« Ce roman m’a vraiment épuisé, parce que je l’ai réécrit plusieurs fois. Les dernières modifications ont été faites juste quelques jours avant la publication. En écrivant, j’étais pris par un sentiment de culpabilité », a expliqué dans la presse Ahmad Al-Fakharani, romancier égyptien né à Alexandrie, qui a vécu six ans dans le quartier historique d’Al-Attarine. Il parlait de son dernier roman publié aux éditions Al-Aïn, Bayassat Al-Chawam (la place des Syriens, le mot « bayassa » venant de l’italien « piazza »).
L’histoire se déroule dans des lieux historiques, comme le quartier d’Al-Attarine (les épiciers), vaste quartier des antiquaires vendant meubles anciens, bibelots, etc. Bayassat Al-Chawam, la place des Syriens, est l’un des lieux caractéristiques et se trouvant à proximité d’Al-Attarine. Elle remonte au début du XIXe siècle et doit son nom à l’arrivée des Syriens et des Libanais en Egypte. Elle est célèbre pour la vente de vêtements usés et l’existence du restaurant Roi des cailles, dont le propriétaire, Elias, est d’origine libanaise. Aujourd’hui détenu par la famille égyptienne Al-Samra, ce restaurant unique d’Alexandrie est toujours réputé pour ses cailles grillées, marinées au thym.
C’est dans cet endroit que le héros, Saïd, essaie de comprendre l’origine du monde et de chercher l’essence de la beauté, à travers sa vocation de sculpteur. Le romancier, pharmacien de formation, journaliste et écrivain, s’inspire dans son récit du poète soufi Ibn Arabi, surnommé « Al-Cheikh Al-Akbar » ou le plus grand maître.
Al-Fakharani tente de s’approcher de la vérité du monde, de l’homme, de la joie, du désir et du sens de l’au-delà.
Parvenir jusqu’au Créateur
Les idées principales de la philosophie d’Ibn Arabi sont présentes dans le roman Bayassat Al-Chawam. Le monde est un miroir à travers lequel on peut voir l’image du Créateur. Le monde tout entier n’est que formes épiphaniques pour sa manifestation. Et Dieu se reflète par l’intermédiaire de ses noms divins. Le Juste, Le Tout Puissant, Le Miséricordieux, etc. Cette quête de la vérité se traduit dans le roman par le biais de personnages comme Samra, directeur du restaurant, Al-Bambo, garde du corps, et Soraïa, la femme chez qui le héros trouve la sécurité et l’amour.
Pour Ibn Arabi, le monde imaginaire ou « Alam Al-Misal » est distinct du monde des réalités concrètes, mais il se superpose au premier, comme une dimension supplémentaire. L’imagination joue un rôle décisif pour percevoir cette face divine dans les choses et les êtres. Dans le roman, les statues du sculpteur jouent le rôle de ce monde imaginaire.
Al-Fakharani n’a pas hésité à donner au maître sculpteur le nom d’Idris. Il s’agit, pour Ibn Arabi, du « prophète des philosophes », vu le nombre de connaissances qu’il a pu apporter. L’homme chez Ibn Arabi est l’image parfaite de la création accomplie. L’homme parfait se distingue par l’énergie spirituelle ou l’aspiration, qui est son instrument de création. L’homme parfait ou universel est celui qui parvient au seuil de la « présence totale », qui englobe toutes les autres formes de présence et les récapitule, actualisant et intégrant d’un point de vue existentiel les qualités infinies que les Noms divins recèlent. Saïd ou l’heureux, le héros d’Al-Fakharani, est l’équivalent de l’homme parfait chez Ibn Arabi, qui essaie de parvenir à l’essence du divin.
Bayassat Al-Chawam est le quatrième roman d’Al-Fakharani. Mandorla, publié en 2013, lui a valu le prix Sawirès en 2016. Sirat Sayed pacha (biographie de Sayed pacha) est paru en 2016 et Aylat Gada (la famille de Gada) en 2017. L’auteur continue à mélanger le rêve et la réalité, mais cette fois-ci dans un style soufi qui mérite d’être relu plusieurs fois pour mieux en saisir les sens l
Bayassat Al-Chawam (la place des Syriens), d’Ahmad Al-Fakharani, éditions Al-Aïn, 2019
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