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Le roman est la poésie des temps modernes

Rasha Hanafy, Mardi, 30 juillet 2019

Le nouvel ouvrage de l’ancien ministre de la Culture et critique littéraire Gaber Asfour, Zamane Al-Qass… Chear Al-Doniya Al-Hadissa (le temps de la narration… la poésie du monde moderne), présente une nouvelle vision sur le début de la fiction dans la littérature arabe.

Le roman est la poésie des temps modernes

Voilà des décennies que l’on répète, y compris à l’Université, que le roman arabe est né en 1913, année où l’Egyptien Mohamad Hussein Heikal a publié Zeinab. Il se trouve que la fiction arabe moderne est née au milieu du XIXe siècle, tout en ayant des racines dans le patrimoine arabe. Telle est la vision adoptée par l’an­cien ministre de la Culture, l’acadé­micien et le critique littéraire Gaber Asfour. Il l’explique dans son nou­veau livre intitulé Zamane Al-Qass… Chear Al-Doniya Al-Hadissa (le temps de la narra­tion… la poésie du monde moderne), publié chez Al-Dar Al-Masriya Al-Lobnaniya.

En 354 pages de grand format, le livre est considéré comme une nou­velle édition d’un ancien ouvrage du même auteur intitulé Temps du roman, publié en 1999, mais avec plus de détails sur l’histoire de la fiction arabe. Asfour est d’avis que l’art de la narration remonte au IIe siècle de l’hégire. Il explique dans son livre que la création et la stabi­lité des villes arabes comme Bassora, Koufa, Bagdad et Damas ont mené à la production d’un récit comme Les Mille et une Nuits. « En publiant le premier livre en 1999, j’ai voulu dire que l’art de la nar­ration en général était devenu un outil prometteur, qui exprime le présent et l’avenir, beaucoup mieux que la poésie. Et ce, parce que ce genre littéraire est plus flexible dans sa structure et peut facilement exprimer la promotion de la tech­nologie et l’ère de l’information dans laquelle nous vivons », explique Asfour dans l’intro­duction de son nouvel ouvrage.

A l’époque, de nombreux poètes étaient contre le livre Temps du roman, et ont défen­du la poésie qui demeure pour eux le registre des Arabes par excellence. Ils ont cru que Asfour, par son livre, excluait totalement la poésie de la scène de la créativité litté­raire. Raison pour laquelle l’auteur a changé le titre de la nouvelle édition pour devenir Temps de la narration, en ajoutant la phrase de Naguib Mahfouz, qualifiant le roman comme étant la poésie du monde moderne. « J’y précise que la relation entre les genres littéraires est variable à tra­vers les époques. Les plans social, politique, culturel et même religieux influencent cette relation. On peut donc remarquer la prospérité du théâtre, par exemple, à Athènes, au Ve siècle av. J.-C., par rapport à d’autres genres littéraires. Cela veut dire que chaque époque pos­sède l’outil littéraire qui l’exprime mieux que les autres, selon les changements qu’elle subit », assure Asfour dans son ouvrage.

L’auteur explique aussi dans son livre que l’art de la narration a été établi dans la littérature arabe à la suite de deux facteurs: un facteur interne lié aux traditions du récit arabe et à ses différents types— le récit historique, symbolique, philosophique, mystique, les épopées ou encore les biographies folklo­riques. « On ne peut pas nier l’existence de ce facteur, parce qu’il y a des chefs-d’oeuvre lit­téraires mondialement recon­nus, tel Les Mille et une Nuits, qui le confirment. Le deuxième facteur est un facteur externe, lié au récit européen, à ses traditions et à ses transforma­tions », indique Asfour. La complémentarité de ces deux facteurs ont mené, en 1855, à la publication d’un chef-d’oeuvre authentique, Al-Saq Ala Al-Saq (la jambe sur la jambe), roman et récit biographique du roman­cier libanais Ahmad Fares Chidyaq.

Les ouvrages, les traduc­tions et les adaptations se sont multipliés, par Ali Moubarak, Mohamad Al-Mouelhi, Rifaa Al-Tahtawi ou encore Moustapha Lotfi Al-Manfalouti. En 1913 a été publié le roman Zeinab. Selon Asfour, la Révolution de 1919 a eu son impact sur le récit, qui est devenu plus indépendant, plus flexible et influencé par le roman européen. Le développement du roman arabe est le fruit de cette rencontre entre l’Occident et le patrimoine classique de la langue arabe et de sa littérature.

Le roman, un produit citadin

Gaber Asfour pense que les socié­tés, y compris arabes, vivent dans un temps dominé par ce genre litté­raire, à savoir le roman. « Depuis plus de 50 ans, le Prix Nobel est décerné presque uniquement à des romanciers. Rares sont les poètes primés », écrit-il dans son livre. Le critique littéraire explique dans son ouvrage que le roman naît et se développe dans la cité. Ce genre littéraire exprime symboliquement les gens de la classe moyenne de la société. « Plus la ville connaît une expansion et se développe, plus le roman y prend racine et se déve­loppe lui aussi. La ville se distingue et se différencie par la multiplicité des langues, des origines et des confessions », indique Asfour. Et d’ajouter: « La ville renferme une société sans unité ni harmonie sur les plans culturel, linguistique et religieux. D’où le développement du roman. C’est cet environnement social qui favorise l’épanouisse­ment du roman et sa diversification. Le roman est un art vivant, en évo­lution constante qui emploie toutes les formes d’expression et tous les discours, y compris la poésie ».

Selon le livre, le monde arabe vit dans un temps où le roman a pris de l’ampleur et domine le regard litté­raire. « Dans les années 1990, quelque 1000 ouvrages avaient pour sujet l’époque du roman. Par la suite, certains ont rejeté l’idée que le roman dominait la poésie. Regardez aujourd’hui le nombre de romans publiés par rapport aux recueils de poèmes. C’est le temps du roman par excellence », assure Asfour.

Dans l’un des chapitres, Asfour n’a pas hésité à se référer à un article rédigé par Naguib Mahfouz et publié en 1945 dans l’ancienne revue culturelle Al-Rissala. Celui-ci était en réponse à l’attaque de l’écrivain Al-Aqqad contre le roman. Mahfouz a écrit, entre autres: « La poésie a dominé dans les époques de légendes. L’époque en cours, celle de la science et de l’industrie, a besoin d’un nouvel art à même d’équilibrer la passion de l’homme envers la modernité et sa nostalgie quant à tout ce qui est imaginaire. Le roman était donc la réponse à ce besoin. Si la poésie a reculé, c’est qu’elle manque de cer­tains éléments qui font qu’elle n’est pas adéquate pour cette époque. Le roman est, par la suite, la poésie du monde moderne ».

Ce dernier ouvrage de Gaber Asfour est sans doute une référence importante sur l’histoire du roman arabe et son développement à tra­vers les époques.

Zamane Al-Qass… Chear Al-Doniya Al-Hadissa (le temps de la narration

la poésie du monde moderne), Al-Dar Al-Masriya Al-Lobnaniya, 2019, 354 pages.

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