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Ode à la vie

Rasha Hanafy, Mardi, 19 janvier 2021

Dans son nouveau roman An Taachaq Al-Haya (aimer la vie), la romancière libanaise Alaweya Sobh appelle à résister au désespoir, malgré les guerres, le sang et la répression sociale, parce que la vie mérite d’être vécue.

Ode à la vie

C’est une décennie, ou presque, d’absence totale du monde de littérature. La romancière libanaise Alaweya Sobh (née en 1955, elle a fait des études à l’Université de Beyrouth. Elle dénonce dans ses romans la condition de la femme dans une société obscurantiste et plaide pour la justice sociale, l’insubordination et la libération) a décidé enfin d’écrire son mot à ses lecteurs. Elle a publié récemment son cinquième roman An Taachaq Al-Haya (aimer la vie), aux éditions libanaises Dar Al-Adaab. Il s’agit d’un mélange de son expérience personnelle et de la fiction, qui souligne l’importance de survivre quelles que soient les difficultés et les atrocités vécues. La romancière a dédié son ouvrage à son médecin, qui lui a rendu un grand service : « Sans lui, je n’aurais pas pu retourner pour vivre, écrire et aimer ». En 352 pages de grand format, le roman mêle autobiographie et fiction : l’expérience de la maladie de la romancière durant les derniers dix ans, qui l’a empêchée d’écrire, d’une part, et Basma, l’héroïne, que la maladie, aussi, l'a empêchée de danser, de l’autre. Sobh raconte l’histoire d’une ballerine libanaise et sa tentative de restaurer son corps et sa mémoire, après plusieurs déceptions dans sa vie : Basma est tombée malade dans les années 1980 à cause de la guerre civile libanaise ; elle a perdu l’amour de sa vie, Ahmad, décédé d’un cancer, et qui n’a pas achevé le roman qu’il était en train d’écrire ; à cause de la guerre aussi, son père a perdu ses jambes et ne pouvait plus supporter la vie, il se suicide ; sa mère continue à vivre en sentant la culpabilité, parce qu’elle maltraitait le père et ne supportait pas sa maladie ; et les femmes de la famille, depuis toujours, supportent des traditions, imposant des restrictions étouffantes.

Basma tombe malade à cause des guerres et des destructions des villes. Elle s’est sentie malade au début du Printemps arabe. Grâce au remède de son médecin, elle retrouve sa mémoire et raconte sa vie, son enfance, la relation de sa mère avec son père, sa maladie, qui s’est aggravée à l’issue de son divorce de son mari Youssef, devenu fondamentaliste, et son retour pour danser, parce qu’elle aime la vie. Elle raconte ses mémoires en regardant des scènes de guerres dans les pays où des guerres ont eu lieu après le Printemps arabe, sur le petit écran.

Le récit est presque basé sur les dualités et les contradictions : la guerre armée et la guerre du corps contre la maladie, le présent violent qui rappelle un passé non moins violent, la maladie qui mène à un abîme et l’art qui suscite l’espoir et sauve la vie.

Le corps qui résiste

Aimer la vie est un roman de la lutte d’une femme arabe, dont les souffrances ne diffèrent pas de celles de sa société. Il y a une similitude entre ce corps en ruine de la ballerine et les villes détruites. Basma est seule dans sa maison, et l’unique moyen pour savoir ce qui se passe dans le monde est la télévision. Elle en tire les informations sur les décapitations, l’effusion de sang et les femmes captives. On comprend que ce que vit la narratrice (Basma) est dû au passé non moins violent que le présent, et à une enfance étouffée par la peur et l’insomnie, à cause des traditions sociales. Son corps malade devient un miroir dans lequel elle voit une série de conflits familiaux et de ruptures psychologiques de ceux qui l’entourent à cause des guerres. « Notre vie a été brisée par les transformations dont notre région a été témoin à cause des conflits et des guerres », raconte la romancière sur la langue de son héroïne. Le corps malade de Basma est comme un miroir, qui reflète les corps des femmes, violées, torturées et humiliées par la brutalité des extrémistes.

Entre désespoir et espoir, la narratrice refuse de céder et mène une guerre contre la destruction qui l’entoure, avec des armes innovantes : la musique, les textes d’Ibn Arabi, les peintures de Youssef (son ex-époux, qui finit par divorcer et devenir fondamentaliste), les écrits d’Anissa (son amie d’enfance et collègue, qui résiste elle aussi à la paralysie à cause de son divorce et écrit un roman), les romans d’Ahmad (son feu ancien amant) et les danses de son artiste allemande préférée Pina Bausch. Il s’agit des moyens de lutte de Basma face à l’extrémisme, l’injustice, la pauvreté et la maladie. L’héroïne de Sobh, Basma, est l’exemple à suivre des femmes qui sont en colère contre l’état déplorable des conditions humaines et contre la laideur du monde dans lequel elles vivent. Le monde, que raconte la romancière dans son ouvrage, c’est le monde arabe géré par les guerres, les dictatures, les fondamentalismes, les sectes et les défaites. C’est un monde qui affecte l’âme, le corps et l’économie, causant la pauvreté, le désespoir, l’oppression et la maladie.

Selon la romancière, puisque Basma a gagné son combat et a pu danser une autre fois après toutes les déceptions subies, les femmes résistantes peuvent aussi y aboutir. Dans le dernier chapitre, l’héroïne, Basma, exécute la danse de guérison que la romancière appelle la danse de la vie, et se demande si le remède ne réside pas dans l’amour, parce qu’elle sent qu’elle entame une nouvelle histoire d’amour. La romancière laisse une lumière au bout du tunnel et insiste sur le fait qu’aimer la vie malgré son amertume est le défi qu’on doit relever.

An Taachaq Al-Haya (aimer la vie), Editions Dar Al-Adaab, 352 pages, fin 2020.

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