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Autrefois, Alep

Rasha Hanafy, Mardi, 15 octobre 2019

Dans son dernier roman Lam Yossalli Alayhim Ahad (personne n’a prié pour eux), l’écrivain syrien Khaled Khalifa remonte au règne ottoman sur Alep. L’oppression, la mort, la persécution et l’amour impossible ont marqué le destin de la ville.

Autrefois, Alep

La ville d’Alep et sa banlieue ont connu des inondations, des tremblements de terre et des famines, vers la fin du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle. Elles ont survécu également à de profondes transformations, sur les plans social, politique et religieux. En 348 pages, de format moyen, le romancier, journaliste et scénariste syrien Khaled Khalifa suit l’his­toire de sa ville natale, Alep. Et ce, dans son roman intitulé Lam Yossalli Alayhim Ahad (personne n’a prié pour eux), publié en Egypte par la maison d’édition Al-Aïn.

Khalifa, à travers les héros de son roman — Zakariya, Hanna, Chams Al-Sabah et Soad — tente de raconter les grandes transforma­tions de la ville.

Il commence par un désastre naturel causé par l’inondation du fleuve, en 1907, plaçant les héros face à leur passé. Ceux-ci passent en revue les souvenirs, liés d’une manière ou d’une autre aux inonda­tions. Ce désastre a surtout frappé le village, aux alentours d’Alep, et détruit ses petites maisons. De tous les villageois, deux femmes seule­ment ont survécu au déluge : la première reste très attachée à son bébé qui s’est noyé, tandis que la seconde est hantée par l’image de cadavres, ceux de sa mère, de son père, de ses quatre frères et soeurs, ainsi que de ses amis, voisins, étu­diants et autres. Ainsi, le petit vil­lage est devenu un grand cimetière.

La coexistence régnait auparavant

Le lecteur tombe sur des histoires d’amour impossibles entre Aïcha, la musulmane, et William, le chrétien, tués par un soldat des forces de l’ordre et enterrés ensemble. Les aventures sexuelles passionnantes avec des prostituées, dans la cita­delle des désirs, sont brillamment décrites par l’auteur, en même temps que les histoires de villages frappés par des tremblements de terre, par la peste ou le choléra.

Khalifa, né à Alep en 1964, a inséré également les massacres affreux perpétués par les soldats ottomans, à l’époque, comme celui de Mardine, dans lequel une famille chrétienne entière a été tuée par trois officiers ottomans, suite au meurtre d’un officier qui avait tenté d’enlever une femme du pays.

Seul un jeune enfant a survécu, Hanna, élevée suite à cela par des voisins musulmans. Ainsi, l’enfant a grandi avec des souffrances constantes, à cause d’ambiguïtés concernant le concept d’identité et d’appartenance. « Le roman est ima­ginaire de A à Z. Il n’a rien à voir avec la Syrie d’aujourd’hui, sauf pour ce qui est de la question de l’identité », a déclaré Khaled Khalifa dans la presse, à propos de son quatrième roman qui se déroule en dix chapitres et s’étend sur une période de cinquante ans.

L’idée de la coexistence entre les diverses religions et ethnies est claire dans le récit. Le musulman, le chrétien, le juif, le kurde, le turc et l’arménien vivent tous ensemble, sans différence aucune, comme une seule famille. C’est le soldat cruel, représentant tout pouvoir féroce, qui les disperse.

Khalifa a voulu raconter la belle époque d’Alep, malgré la douleur et la faim. Pour lui, Alep est le symbole du Levant et peut-être de tous les pays arabes. Même sous les inondations et la famine, elle était plus cohérente qu’au­jourd’hui !

Lauréat du prix Naguib Mahfouz en 2013, pour son roman La Sakakin fi Matabekh Hazihi Al-Madina (pas de couteaux dans les cuisines de cette ville), Khaled Khalifa est actuellement sur la liste courte du prix littéraire américain National Book Award 2019, pour son roman traduit vers l’anglais Death is Hard Work.

Lam Yossalli Alayhim Ahad (personne n’a prié pour eux), Editions Al-Aïn, 2019, Egypte, 348 pages.

Une édition locale

Le dernier roman en date du Syrien Khaled Khalifa est sorti dans une édition égyptienne, comme plu­sieurs autres romans arabes, assez récents. C’est une solution que les éditeurs égyptiens ont trouvée afin d’améliorer leurs ventes qui ont régressé au lende­main de la dévaluation de la livre égyptienne. Car ils importaient les livres publiés dans d’autres pays voi­sins en dollars et, par conséquent, le coût était assez élevé. « On a eu recours à la publication d’ouvrages exclusivement pour le marché égyptien, pour contourner la crise. On ne change rien au contenu, et le livre est lancé en même temps que l’édition principale dans son pays. Ainsi, le lecteur égyptien parvient à lire des ouvrages récents sans payer une grosse somme d’argent, puisqu’on évite aussi les frais des douanes », explique Mahmoud Lotfi, directeur des éditions et de la librairie Tanmiya, qui a lancé cette stratégie en 2015, en publiant le roman lauréat du prix de la Fiction arabe, Massaer ou destins de Rabai Al-Madhoun.

L’éditeur égyptien n’est autorisé, selon le contrat signé avec la principale maison d’édition de l’ouvrage, à présenter l’édition égyptienne qu’au Salon du livre du Caire. L’idée aussi aide à lutter contre les fausses copies, vendues à prix modiques, sur les trottoirs des grandes villes. L’idée d’avoir une édition locale est éga­lement appliquée dans d’autres pays arabes comme l’Iraq, la Palestine et la Jordanie.

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