«
Les scènes de mes funérailles seront belles et émouvantes, mais je ne les verrai pas. Pourtant, je vais certainement y assister », avait écrit l’écrivain Ahmad Khaled Tewfiq. «
Belles » et «
émouvantes » sont les deux mots qui décrivent précisément les funérailles de cet écrivain et romancier, qui ont eu lieu le 3 avril après les prières de midi, comme il l’avait prévu lui-même dans l’un de ses romans, publié il y a six ans. Les jeunes ont dominé la scène.
Des centaines, issus de la génération née dans les années 1980, sont arrivés dès le matin à Tanta, au gouvernorat de Gharbiya, dans le Delta d’Egypte. Ils y ont assisté à la prière des funérailles et enterré Tewfiq, en recouvrant la porte noire du tombeau par des mots écrits sur de petits bouts de papier : « Adieu, l’étranger proche », « Tu demeureras avec nous », « Nous sommes avec toi où tu es », « Il nous a enseigné la médecine et la littérature » et « Il a quitté notre monde, mais nous ne l’oublierons jamais ».
Les jeunes auteurs de ces billets ont été attirés par les écrits et traductions de Tewfiq. L’influence de ses mots reste inoubliable pour eux. « Nous avons vécu avec ses mots, qui naviguent entre la littérature d’horreur, la fantaisie, la science-fiction, la politique et des articles. Il a fait l’éducation complète d’une génération entière. Il y a toujours un de ses romans dans nos sacs et nos bibliothèques sont pleines de ses publications », écrit Maha Hassan, lectrice de Tewfiq, sur l’un des sites électroniques qui publient les messages des fans de l’auteur.
Les jeunes n’ont pas manqué de réaliser le rêve de leur auteur préféré, surnommé « le parrain des jeunes », quand il a écrit sur les réseaux sociaux : « R. L. Stine dit : Je veux qu’on écrive sur mon tombeau : Grâce à lui, les enfants lisent. Moi, je veux bien qu’on écrive sur mon tombeau : Grâce à lui, les jeunes lisent ». Ainsi, on trouve une plaque en marbre sur le tombeau d’Ahmad Khaled Tewfiq sur laquelle il est écrit : Grâce à lui, les jeunes lisent.
La dystopie et l’antihéros
Né en 1962, Ahmad Khaled Tewfiq était médecin et a enseigné la médecine à l’Université de Tanta. Il est connu en tant qu’auteur de littérature pour adolescents, notamment pour sa série de livres de poche orientée horreur, science-fiction et thriller, intitulée Ma Warä Al-Tabiaa (la métaphysique), ainsi que pour deux autres séries, Safari et Fantazia. Dans ses écrits, Tewfiq use d’un procédé littéraire peu courant dans la littérature égyptienne, la dystopie. Celle-ci présente le pire des mondes possibles. Tewfiq cherche à alarmer les Egyptiens sur l’état de leur société et l’avenir sombre qui peut en découler.
Tewfiq a préféré aussi se servir de l’antihéros dans ses écrits. Il s’agit d’un personnage central d’une oeuvre de fiction qui ne présente toutefois pas les caractéristiques d’un héros conventionnel, voire, dans certains cas, aucune de ses caractéristiques. Il n’est ni beau, ni sage, ni courageux, ni intelligent, ni grand. « Ahmad Khaled Tewfiq a changé l’écriture policière en augmentant la dose d’imagination littéraire dans tout ce qu’il écrit. Il ne voulait pas amuser son lecteur et refusait le rôle de l’auteur-guide. Il préférait l’aventure et construisait son monde littéraire sur l’imagination en prédisant la révolution, la justice et la liberté », écrit le journaliste Sayed Mahmoud, regrettant la disparition de Tewfiq et le manque d’études critiques sur son oeuvre littéraire dans un article publié dans le quotidien Al-Shorouk. Avec Utopia, devenu un best-seller en Egypte, Tewfiq a accédé au rang d’écrivain reconnu.
C’est un symbole de la mondialisation de la littérature, puisqu’il a été publié en anglais en 2011 par la Bloomsbury Qatar Publishing Foundation, un joint-venture britanno-qatari créé en 2008 et qui entend promouvoir la littérature arabe au niveau mondial. En 2013, l’ouvrage a été publié en français chez Ombres Noires. La révolte finale sur laquelle se clôt le roman a été jugée annonciatrice du processus révolutionnaire. Parmi ses romans, citons également Al-Singa (le couteau, 2012), Misl Icarus (comme Icarus, 2015), Mamar Al-Fërane (le couloir des souris, 2016) et Chaabib (2018).
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