Une seule lecture ne suffit pas pour saisir toutes les idées développées par Haïssam Al-Wardani dans son ouvrage Kitab Al-Nom (le livre du sommeil), publié récemment aux éditions Al-Karma. Sur 130 pages environ, soit la dimension d’un livre de poche, l’écrivain a opté pour une écriture fragmentaire philosophique, dotée de métaphores et d’images métonymiques. Il y aborde le sujet du sommeil en tant qu’action individuelle ou, peut-être, collective ou encore comme tentative d’échapper à une situation compliquée, tout en restant dans un même lieu. « L’idée d’écrire sur le sommeil s’inscrit dans l’intérêt particulier que je porte aux actes qui ne sont pas productifs, tels que l’ennui, la fatigue ou l’hésitation. Ces actes inertes montrent la faiblesse de la personne qui les produit face au monde qui l’entoure. Je pense que le sommeil est une autocritique pour que la personne revienne à ses vraies capacités et reprenne le contrôle de sa vie. C’est donc un essai qui appelle à se réveiller et à être productif », explique Al-Wardani.
Et d’ajouter : « J’avais des questions sur l’acte du sommeil : le dormeur a-t-il un rôle dans l’histoire ? Est-il isolé ou fait-il partie d’un certain groupe de personnes ? Existe-t-il une relation entre le sommeil et l’indifférence ? Je considère mon ouvrage comme un essai invitant à réfléchir, afin de répondre à ces questions ».
L’écrivain a commencé à travailler sur le livre au printemps 2013. Pour lui, il s’agit du moment situé entre l’effondrement du régime de Mohamad Morsi, sous la pression des manifestations de masse, et un nouveau régime. « C’est un moment qui ressemble à celui du sommeil : quand la personne est déchirée entre une fatigue extrême et la résistance au sommeil. C’était le moment propice pour que je me mette au travail et que j’écrive sur le sommeil », souligne l’auteur.
Al-Wardani voit dans le sommeil une source de force, un moyen de changement et l’espoir de dissiper l’obscurité. Dans Le Livre du sommeil, il s’attache à explorer cet acte inerte et à le rendre actif.
Dormir ne signifie pas céder
Le sommeil, pour l’auteur, c’est plutôt la possibilité de renaître, de se réveiller, de recommencer. Dans aucun cas n’est-il synonyme de défaite pour Al-Wardani. « Le sommeil, avec toute la frustration et la soumission qu’il comporte, n’est pas un moyen de résistance dans un conflit, mais plutôt une renaissance à un certain tournant du conflit. […] Quand les jeunes se sont mis à l’abri dans leur caverne pour fuir la ville qui les oppressait, ils n’ont ni fondé de communauté utopique, ni prêché les prescriptions de leur confession pour lesquelles ils étaient opprimés. Ils n’ont pas non plus construit de forteresse pour attaquer ceux qui les opprimaient. Ils ont tout simplement dormi pendant 309 ans. Ils n’ont rien fait d’autre que dormir », écrit Haïssam Al-Wardani dans le fragment intitulé Les Compagnons de la caverne. Dans ce sens et pour l’auteur, le groupe dormant, qui fuit l’injustice et l’oppression, ne cherche pas la résistance, mais un nouveau début. Et tout sommeil qui ne mène pas à se réveiller pour recommencer et renaître est synonyme de mort ou de coma.
Dans ce même cadre, l’auteur pense que le sommeil est toujours accompagné de l’espoir que l’obscurité se dissipe et que le lendemain sera un jour meilleur. « Cet espoir n’est pas comme les autres types d’espoir. Il est le principe même d’espérer, issu du désir de traverser la rivière pour arriver à l’autre rive », indique Al-Wardani, dans le fragment intitulé Le Principe de l’espoir. L’objectif du sommeil est donc, pour l’auteur, de se transformer, de changer la réalité vécue ou encore de passer d’un état à un autre. Raison pour laquelle il considère que « l’insomnie est en fait l’incapacité d’accepter le changement (...) ou la réduction du sommeil à une simple fonction physiologique visant à reposer le corps ». Pour Al-Wardani, ceux qui souffrent d’insomnie sont à la fois incapables de changer la situation dans laquelle ils se trouvent. Ils sont suspendus entre le sommeil et la veille. Ce qui veut dire que le réveil, qui est l’équivalent de la révolte ou de la renaissance, n’existe pas pour eux. La quarantaine de fragments qui composent Le Livre du sommeil invitent le lecteur à repenser l’acte de dormir. Haïssam Al-Wardani précise : « L’histoire est écrite par ceux qui se sont réveillés et non par ceux qui se trouvent dans un état de sommeil ». Et c’est le dormeur qui décide du moment où il se réveillera .
Kitab Al-Nom, éditions Al-Karma, 2017
L’écrivain en quelques lignes
Né en 1972, Haïssam Al-Wardani est un écrivain égyptien basé à Berlin. Il a fait ses études à la faculté polytechnique de l’Université du Caire. Il a commencé sa carrière en tant que journaliste indépendant, publiant ses articles dans plusieurs revues culturelles comme Akhbar Al-Adab, Amkenah ou encore Zawaya. Parmi ses ouvrages, citons Kayfa Takhtafi (comment disparaître), publié aux éditions Kayfa Ta en 2013, et le recueil de nouvelles Holm Yaqaza (le rêve de l’éveil), publié chez Merit, au Caire, en 2011. En 2005, Al-Wardani a reçu le Prix Sawirès pour la littérature, dans la catégorie des jeunes écrivains.
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