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Mai 1968, 50 ans après

Rasha Hanafy, Dimanche, 27 mai 2018

La traduction arabe du livre 1968 Les Jeunes révolutionnaires, vague internationale de rébellion, de l’historien allemand Norbert Frei, vient de paraître. L’occasion de rappeler le soulèvement mondial contre le pouvoir venant d’Outre-Atlantique.

Mai 1968, 50 ans après

En tant que mouvement de contestation contre le capitalisme, le colonialisme et l’impérialisme, Mai 1968 fait partie d’une révolution globale contre le statu quo inté­rieur et international. Telle est la thèse avan­cée par l’historien allemand Norbert Frei, dans son livre intitulé 1968 Les Jeunes révo­lutionnaires, vague internationale de rébel­lion, paru en 2008. La maison d’édition égyptienne Safsafa, en coopération avec l’institut allemand Goethe et le ministère allemand des Affaires étrangères, viennent de lancer la traduction vers l’arabe de ce livre.

L’historien Frei y souligne que l’inspira­tion du soulèvement mondial contre le pou­voir ne vient pas de Paris, mais bien d’Outre-Atlantique. « Celui qui cherche les racines du Mouvement de 68 doit certainement remonter à l’apogée de la Guerre froide, où le conflit Est-Ouest s’est poursuivi tout au long des deux décennies après la guerre de 1945. Tous ces événements étaient un pré­lude historique à ce qu’on appelle la décen­nie de la rébellion », écrit Frei dans son livre. En tant que contestation globale des injus­tices politiques et sociales, le Mouvement de 1968 est l’héritier direct des mouvements des droits de l’homme comme Civil Rights Movement aux Etats-Unis au cours des années 1950. La lutte des Noirs et des femmes contre l’injustice inspire une critique plus générale des sociétés de l’après-guerre, notamment dans les années 1960. Les mani­festations des Noirs contre la ségrégation, tournant parfois à la confrontation violente avec les forces de l’ordre, fournissent le modèle d’une action radicale au service de la justice sociale. Sans oublier les manifesta­tions des étudiants américains contre la guerre du Vietnam.

De Berkeley aux Etats-Unis à Tokyo en passant par Prague, le soulèvement de la jeunesse prend rapidement une dimension planétaire. La frustration s’exprime partout de manière similaire: manifestations, occu­pations des universités, grèves, affronte­ments avec les forces de police. Partout dans le monde, de jeunes révolutionnaires croient qu’il est indispensable de « se révolter contre un ordre social gelé depuis 1945 » et décla­rent furieusement: « Nous n’allons plus étu­dier l’Histoire. Nous allons la créer », comme l’affirme Frei dans son ouvrage.

Manifestations en Occident

En France, tout débute d’une manière banale à l’Université de Nanterre début 1968. Les mesures disciplinaires contre les leaders du Mouvement du 22 Mars, créé pour « for­mer un front d’opposition révolutionnaire », selon Frei, provoquent l’occupa­tion de la Sorbonne et une intervention des forces de police pour la faire évacuer le 3 mai. Le mouvement des étudiants déclenche une grève générale des tra­vailleurs qui dure jusqu’à la fin du mois. Les étudiants et les travailleurs grévistes ne sont pas satisfaits de leurs conditions: tous aspi­rent à un autre mode de vie, pas seulement à de meilleurs salaires.

Malgré tout, « Mai 68 prend fin aussi subi­tement qu’il a débuté », comme le souligne Frei, avec la victoire électorale des forces gouvernementales lors des élections antici­pées de juin 1968, alors qu’il ne restait que neuf mois au mandat de De Gaule.

Le mouvement contestataire prend des formes différentes dans les pays voisins. En Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, les protes­tations commencent plus tôt et sont plutôt centrées sur le Vietnam et la triade Drogues, Sexe et Rock’n Roll. Dans les anciens pays de l’Axe (Allemagne, Italie, Japon), les mou­vements de contestation débouchent dans les années post-1968 sur des actions terroristes.

L’Europe de l’Est proteste

En Italie, l’héritage du fascisme était le fardeau du passé et le problème du présent. En 1969, des radicaux de gauche commettent des attentats à la bombe, qui annoncent le climat tendu des années 1970. En République fédérale d’Alle­magne, on assiste à un rejet total des prédécesseurs et de tout ce qu’ils représentent. Les jeunes allemands sont poussés à manifester vio­lemment contre les intérêts américains très présents en Allemagne. Ils sont eux aussi confrontés à l’impéria­lisme américain.

Il est difficile d’imaginer comment les régimes com­munistes répressifs auraient pu être épargnés par le mouvement liber­taire de 1968. En Tchécoslovaquie, le Printemps de Prague est sur le point de mettre fin au communisme soviétique dans ce pays. Des protestations estudiantines à la fin de l’année 1967 ouvrent la voie à un programme de libéralisation économique. Les Tchèques et les Slovaques se montrent enthousiastes, mais réclament aussi massi­vement la fin de la censure. La liberté de la presse est octroyée au printemps 1968. Le 27 mars, le Comité central adopte un « Programme d’action » dont l’objectif est la « démocratisation » de la politique et de l’économie. Le Kremlin, toutefois, s’in­quiète de plus en plus du fait que Prague soit en train de donner « un mauvais exemple » au reste du bloc soviétique. Ainsi, le 21 août 1968, le monde apprend l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie. « Cette fin sauvage du printemps de Prague est consi­dérée comme un échec de la réconciliation entre le socialisme et la démocratie », sou­ligne Frei. Elle montre aussi que le rêve d’un communisme réformé n’est qu’une illusion.

Au terme de son ouvrage, l’historien Norbert Frei assure que « 1968 n’était pas l’année qui a tout changé, parce que de nom­breuses choses étaient déjà en train de se transformer. Mais après 1968, rien n’est resté comme avant. Cela dit, 1968 était pré­sent partout » .

1968, Al-Sowwar Al-Chabab, Mawgat Tamarrod Alamiya, Editions Safsafa, traduit par Ola Adel.

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