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Les constructeurs de l’Egypte

Rania Hassanein, Lundi, 01 mai 2017

L’écrivain Omar Taher retrace le parcours de différentes figures égyptiennes qui ont contribué à construire l’Egypte moderne et dont les noms sont tombés aux oubliettes. Il les surnomme les artisans de l’Egypte.

Les vrais constructeurs de l’Egypte

Les artisans de l’Egypte ne sont pas que des artistes. Dans son nouveau livre, l’écrivain Omar Taher a voulu rendre hommage à tous ceux qui ont « fabriqué » l’Egypte moderne, qu’ils soient gouverneur, ingénieur, commentateur, récitateur du Coran, comédien ou encore busi­nessman. « Il existe des personnes qui ont contribué à dessiner les traits de ce pays et l’histoire de ses citoyens, mais sans recevoir leur part de renommée, d’affection ou de reconnaissance », écrit Omar Taher dans la préface de son livre.

Cet homme dans la fleur de l’âge (42 ans) change souvent de cas­quette, étant tantôt écrivain, tantôt poète, journaliste, scénariste ou pré­sentateur à la radio et à la télévision. Il s’est toujours distingué par son humour sarcastique. Dans son der­nier ouvrage, il a choisi de se pen­cher sur un sujet social en réalisant une sorte de biographie d’une qua­rantaine d’acteurs de l’Egypte cos­mopolite que l’on connaît. Ces per­sonnes sont égyptiennes ou étran­gères et elles sont présentées comme les bâtisseuses de l’Egypte moderne. Il les appelle « les artisans ». Ces héros ayant excellé dans leur travail auraient ainsi laissé des traces indé­lébiles dans la vie des Egyptiens, sans pour autant être reconnus comme tels. Trouver ces artisans n’a pas été chose facile, d’autant plus que les archives gouvernementales ne renferment pas les informations nécessaires. Armé de son expérience de journaliste, Taher a commencé ses enquêtes à partir de rien.

Les acteurs du changement

Les vrais constructeurs de l’Egypte

Son précédent ouvrage, intitulé Izaët Al-Aghani (la radio des chan­sons), a été publié en 2015 et a reçu le Prix du meilleur livre dans la revue Al-Chabab. Omar Taher y raconte sa vie à travers des chansons. Il a en effet décidé de faire un inven­taire des chansons qui ont le plus influencé son parcours et précise quelles histoires personnelles se rat­tachent à chaque chanson. Il a repris la même logique dans Les Artisans de l’Egypte, mais en mettant en relief les créateurs des oeuvres eux-mêmes.

L’artisan avec lequel le livre com­mence est Hamza Al-Chabrawichi, l’inventeur de la fameuse eau de Cologne 555 diffusée dans tout le monde arabe : « La Cologne 555 était utilisée dans la plupart des domiciles égyptiens, autant pour se parfumer lors des cérémonies et des anniversaires que pour désinfecter les blessures ou en cas de maladies et de pertes de conscience », dit Taher.

Il en va de même pour le chocolat Corona qui a été fabriqué par l’homme d’affaires grec Tumi Chresto, lequel est né et a vécu en Egypte. « Il a été le premier à intro­duire le chocolat en Egypte. C’était l’homme à qui la plupart des enfants égyptiens doivent des instants de joie ». Ceci s’applique également à la cigarette égyptienne Cléopâtra, qui a été créée par l’homme d’af­faires Joseph Matousien. Ce fut la première marque de cigarette bon marché en Egypte.

Mais la nationalisation a marqué la fin de ces marques, à quelques exceptions près, comme l’usine Corona. Les politiques du président Abdel-Nasser les a réduites à l’état de souvenir. Parmi les perdants, Taher cite les usines de vitres de Mohamad Saïd Yassin, les magasins syriens Sednaoui ou encore les entreprises de l’homme d’affaires Abou-Régéla, propriétaire des auto­bus de transport public.

