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Le mythe des Bédouins revisité

Rasha Hanafy, Mercredi, 02 septembre 2020

Dans son nouvel ouvrage Bint Cheikh Al-Orban (la fille du chef des Bédouins), l’écrivaine égyptienne Miral Al-Tahawy nous plonge une fois de plus dans l’histoire culturelle des Bédouins, venus autrefois de la péninsule arabe pour s’installer en Egypte. Un bel essai.

Le mythe des Bédouins revisité

Ce n’est niune chro­nique sur la vie des Bédouins en Egypte, ni un plaidoyer pour défendre leur rôle socioculturel. En revanche, la romancière Miral Al-Tahawy tente dans son récent ouvrage de com­prendre la relation épineuse qu’ils entretiennent avec le pays dans lequel ils vivent depuis une belle lurette et avec la péninsule arabique d’où ils viennent. D’où le vif intérêt de Bint Cheikh Al-Orban, Dirassa fil Tarikh Al-Saqafi wal Torasse Al-Chafahi lil Orban fi Misr (la fille du chef des Bédouins. Une étude sur l’histoire culturelle et l’héri­tage oral des Bédouins d’Egypte).

L’auteure est très familière avec le sujet. Car elle est née en 1968 dans une famille bédouine conservatrice de la tribu Al-Tahawiya, une branche de la grande tribu Al-Hanadi d’Arabie. Lauréate du prix Naguib Mahfouz en 2010, elle est aussi une académicienne qui enseigne la littérature arabe à l’Université de Caroline du Nord, aux Etats-Unis.

Dans cet ouvrage, Al-Tahawy revient sur leurs conflits culturels ainsi que leur intégration difficile dans la culture paysanne de l’Egypte. Elle traite égale­ment des dimensions sociales de ce conflit cultu­rel et comment ces tribus ont préservé leur pureté eth­nique et les aspects de leur vie privée, même en ayant des relations étroites avec les paysans égyptiens et avec d’autres communautés turque, circassienne et mamelouke.

Le livre s’appuie sur des études portant sur l’héritage culturel et le folklore bédouin, notamment la tra­dition orale des femmes. Al-Tahawy s’interroge dans son ouvrage : les Bédouins ont-ils perdu de leurs carac­téristiques en se mêlant à la société égyptienne ? La réponse est prompte : Non ! Les Bédouins qui sont venus de la péninsule arabique à la recherche de prairies pour leur bétail ont continué à vivre en communauté entre eux. On peut distinguer jusqu’à présent plusieurs grandes tribus telles Béni Sélim, Béni Ali, Al-Achraf, Al-Ababdah, etc. Celles-ci ont migré vers les déserts de l’est, de l’ouest et du sud de l’Egypte, avec la conquête de Amr Ibn Al-Ass, et même bien avant.

Elle explique qu’au fil des ans, les Bédouins abusaient de leur suprématie ethnique et tenaient à « conserver une large autonomie notamment en Haute-Egypte et dans quelques régions du Delta. Les paysans égyptiens leur payaient parfois des tributs, pour les pro­téger ». Et de préci­ser : « Figure démo­niaque dans un monde hostile, insoumis au pouvoir, le Bédouin inspire souvent la peur ou la suspicion ». D’après le livre, sous le règne de Mohamad Ali et ses descendants, la poli­tique adoptée pour contrôler les Bédouins consistait à leur accorder des terrains pour qu’ils puissent s’y installer ou à les confisquer, suivant le cas, s’ils ne font pas preuve de loyauté. L’abolition du sys­tème féodal, au len­demain de la Révolution de 1952, a aidé à restreindre le pouvoir ou l’autonomie bédouine en Egypte. L’aspiration à un Etat civil signifiait aussi mettre un terme au système tribal. Mais, selon l’auteur, « le Bédouin n’a pas pu rempla­cer la tribu par le peuple ».

La tradition orale bédouine

Engagée dans la lutte pour les libertés indivi­duelles des femmes, Al-Tahawy n’a pas hésité à aborder les racines de l’art poé­tique féminin dans le milieu bédouin auquel elle appar­tient. Al-Ghennawa ou la chanson courte est un type de vers récités lors des céré­monies de mariage ou de certaines occa­sions spéciales. Ils célèbrent l’amour, la passion et la per­sonne aimée, en étant accompagnés d’une sorte de danse appuyant les senti­ments chantés. « La culture bédouine se révèle à travers des contes, des fables et des chansons (…). La recherche assidue que j’avais effectuée dans le domaine de la poésie bédouine m’ont permis de collecter un bon nombre de textes que j’ai étudiés pour explorer les caractéristiques esthétiques de ce type de poésie popu­laire bédouine et les lier à la conscience féministe », indique l’auteure, ajoutant que le langage codé, l’abs­traction et le mystère séman­tique sont des mécanismes défensifs propres à l’expres­sion féminine. Et ce, afin de révéler ses sentiments, en évitant tout scandale. Cet art poétique est répandu géogra­phiquement jusqu’aux alen­tours de la province libyenne de Barqa, région frontalière qui était autrefois une grande enclave pour les tribus arabes, qui vivaient pendant longtemps à la frontière égypto-libyenne.

Cette étude de Miral Al-Tahawy illumine quelques zones d’ombre dans l’histoire contempo­raine de l’Egypte. Un véri­table mythe s’est formé autour du nomade, hospita­lier et vertueux. Il a été confirmé par les récits des voyageurs, et l’auteure en détecte les mystères.

Bint Cheikh Al-Orban, Dirassa fil Tarikh Al-Saqafi wal Torasse Al-Chafahi lil Orban fi Misr (la fille du chef des Bédouins. Une étude sur l’histoire culturelle et l’héritage oral des Bédouins d’Egypte), aux éditions Al-Aïn, 2020, 333 pages.

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