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Connaître le monde par la contemplation

Samar Al-Gamal, Lundi, 13 mai 2019

La Charte gowharienne, les vertus du cheikh Tantawi Gowhari est la première biographie en arabe du théologien et philosophe Tantawi Gowhari. Sortie fin 2018, elle présente la vie et l’oeuvre d’un incontestable érudit, cependant peu connu du grand public.

Connaître le monde par la contemplation

« Je suis né avec un penchant naturel pour la méditation et l’observation de l’univers, et l’année, pour moi, était divisée en deux parties: la première moitié, que je passais à étudier mes leçons à la mosquée Al-Azhar sur la gram­maire arabe et les questions de jurisprudence, et la seconde moitié, durant laquelle je quittais Le Caire et retournais aux champs et aux fermes. Je les contemplais de mes yeux et les observais de mes pen­sées; je ne laissais ni fruit, ni plante, ni étoile, ni arbre sans réflé­chir sur leur forme et leur beauté et me disais: cette contemplation ne devrait-elle pas être la première considération de nos écoles isla­miques ? Pourquoi ne sommes-nous pas obligés de connaître tous les détails sur les merveilles de la créa­tion ? Et je trouvais que mes profes­seurs ne touchaient pas à ce sujet que de manière passagère. Et s’ils voyaient des questions liées à la nature dans un livre, ils disaient : fermons cette porte ». C’est ainsi que cheikh Tantawi Gowhari exprime ses pensées, comme l’a rapporté son disciple Zakariya Rouchdi Al-Iskandari, qui l’a accompagné de 1914 à 1940. Il en parle de manière détaillée dans son livre Al-Aqd Al-Gawhari. Manaqeb Al-Cheikh Tantawi Gowhari (la charte gowharienne, les vertus du cheikh Tantawi Gowhari).

Il aura pourtant fallu attendre fin 2018 pour que ce document sorte au grand jour par l’intermédiaire du petit-fils du cheikh, Fathi Saleh. Ce dernier, qui dirige le Centre de documentation du patrimoine à la Bibliotheca Alexandrina, avait déci­dé de rassembler l’oeuvre de son grand-père paternel sur un site Internet. C’est alors qu’il est tombé sur ce livre riche, qui relate la vie et l’oeuvre du penseur encyclopédiste, très marquée par le concept de la contemplation de l’univers. Un jeune garçon de la province égyp­tienne, vers la fin du XIXe siècle, que la famille envoie faire ses études à Al-Azhar, la plus presti­gieuse mosquée-école de l’époque. L’histoire en elle-même n’est pas exceptionnelle, car c’était le cas de plusieurs autres, avant et après lui — du théologien Mohamad Abdou à l’écrivain Taha Hussein.

Plus tard, il quitte l’enceinte de l’islam et va étudier à Dar Al-Oloum (école essentiellement dédiée aux études de la langue arabe) et devient enseignant dans diverses écoles. L’observation de l’univers le han­tait. « J’ai étudié la vie de l’imam Al-Ghazali et j’ai noté qu’il avait suivi les mêmes pas que moi », dit-il, et c’est ainsi que plus tard, l’in­fluence du livre de l’imam Revivification des sciences de la religion (Ihiyaa Oloum Al-Dine) s’est manifestée dans l’oeuvre d’Al-Gowhari, qui s’est très vite confir­mé comme philosophe et théolo­gien.

Il découvre les sciences et les autres sagesses de l’Occident, et apprend l’anglais, qui lui ouvre de nouveaux horizons. L’année 1906 est une date-clé. Elle marque l’arri­vée en Egypte de l’orientaliste russe Olga Lebedeva (née Barshcheva), que le ministère de l’Education lui demande d’accompagner durant son séjour. Il l’aide à comprendre et à traduire L’Epitre sur la science du soufisme de Abdel-Karim Al-Qouchayri (Al-Rissala Al-Qouchayriya). Pendant des heures, ils parlent des différentes approches, celles des Européens, des sages d’Inde, des philosophes grecs, des illuminations (Révélations) de La Mecque du pen­seur soufi et philosophe andalou Ibn Arabi, du Livre des Directives et Remarques d’Avicenne et d’autres grands maîtres.

Une approche scientifique et spirituelle

L’ouvrage sur le cheikh Gowhari se réfère à des textes et des articles, sans respecter la chronologie de la pensée du maître. Ainsi, les 12 cha­pitres qui s’étendent sur 195 pages sont appuyés par des documents, des extraits et des correspondances. Tout en maintenant son poste d’en­seignant d’école, il écrivait des articles dans les journaux Al-Fallahou et Al-Liwä, édités par Moustapha Kamel, le militant contre l’occupation britannique, sous le titre Essais essentiels et Renaissance de la nation. Il a déjà publié plusieurs livres, dont Balance des gemmes des merveilles de cet univers magnifique, lorsqu’il a rencontré le théologien de la Nahda, Mohamad Abdou, et débat­tu avec Qassem Amin, le libérateur des femmes. Et ce, à travers une série d’articles sur sa manière de voir les femmes.

Dans le 5e chapitre, l’auteur revient sur l’oeuvre du maître, notamment La Couronne incrustée, qui a été publiée en kazakh avant l’arabe et était destinée à être envoyée à l’empereur du Japon. Le cheikh était, en effet, connu à l’étranger plus qu’il ne l’était dans son pays natal. Son livre Le Système mondial et les nations a provoqué un vif débat, ainsi que ses livres Où est l’Homme et Rêves en politique. Ceux-ci lui ont aussi valu un dépôt de candidature pour le prix Nobel de la paix en 1939, selon un article publié dans l’Egyptian Gazette le 5 décembre de la même année, mais apparemment, sa candidature n’a pas été retenue, car l’ensemble de son oeuvre n’était pas traduit vers l’anglais.

Le cheikh a aussi écrit sur l’astro­nomie ainsi que les lois de Newton et de Kepler, et a mené des recherches en botanique et en sciences animales, tout en abordant des thèmes très divers, de l’anato­mie à la psychologie et à l’architec­ture, en passant par ses théories sur le bonheur, la liberté et l’unicité de l’univers. Sans oublier une inter­prétation du Coran en 28 volumes. « J’ai essayé de me laisser guider par le Coran et de présenter les versets selon mon esprit. Puis, j’ai contemplé le royaume des cieux et de la terre, les nuages et l’eau, et comparé la parole aux faits, en réfléchissant à ces incroyables merveilles de l’univers, je me disais que les gens vivaient et jugeaient sans être vraiment conscients et sans penser ».

Sa passion pour la nature et son approche à la fois scientifique et spirituelle a choqué les milieux éducatif et religieux. Il a cependant été choisi pour enseigner la philo­sophie arabe à l’Université du Caire (jadis l’Université Fouad 1er). Il a par ailleurs critiqué les érudits de l’islam « pour avoir limité leur travail à la jurispru­dence islamique et être restés en deçà de l’intention du Coran et de son objectif réel ».

Al-Aqd Al-Gawhari. Manaqeb Al-Cheikh Tantawi Gowhari (la charte gowharienne, les vertus du cheikh Tantawi Gowhari), Zakariya Rouchdi Al-Iskandari, adapté et révisé par Fathi Saleh, éditions The Human Foundation, 2018. 195 pages.

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