Taher rappelle les noms de leaders de la sphère publique qu’il considère également comme des artisans. Il mentionne ainsi le ministre Sedqi Soliman, qui a été chargé de l’édifi­cation du Haut-Barrage sous Nasser, le lieutenant Ahmad Rouchdi, qu’il surnomme « l’artisan de la sécurité et de la discipline » ou encore la ministre Hekmat Abou-Zeid « l’arti­sane des affaires sociales », qui fut la première femme ministre en Egypte dans les années 1960. Il n’oublie pas l’entrepreneur juif égyptien, Naoum Choubeib, qui fut le seul entrepreneur à avoir accepté la construction de la Tour du Caire dans les années 1960, malgré les risques du projet. Toutes ces per­sonnes étaient avant tout « des arti­sans de la conscience égyptienne ».

Certains ont formé cette conscience dans le domaine des arts, comme le musicien grec André Ryder, composi­teur qui a produit la musique de 1 960 films égyptiens très connus tels que Doaa Al-Karawan, Bein Al-Atlal, Al-Nadara Al-Sawdaä. Ce fut de même lui qui créa Walla Zaman Ya Sélahi (il y a longtemps mon arme) qui fut considérée comme la chanson nationale au cours de la période 1960-1979. Ryder a reçu la Légion d’hon­neur et en 1970, le président Abdel-Nasser lui a accordé la nationalité égyptienne. Après la mort de Abdel-Nasser, Ryder lui a rendu hommage avec le célèbre hymne Al-Wadaa Ya Gamal Ya Habib Al-Malayine (adieu Gamal, le chéri des millions).

Omar Taher cite d’autres musi­ciens tels que Fathi Oura ou encore l’éminente troupe de la chanteuse Oum Kalsoum.

Selon Taher, de nombreuses per­sonnes durant cette période ont joué un rôle considérable et ont contribué à dessiner les contours de la conscience égyptienne. Il pense éga­lement à des présentatrices de radio ou télévision comme Abla Fadila ou Safia Al-Mohandess. Parmi les jour­nalistes, il cite notamment Sanaa Al-Bissi, pionnière du journalisme féminin, ou Mama Lobna « l’arti­sane des premières revues pour enfants Mickey et Samir », et enfin, Naguib Al-Mistékawi, pionnier de la presse sportive en Egypte.

Selon l’auteur, des hommes de reli­gion tels que le récitateur Saïd Al-Naqchabandi, cheikh Moustapha Ismaïl ou encore cheikh Mohamad Réfaat, ont réussi à créer des moments inoubliables dans la mémoire des Egyptiens grâce à la pureté de leur voix. La voix de cheikh Réfaat reste toujours liée au mois du Ramadan, quand toute la famille se réunissait pour l’écouter en attendant le moment de l’iftar (rupture du jeune). « Sa voix concrétisait le sentiment de la pre­mière goutte d’eau qui entre dans la bouche avec son appel à la prière du maghreb (le couchant du soleil) ». A travers une écriture sensible et poé­tique, Omar Taher a suscité le chagrin et la mélancolie envers ces personna­lités de l’ancienne génération qui ont souvent été oubliées. Omar Taher voulait remercier ces artisans en rap­pelant leurs noms et en les parant de lettres d’or.

Par son éloquence et le choix de ce thème, Omar Taher s’inscrit lui-même parmi ces artisans. Il a rafraîchi la mémoire des Egyptiens afin qu’ils n’oublient pas leurs propres leaders. A sa manière humo­ristique, il a glissé sa photo parmi ces artisans, à la fin du livre, pour devenir littéralement l’un d’eux. Il a promis à ses lecteurs de rechercher de nouvelles figures afin d’illustrer les autres étapes de l’histoire égyp­tienne. A suivre.

Les Artisans de l’Egypte, des séquences de la vie de quelques constructeurs de L’Egypte à l’époque moderne, aux éditions Al-Karma, 2017.

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