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La poupée russe de Abdel-Méguid

Dina Kabil, Mardi, 30 juillet 2019

Dans son nouveau roman Le Cyclope, Ibrahim Abdel-Méguid continue avec les jeux intarissables de l’écriture.

La poupée russe de Abdel-Méguid

Dans le monde fictif, il serait normal de trouver un écrivain qui introduise des personnages croisés dans le réel pour les inclure dans son récit. Ici, dans Le Cyclope d’Ibrahim Abdel-Méguid, il fait le chemin inverse : il convoque des personnages fictifs tirés de ses propres romans. Parce qu’Ibra­him Abdel-Méguid est avide de jeu et d’invention. Ses jeux, clins d’oeil ou trompe-l’oeil ne cessent de se déjouer depuis la couverture de son livre. La seule trace de sa présence est son nom signé sur la couverture et la quatrième de couverture. A part cela, on a affaire à un écrivain de renom, Sameh Abdel-Khaleq, qui convoque certains de ses per­sonnages fictifs, comme Saber Saïd. Ce dernier revient à la vie et veut prendre entre les mains les rênes de la narration. Or, Saber Saïd n’est autre que le héros du roman d’Ibrahim Abdel-Méguid Hona Al-Qahéra (ici Le Caire), c’est un drama­turge qui appartient à la génération des écrivains des années 1970. Il essaie tout et cherche à tout prix à raconter l’histoire et signer son nom sur Le Cyclope. Quant à l’écrivain Sameh qui tient tous les fils de l’histoire, il a le pouvoir divin de la narration, il fait renaître des personnages de leurs tombes, appelle d’autres époques lointaines et les dote de dons surnaturels comme le fait de trans­former Saber Saïd à maintes reprises en fantôme. Saber rencontre un autre personnage dans la vie réelle, c’est-à-dire qui n’est pas tiré de roman, c’est Saediya, la passionnée des romans d’horreur qui adore l’écrivain renommé dans ce genre, Ahmad Khaled Tewfiq, et souhaite être un jour comme lui. A travers ce retour dans le temps vers les années 1970 ou vers le temps de la Seconde Guerre mondiale, la comparaison est de mise entre un monde révolu et un présent en pleine ébullition.

L’on assiste donc à une sorte de « L’étranger » de nos jours. Le personnage, venant de très loin, fait la connaissance de l’univers de Facebook, s’apitoie sur les changements flagrants de la ville d’Alexandrie, et ne peut s’empêcher de pleurer le monde cosmopolite, libéral et laïque d’autrefois qui est aujourd’hui marqué par le conservatisme et le fanatisme de toutes sortes.

Dans Le Cyclope, il est question d’un jeu de miroir qui reproduit à l’infini l’univers fictif. Une sorte de poupée russe où existe l’écrivain Ibrahim Abdel-Méguid qui enfante un autre dans l’univers fictif, Sameh Abdel-Khaleq qui, lui, invite les personnages de ses oeuvres à agir et à participer à son histoire. Ainsi, Ibrahim Abdel-Méguid triomphe à la liberté de l’écriture. Il nous incite à nous demander qui écrit le roman, qui raconte, et est-ce que ces événements se déroulent dans le monde réel ou virtuel ?

Al-Cyclope (le cyclope) d'Ibrahim Abdel-Méguid, éditions Masciliani, Tunis, 2019.

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