Chanel.

Ala Macharef Al-Leil (au seuil de la nuit), de Rasha Adly, aux éditions Al-Dar Al-Arabiya Lel Oloum Nachroun et Tanmiya, 311 pages, 2020

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