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Saad Zaghloul, un leader qui n’a rien caché

Rasha Hanafy, Mardi, 03 septembre 2019

A l’occasion du centenaire de la Révolution de 1919, Al-Ahram Hebdo revient sur les mémoires de son leader Saad Zaghloul, rédigés entre 1897 et 1926, et dont le douzième et dernier livre a été récemment publié par les Archives égyptiennes.

Saad Zaghloul, un leader qui n’a rien caché

Les « Confessions », célèbres en tant que genre littéraire chez les Européens, n’étaient pas connues dans la culture arabe. Le fait de confier des secrets très intimes de sa vie personnelle était même mal vu en Orient. Raison pour laquelle Mozakkarat Saad Zaghloul (les mémoires de Saad Zaghloul ou plutôt le journal intime) sont considérés comme les plus sin­cères, jamais publiés durant le XXe siècle. Rédigés par le leader de 1897 à 1926, dans 53 cahiers, les manus­crits ont été publiés en douze livres. Saad Zaghloul y raconte la période de son adhésion à l’Assemblée législative (le parlement), sa nomi­nation en tant que ministre des Maaref (ministère de l’Education), son exil et sa nomination comme premier ministre en 1924.

Après le décès de Zaghloul en 1927, ces cahiers ont été envoyés au parti politique Al-Wafd pour être remis ensuite aux Archives égyp­tiennes. Dans les années 1990, l’Or­ganisme égyptien général du livre (GEBO) a commencé la publication des manuscrits sous le titre Les Mémoires de Saad Zaghloul. Le GEBO a publié neuf livres, révisés par l’historien Abdel-Aziz Ramadan. Ensuite, les Archives égyptiennes ont publié les trois derniers livres, révisés par Latifa Salem, professeure d’histoire moderne à l’Université du Caire. « Il s’agit vraiment du journal intime de Saad Zaghloul, parce que c’est la rédaction de tout ce qui se passe pendant sa journée. Mais il arrivait que Zaghloul n’écrive pas tous les jours et il se pouvait qu’il laisse passer un mois sans rien enre­gistrer, c’est pourquoi les premiers livres ont eu le titre de Mémoires. En plus, le mot mémoires ou mozakka­rat est plus connu chez les Arabes que le mot journal intime ou yaw­miyat. Quand j’ai commencé la révi­sion des manuscrits pour la publica­tion du dixième livre, je n’ai pas voulu changer le titre et je l’ai laissé comme les neuf livres précédents », explique Latifa Salem.

C’est parce qu’il s’agit des aveux audacieux d’un homme politique, qui parle sincèrement et honnête­ment des détails de sa vie person­nelle et donne ses avis sur d’autres leaders politiques égyptiens de l’époque, que le lecteur peut avoir l’impression que Les Mémoires de Saad Zaghloul ont été rédigés par l’ennemi le plus hostile au leader, considéré comme le père des Egyptiens. On peut en effet lire qu’il buvait et jouait aux cartes sans pouvoir y résister. Des confessions inattendues pour la grande majorité des petits-fils de ceux qui ont insisté sur l'élection de « Saad », même après son décès en 1927. « Saad Zaghloul est un paysan issu de la couche sociale moyenne égyp­tienne. Quand il s’est marié avec la fille de Moustapha Fahmi, issu d’une famille turque aristocratique, premier ministre à l’époque et proche des Anglais, il a dû répondre aux conditions de la vie de cette nouvelle couche sociale. Pour être pacha, il accompagnait Fahmi au Club Mohamad Ali, aujourd’hui Club des diplomates, pour jouer et boire avec les Anglais et les autres pachas considérés comme l’élite de la société égyptienne », indique Salem. Et de préciser : « Zaghloul était un homme très honnête. Il vou­lait écrire tout sans rien cacher, parce qu’il savait parfaitement qu’il était un être humain. Il écri­vait en détail les points positifs et négatifs, sans avoir honte. Pour les Egyptiens d’aujourd’hui ou leurs ancêtres, Saad Zaghloul demeure un grand leader qui a cherché à libérer son pays de l’occupant anglais selon les principes de son parti politique ».

L’homme politique

Saad Zaghloul n’était ni libéral ni révolutionnaire, mais il négociait avec les Anglais et dans certains dos­siers, il prenait parti pour les conser­vateurs. Il a été, au début de sa vie politique, membre du parti Al-Oumma (la nation), devenu Al-Ahrar Al-Dostouriyine (les libéraux consti­tutionnels), avant la création du parti Al-Wafd. « Ce parti politique adoptait le principe selon lequel on récupère et ensuite on revendique. C’est-à-dire, pour que les Anglais quittent l’Egypte, on doit négocier avec eux. C’était contre le principe adopté par Al-Hizb Al-Watani (parti national), dont les deux membres principaux étaient Moustapha Kamel et Mohamad Farid. Les deux refusaient les négociations avec les Anglais avant leur départ », explique Salem. D’où la compétition et les tensions entre les trois hommes, dont chacun est pourtant considéré comme un grand leader politique égyptien, qui a oeuvré pour l’indépendance de l’Egypte.

Selon la professeure d’histoire moderne, Zaghloul saisissait le jeu politique, se considérait comme le leader de la nation et était capable de guider la foule. « Bien que le parti Al-Wafd ait été ouvert par rapport au Parti national, Zaghloul avait beau­coup de contradictions : il croyait à la liberté d’expression, mais était com­plètement contre le cheikh Ali Abdel-Razeq, qui a publié le livre intitulé L’Islam et les fondements du pouvoir. Il était aussi contre le livre de Taha Hussein intitulé De la poésie pré-ismatique. Zaghloul était issu de la couche sociale moyenne ; pourtant, il était contre la distribution des terres agricoles aux paysans. Il était aussi contre le socialisme et combattait le Parti communiste », assure Salem.

D’après la professeure de l’Univer­sité du Caire, les mémoires de Saad Zaghloul sont d’une grande impor­tance pour les chercheurs en histoire en particulier. Il décrivait en effet parfaitement toutes les rencontres avec les Anglais ou les réunions du parti Al-Wafd. « Ce qui m’intéres­sait beaucoup, c’étaient les remarques que le leader écrivait en arabe, français ou anglais dans les marges, en commentant certaines situations. Et quand il décrivait l’endroit d’une cérémonie et les invités, par exemple, ou quand il écrivait les détails des comptes de chez lui, ou encore lorsqu’il décri­vait l’accueil chaleureux du public du quartier de Choubra alors qu’il prononçait un discours, ou quand il décrivait la foule égyptienne qui l’a accueilli à Paris », explique-t-elle.

Les livres des mémoires de Saad Zaghloul offrent des détails concer­nant une période critique de l’histoire de l’Egypte, alors que le pays cher­chait son indépendance de l’occupa­tion anglaise. Ils racontent le parcours politique et humain du leader et père des Egyptiens.

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