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Le monde de la presse revisité

Dina Kabil, Lundi, 13 mai 2019

Mahmoud Al-Wardani a choisi de célébrer son 70e anniversaire en publiant un roman, Bab Al-Kheima (au seuil de la tente), qui est à la fois un retour sur sa carrière journalistique et un hommage à toute sa génération, celle des années 1970.

Le monde de la presse revisité

L’écrivain Mahmoud Al-Wardani a fêté ses 70 ans il y a environ deux semaines. Pourtant, son roman Bab Al-Kheima (au seuil de la tente), publié vers la fin de 2018 aux éditions Al-Aïn, semble être le récit de son parcours professionnel.

Ecrivain et journaliste de la génération des années 1970, celle marquée par la défaite de 1967 et laquelle voulait à tout prix se distancier de ses prédécesseurs, Mahmoud Al-Wardani n’a adhéré aux rangs des journalistes que tardi­vement dans les années 1980. Puis, en 1992, il a participé à la fondation de l’hebdomadaire littéraire Akhbar Al-Adab. Son expérience dou­loureuse dans les coulisses du travail de la presse a éveillé en lui un besoin de livrer son témoignage sur une période de sa vie et de celle du pays, que ce soit son expérience dans les institu­tions étatiques privées ou dans les bureaux de presse gérés par les régimes des pétrodollars. Car même s’il est question de journalisme culturel, ce champ n’est pas éloigné des cercles d’intérêt politique, ni des enjeux de la corruption.

A maintes reprises, il n’a cessé de répéter, après sa retraite en 2012, sur un ton décontracté: « Maintenant, je n’ai que mon écriture, je peux m’en occuper ».

Le roman Bab Al-Kheima (au seuil de la tente) se déroule dans des conditions plus ou moins autobiographiques. Comme Al-Wardani, Gamal Al-Sawi, le personnage principal du roman, travaille dans un hebdomadaire culturel Al-Mostaqbal (l’avenir).

Comme lui aussi, il a été arrêté et détenu pour ses idées de gauche. Pendant plusieurs années, pour répondre aux besoins de sa famille, Gamal Al-Sawi a appris à se « domp­ter » et s’est trouvé dans l’obligation de céder aux ordres de son rédacteur en chef Youssef Motawie. Un jour, ce dernier l’envoie en mis­sion en Libye pour couvrir le Salon du livre là-bas et surtout effectuer un entretien avec le colonel Moamar Al-Kadhafi, non pas en tant que président du pays, mais en tant qu’homme de lettres. « Ecrire et publier des articles dans les jour­naux du Golfe est à la limite admissible, mais s’embar­quer dans le cortège des dictateurs est injustifiable. En même temps, il est inévi­table de refuser le séjour », se dit alors Gamal Al-Sawi, dans un monologue inté­rieur.

Portraits véridiques

A travers cette mission, on découvre les bas-fonds du travail journalistique, le rap­port mitigé avec le pouvoir et les batailles tacites, entre journalistes, pour s’accaparer une part du gâteau. Les flash-back s’attardent sur les origines et les desseins des personnages, taillant le portrait de militants ou de personnes engagées qui ont changé de cap. C’est le cas de pas mal de journalistes et d’in­tellectuels. Gamal Al-Sawi lui-même est par­tagé entre son devoir professionnel et sa volon­té d’échapper à la réalité et de rejeter la sou­mission. Al-Wardani dépeint les portraits des figures de proue du journalisme culturel ou d’hommes de lettres de renom de manière tel­lement véridique qu’on les compare souvent à des gens connus. Par exemple, on reconnaît son rapport conflictuel avec le grand écrivain, Gamal Al-Ghitani, ancien rédacteur en chef et fondateur de l’hebdomadaire Akhbar Al-Adab. Un fait que l’on répète dans les milieux cultu­rels qui aiment, classiquement, nourrir les ragots.

Cependant, Al-Wardani rejette souvent toute sorte de comparaison: « Le règlement de compte n’a pas de place dans un roman », avance-t-il innocemment.

Dans toute son oeuvre, il n’a jamais opté pour la facilité de dépeindre des personnes réelles sous des pseudonymes, et tout porte à le croire, car la description réaliste de plusieurs person­nages peut s’appliquer à des dizaines et des dizaines de figures. Par exemple, Motawie est le rédacteur en chef à plusieurs masques, Aziz Al-Sayed est le chef d’un bureau de presse qui dépend des pays du Golfe, Abdel-Rahmane Al-Sabaawi est le poète à large renommée dans les pays arabes, jeté en prison sous Sadate. « Motawie était l’un des maîtres qui savent parfaitement comment mettre des masques, c’était ce qui étonnait le plus Gamal. (…) Il était apprécié par tout le monde à cause de son passé de gauche. Par exemple, il était parmi les premiers à recevoir les attributs du régime. En même temps, Gamal sait très bien combien les figures de la gauche l’appréciaient (…) Il était de même estimé par le régime, d’où le fait d’être nommé comme le rédacteur en chef d’un magazine hebdomadaire. Cela veut dire que les rapports des organes de sécurité lui étaient favorables, malgré son passé de militant et ses liens avec l’organisation de gauche Son et Lumière à ses débuts », écrit l’auteur dans le roman.

On peut facilement identifier le personnage de Gamal à la militante de gauche des années 1970 Arwa Saleh qui s’est suicidée à son jeune âge. Car Al-Wardani a toujours rêvé d’écrire un livre sur elle. Avant de se suicider, « Arwa Saleh a choisi d’écrire sur le non-dit parmi les cama­rades de sa génération, celle des communistes du mouvement estudiantin des années 1970. Elle a évoqué le désir de se débarrasser de la magie envoûtante du nassérisme et de fonder des orga­nisations clandestines, plus radicales, et enfin, elle a abordé la décomposition du mouvement et sa chute », précise l’auteur à l’Hebdo.

Que l’on soit journaliste ou non, le lecteur de Bab Al-Kheima (au seuil de la tente) se reconnaît dans les détails du récit. Il peut s’identifier à l’un ou l’autre des personnages, selon son gré .

Bab Al-Kheima (au seuil de la tente), aux éditions Al-Aïn, Le Caire, 2018.

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